Grande Consommation : les limites du Mass Marketing traditionnel
Depuis les Trente Glorieuses, les marques de Grande Consommation se sont développées en suivant majoritairement les préceptes de Mass Marketing, inventés par les lessiviers américains puis formalisés par des universitaires comme Philip Kotler. Cette approche traditionnelle du consommateur montre aujourd’hui des signes d’essoufflement. La Grande Consommation dans les pays développés a atteint une phase de maturité, que le rouleau compresseur du Mass Marketing n’a pas réussi à endiguer malgré 60 ans de pression continue. Inspirés par les neurosciences, l’économie comportementale ou encore la psychologie cognitive, des chercheurs iconoclastes et des praticiens curieux commencent à revisiter sans a priori les principes du Mass Marketing, pour retrouver le chemin audacieux de la croissance sur les marchés matures.
Fidélisation des acheteurs actuels ou conquête de nouveaux clients ?
Le Mass Marketing traditionnel nous dit « fidéliser les gros acheteurs est la priorité : c’est plus facile et moins coûteux que de recruter des nouveaux »
Nombre de marchés de Grande Consommation sont devenus des catégories de répertoire : chaque marque y partage les mêmes consommateurs, sans qu’aucune ne dispose d’un noyau dominant de clients fidèles ou exclusifs. Les analyses statistiques plus poussées montrent que c’est la taille de clientèle qui y explique les différences de part de marché, pas la fidélité à la marque. Pour accroître la part de marché, la priorité est donc de recruter continuellement de nouveaux utilisateurs, comme l’a démontré Ehrenberg en 1990. Quant à la fameuse loi de Pareto (au moins 80% des ventes viendraient de 20% des acheteurs), qui était une clef de voûte du principe de fidélisation, les mesures effectuées sur de nombreuses catégories ont montré que les clients les plus fidèles pèsent souvent 50% à 60% des ventes d’une marque. La maturité des marchés semblerait donc aller à l’encontre d’un premier principe Marketing traditionnel, qui appelait un ciblage toujours plus pointu et une focalisation sur la fidélisation.
Développement de l’image ou transformation de l’usage?
Le Mass Marketing Traditionnel nous dit « il faut bâtir de la notoriété et construire une image attractive, pour déclencher l’achat et ainsi développer une marque »
Une marque croît si elle réussit à modifier le comportement de certains consommateurs en sa faveur. Dans l’approche traditionnelle, c’est la communication fréquente et puissante de messages persuasifs, qui va modifier les attitudes des consommateurs face aux marques et qui va donc entraîner un changement dans le comportement d’achat. Ce modèle implique une vision micro économique très déterministe, qui suppose un processus de décision du consommateur rationnel et réfléchi, comme l’Homo Economicus classique. Tout le contraire des enseignements de l’économie comportementale, qui ont valu le Nobel d’Economie à Daniel Kahnemann en 2002 : 90% de nos décisions ne sont pas réfléchies, mais elles sont spontanées, automatiques, influencées par nos émotions, guidées par nos habitudes et fortement influencées par le contexte. Pour remporter la bataille clé en quelques secondes face au rayon, bombarder le consommateur de stimuli marketing persuasifs en amont ne suffit plus. Et certains comme Byron Sharp prônent aujourd’hui que c’est même l’usage d’une marque qui est le déterminant principal de son image : autrement dit, on aime bien généralement ce que l’on connait bien. Cette optique amène un profond changement de paradigme : le passage d’un modèle marketing déterministe visant la construction de l’image en analysant les intentions des consommateurs, à un modèle marketing plus probabiliste tourné vers le changement des comportements par l’observation.
Construction de la part de marché ou croissance du marché ?
Le Mass Marketing traditionnel nous dit « l’objectif prioritaire d’une marque est de gagner de la part de marché».
Face à une offre pléthorique et à des différences difficilement perceptibles, remporter une bataille frontale avec son concurrent direct devient ardu, coûteux et incertain. Pour les marques déjà solidement implantées sur leur marché, assurer une croissance pérenne implique de développer la catégorie à long terme. C’est cette logique d’élargissement de la demande que Kim et Mauborgne ont décrite dans Blue Ocean, pour pénétrer progressivement des cercles plus larges de non acheteurs. En changeant de perspective, la marque réussit à déplacer son champ concurrentiel sur un nouvel espace non disputé par ses concurrents actuels. Dans l’alimentaire, la bataille se déplace ainsi de la part de marché sur une catégorie donnée à celle de la part d’estomac dans un univers élargi. C’est ainsi qu’en 30 ans, le demi de bière et le sandwich jambon beurre au café ont été en partie supplantés par la quiche et le Coca Cola Light à la boulangerie. Ces approches catégorielles, rejoignent d’ailleurs les intérêts des distributeurs, qui préfèrent la croissance totale d’un marché au jeu à somme nulle de la bataille de part de marché.
Extension sur de nouveaux segments ou focalisation sur le cœur de métier ?
Le Mass Marketing traditionnel nous dit « sur un marché mature, il faut chercher à étendre sa marque sur d’autres catégories pour retrouver la croissance »
L’expansion des marques au-delà de leur marché d’origine suscite toujours envie, intérêt et curiosité, comme nouveau relai de croissance. Aux diversifications réussies comme Bonne Maman, répondent de nombreuses focalisations réussies sur le cœur de métier, comme Lego. Même si elle est moins « glamour », la recherche du plein potentiel sur le cœur de métier permet une croissance généralement plus rentable, souvent moins risquée et enfin moins dévoreuse de capital. Fervent partisan de cette approche, le consultant de Bain Chris Zook a aussi montré que les champions de la croissance pérenne et rentable étaient majoritairement concentrés sur une activité, avec souvent une position de leader à la clé. C’est par la bonne exploitation de ses compétences et de son savoir faire que l’entreprise génère la croissance la plus rentable et la moins risquée, recherchée aujourd’hui par les actionnaires sur les marchés développés. Ensuite et seulement pour les marques bénéficiant déjà d’une position solide sur leur marché d’origine comme Milka, la diversification passe par une approche prudente, pas à pas, vers des catégories adjacentes sélectionnées avec soin. D’ailleurs, plus une marque croît solidement sur son cœur, plus elle est apte à se diversifier efficacement, comme l’illustre Dove bâtie à partir du savon puis étendue dans l’ensemble de l’hygiène Beauté.
Echafaudé lors de phase de croissance prospère sur les bases de théories micro économiques néo classiques datant d’au moins 60 ans, le Mass Marketing doit aujourd’hui se métamorphoser pour apporter aux marques de Grande Consommation de nouveaux leviers de croissance sur les marchés matures. Loin d’être un cri alarmiste, c’est donc un appel à l’audace des propriétaires et gestionnaires de marques pour se réinventer !