Comment rendre nos actions clients plus rentables ?
Une action marketing efficace est basée sur l’analyse conjointe de la valeur et des comportements clients. Comment procéder ?
Grace à la data on peut, à l’instar de Tesco, le Carrefour britannique, proposer des réductions personnalisées. Est-ce efficace ? Sans aucun doute : le taux d’utilisation des coupons de Tesco est de 20% contre… seulement 2% pour les promotions traditionnelles. Pourquoi proposer des actions personnalisées, et comment s'y prendre ?
Seulement deux tiers de nos clients rentables ?
Une étude a révélé que 32% des clients du secteur de la distribution n’étaient pas rentables. Ce chiffre est symptomatique et ce secteur n’est pas une exception. En réalité, les entreprises sont bien souvent incapables de se faire une idée claire de leur rentabilité.
Faute de réconcilier toutes les informations au niveau du client, elles ne parviennent pas à mesurer la « rentabilité complète » (comme on parle de « coûts complets ») de celui-ci. Un client peut générer des revenus mais entretenir une relation avec lui peut coûter encore plus…
Regarder devant soi : se détacher de la valeur passée et des indicateurs produits
Dans les approches traditionnelles, on prend des décisions sur base des performances passées : volume et profits. Mais le passé n’est pas toujours un bon guide.
Imaginons que nous soyons un opérateur historique de télécom : un beau jour une collectivité décide de subventionner un réseau public « nouvelle génération ». Hier nous vendions nos produits en situation de quasi-monopole, aujourd’hui une alternative plus performante et/ou moins coûteuse existe. C’est la structure même de notre activité qui a changée. Dès lors, certains clients commencent à passer à la concurrence. Sans une analyse intelligente, le passé ne nous est d’aucune aide pour les retenir.
Il faut donc se tourner vers l’activité future d’un client, ainsi que sa valeur financière, c'est-à-dire celle basée sur ses profits à venir. Dans le modèle CLV (Customer Lifetime Value ou Valeur Vie Client), la valeur d’un client est définie comme « la valeur actualisée nette de l’ensemble des profits futurs ». On ne calcule pas uniquement la rentabilité d’un produit mais celle de l’ensemble du portefeuille client. En pratique, ces profits futurs sont estimés au moyen de modèles statistiques.
Et en l’état, le meilleur prédicteur du comportement futur reste le comportement passé. C’est bien entendu du comportement de nos clients (nombre de transactions, montants, usage du service, etc.) que découle leur valeur. On doit donc s’attacher à prendre en compte les deux dimensions (valeur et comportement) en même temps.
En pratique : comment mettre en place des actions basées sur la Customer Lifetime Value ?
1) Comment identifier et cibler les clients les plus rentables ?
Reprenons l’exemple d’un projet de rétention, dans un secteur arrivé à maturité (forte concurrence, focus sur le cost-killing), les clients risquent de partir. Une campagne de rétention est coûteuse, on veut qu’elle soit la plus rentable possible : on la destine logiquement à nos clients les plus rentables (CLV) et les plus à risque en termes d’attrition (ceux qui ont une probabilité faible de rester client).
Dans son ensemble, cette analyse comportement/valeur peut être représentée de la façon suivante :
Nous sommes dans la partie en haut à gauche, on voit que la problématique de rétention n’est qu’un exemple parmi d’autres. Cette approche a montré son efficacité dans de nombreux secteurs et dans de nombreux cas. Dans la vente par correspondance par exemple, les 30% de clients les plus rentables selon la CLV se sont effectivement révélés un tiers plus rentables que ceux identifiés par un modèle « classique » (RFM.)
Dans le cadre d’un projet de rétention, nous cherchons à conserver les revenus que les clients génèrent. Pourquoi pas au prix de concessions sur les prix ou de conditions avantageuses : si nous n’avions rien fait, nous les perdions complètement.
Les opérateurs télécom l’ont d’ailleurs bien compris puisqu’ils nous appellent pro-activement pour nous expliquer que nous payons trop cher notre abonnement chez eux et nous proposer un nouveau contrat moins cher. En fait, c’est bien un algorithme qui a détecté que notre valeur future était déclinante : nous allions selon toute vraisemblance résilier notre contrat le mois suivant. Mais après l’appel de notre opérateur, notre valeur future peut être réévaluée à la hausse puisque nous sommes réengagés pour 12 mois !
2) Comment prioriser les actions ?
Plusieurs actions sont possibles (sur les prix, sur l’offre, sur les conditions), il faut prendre en compte la valeur attendue des actions qu’on préconise. C’est l’idée bien connue du Return on Marketing Investment (ROMI) : on se concentre sur les actions qui génèreront le plus de valeur pour notre entreprise.
Prenons de nouveau l’exemple d’une campagne de rétention. Pour prioriser une action nous avons besoin d’en connaitre l’impact attendu. Nous avions déjà : la probabilité pour le client de rester (anti-churn) et sa CLV qui nous donnait un premier élément de priorité. Nous rajoutons : une typologie d’actions à prendre, et l’impact de ces actions sur la CLV, chaque action ayant un impact attendu différent en fonction du client. Cet impact sera estimé aussi au moyen de simulations et de modèles statistiques, les mêmes qui auront servi à la prédiction de la probabilité de rester ou de la CLV. Le premier client à contacter sera donc celui dont le ROMI attendu est le plus important :
Il est vrai que les modèles nécessaires à ces calculs demandent une certaine expertise, mais de nombreux articles couvrent le sujet.
Ces principes ne s’appliquent pas seulement à des actions de rétention ou au secteur des télécoms. Par exemple dans la banque, certains clients peuvent être peu rentables pour le moment, mais seraient prêts à acheter des services à plus haute valeur ajoutée. Il faut alors envisager de faire de l’up-sell (proposer des contrats premiums, services complémentaires, etc). Ce qui correspond à la partie en bas à droite de notre schéma présenté plus haut. Ce qui détermine les clients à cibler en priorité, c’est, à nouveau, l’impact attendu sur la CLV : quel est le couple client/service qui présentera les perspectives les plus rentables ?
Conclusion : intégrer une approche prédictive centrée sur la valeur au cœur de notre entreprise
En pratique, l’intégration d'une approche prédictive centrée sur la valeur dans une entreprise peut constituer une "petite révolution culturelle".
Tout d’abord, les vendeurs ont souvent bien du mal à accepter de baser leurs actions sur des modèles statistiques. Il est vrai que les modèles peuvent être complexes, et ne sont jamais fiables à 100%. Mais, la question n’est en réalité pas de savoir si le modèle est parfait, mais s’il fait mieux que l’existant « en moyenne ». Ce qui est souvent le cas, c’est bien la force des statistiques.
De plus, traditionnellement, les bonus sont fixés sans considération de rentabilité mais sont définis uniquement sur base des volumes générés. Dans ce contexte, une démarche centrée sur le ROMI et la CLV (donc essentiellement sur la rentabilité) a peu de chance d’être encouragée.
Pourtant cette approche qui met la rentabilité au cœur de nos processus prend tout son sens dans nos marchés arrivés à maturité. Quand la concurrence est forte, acquérir des clients devient de plus en plus coûteux. C’est alors qu’il faut optimiser la rentabilité de nos actions existantes et donc de notre base-client. Il ne fait pas de doute que toute entreprise finira par adopter cette stratégie, même si ce processus est complexe et demande du temps.
Cet article a été écrit en collaboration avec Thomas Jeanneney-Morandeau