Les adblockers assassineront-ils les adblockers ?
Les adblockers se diffusent comme une traînée de poudre. Un cercle pas si vertueux pour les régies et pour les internautes.
Nous y voilà. Le serpent ne se mord même pas la queue, il s'auto digère ! Résumons-nous.
Les adblockers se diffusent comme une traînée de poudre. D'aucuns avancent que 30% des créations diffusées ne touchent plus leur cible. Ainsi certains éditeurs qui vivent de cette publicité se mettent à rendre une partie de leurs contenus (les vidéos par exemple) illisibles pour les maniaques du blocage, pour obliger les internautes à débloquer les bloqueurs. Dans le contexte, c'est de bonne guerre...
De leur côté, les adblockers « chevaliers blancs » défendent officiellement la tranquillité des « pauvres » internautes submergés de réclames. C'est louable. Le plus troublant est que les éléphants de ce secteur en explosion montent des partenariats avec de gros réseaux pour ne pas tout filtrer... Moyennant finance bien entendu.
Enfin, des acteurs technologiques malins émergent de toute part pour proposer aux régies mises à mal par les adblockers de contourner lesdits dispositifs... Moyennant également finance bien sûr.
Ainsi les Robins des Bois de l'Adblocking font payer les « riches » (régies) pour protéger les « pauvres » (internautes) et les défenseurs de la publicité font payer les mêmes régies pour contourner les Robins des bois ! On pourrait penser que ce n'est qu'un transfert de marge dans l'écosystème publicitaire entre les régies et de nouveaux acteurs qui, eux aussi, doivent vivre... Cependant, sur le terrain, il semble qu'il y ait quelques conséquences et quelques dommages collatéraux.
Tout d'abord, pour certaines régies, perdre 20 % ou 25 % de leur CA peut s'avérer catastrophique dans un contexte économique peu favorable. Si des accords se tissent entre de "gros" acteurs, la balance pourrait pencher encore plus du mauvais côté de la force. En effet, moins j'ai de publicités qui touchent leur objectif, moins je suis efficace pour mes annonceurs, moins ils mettent de budgets chez moi. Ils iront plutôt vers les supports qui auront négocié des "pass" auprès des Adblockers.
Dans la métamorphose actuelle (et explosive) des internautes en mobinautes, il est déjà difficile pour certains acteurs, comme l'avait anticipé Marie Meeker, de compenser par la publicité mobile les recettes de l'Internet classique. Les Adblockers n'arrangeront pas les choses, surtout en créant de la disparité entre les régies.
Si on poursuit le raisonnement, il y a un risque de concentration des inventaires efficaces et des réceptacles où ils s'affichent, voire de saturation de ces inventaires. Auquel cas, l'efficacité et la rentabilité moyenne pour les annonceurs risque de baisser. Moins il y a de place plus c'est cher ; et plus c'est saturé, moins c'est efficace pour le prix.
Du point de vue des annonceurs et des agences qui travaillent pour eux, une telle situation peut rediriger des investissements sur d'autres médias non digitaux. D'autant que le paysage actuel bruisse fortement autour du pourcentage de messages non aboutis, et que les adblockers brouillent le tracking de certains sites au passage !
Pas facile pour les agences dans ce contexte de maintenir un climat de confiance dans le digital... En effet donner un coût au contact quand vous n’êtes pas certain que le prospect a vu la publicité se révèle compliqué. Néanmoins, rien ne garantit qu’un téléspectateur ne va pas se chercher une bière pendant la publicité ! Et personne ne stoppe les investissements télé…
Mais qu’en est-il des internautes ? Dans le système actuel, ils perdent la facilité d’accès à certains contenus et verront néanmoins des publicités mais qui ne seront pas fournies par les mêmes régies… sauf si les technologies de contournement prennent le pas.
C’est là que tout le monde devient schizophrène. A l’heure de Big Data, la tendance générale est de dire que pour le bien de l’écosystème publicitaire digital, il vaut mieux utiliser la data pour bien cibler la publicité plutôt que d’inonder tout le monde inutilement. Même les retargeters affinent en permanence leurs technologies pour limiter la surexposition des internautes et le gaspillage des impressions. Mais tout ça n’est possible que si personne ne vient effacer les traces et manger les miettes de pain du petit poucet.
Sous prétexte de protéger la tranquillité et la discrétion des internautes, les systèmes d’adblocking risquent de contraindre les publicitaires à retourner à des stratégies de diffusion de masse d’il y a 10 ans.
Le scénario réaliste est probablement beaucoup plus autorégulé : un écran de mobile ou de tablette offre moins de place pour la publicité, ce qui entretient la rareté, et ce trafic mobile augmente de jour en jour au détriment du desktop. Une part importante du trafic passe par des applis qui constituent des environnements fermés, plus difficiles à filtrer. La tentation de favoriser des environnements de ce type pourrait se renforcer.
Par ailleurs les régies qui matraquent aujourd’hui de l’intersticiel pour répondre à la demande des annonceurs vont vite chercher d’autres solutions si le taux de créations abouties diminue.
En outre, les internautes vont adapter leur comportement pour ne pas perdre la possibilité d’accéder à la vidéo du dernier PSG / Marseille. Pour mémoire, quand Internet Explorer a annoncé intégrer directement le filtrage des cookies, tout le monde a frissonné en pensant à l’enterrement de première classe du tracking. Cependant les internautes contraints de retaper trois fois leurs données personnelles pour s’acheter un billet de train ont vite désactivé la fonction !
Reste LE scénario catastrophe pour les adblockers :
Ils arrêtent toutes les publicités
Les annonceurs investissent leur argent ailleurs
Il n’y a plus de publicité
Il n’y a plus besoin d’adblockers et tous disparaissent !
On refait de la publicité !
Le serpent…