L’ordinaire, ce nouvel icône
Longtemps soumise aux diktats du sensationnalisme, de l’imaginaire et de la créativité, l’image s’affranchit peu à peu des codes du sublime pour épouser ceux de l’authenticité. Dans cette démarche de véracité, l’ordinaire constitue alors cet univers familier que l’on se plaît enfin à défricher au service du vrai — ordinary is the new cool
Rompre avec le sensationnel, le fantasque et les faux semblants.
Renouer avec le réel, le quotidien et l’ordinaire.
Tels sont les postulats d’une génération en quête de sens et qui semble dessiner, autour de ses besoins, les contours de nouvelles tendances esthétiques. Plus éduquée mais surtout plus exposée à l’hypercommunication, elle ne souhaite rien d’autre que de garder un pied dans le réel tout en en détournant les codes. La créativité n’est pas morte, la beauté n’est pas enterrée mais toutes deux sont désormais au service d’une authenticité sans cesse interrogée. L’adhésion à une marque et à son univers passent aujourd’hui par la transparence et la sincérité de son discours : pour les millennials, cible par excellence, l’important réside même dans son authenticité (36%)[1]. La consommation doit être ancrée dans la réalité et les annonceurs ne doivent plus seulement permettre l’évasion mais aussi incarner une certaine dimension sociale. Les filtres tombent, les codes visuels se délient et naturellement, dans cette célébration permanente du vrai, le recours à l’ordinaire prend tout son sens : il se donne à voir pour ce qu’il est et non pour ce qu’il devrait être, assumant les banalités du réel immédiat pour en sublimer ses défauts. En réhabilitant les décors du quotidien, on se plaît à rêver de l’ordinaire.
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Marques, influenceurs, célébrités et même simples utilisateurs se placent souvent en modèle unique d’une mise en scène aussi sublimée que dévoyée. La popularité de réseaux comme Instagram qui permet à chacun de constituer un « magazine de son quotidien » sous des filtres idéaux a accentué cette tendance à la starisation de l’individu — et c’est précisément pour prendre celle-ci à défaut que la tendance de l’ordinaire fait un retour certain. À l’image du projet « Ordinary is the new trendy » de la jeune photographe Victoire Pinel, qui décide de marquer une rupture avec les codes actuels en mettant en scène des stars dans des situations ordinaires. On y voit ainsi des célébrités faire leurs courses, leur lessive, prendre les transports en commun ou encore descendre des poubelles. Soit une narration du quotidien à travers des visages notoires. En désacralisant les idoles et en les plongeant dans une réalité anonyme, ces photographies ne suggèrent pas seulement une certaine idée du vrai : elles en célèbrent la beauté en le rendant accessible.
Faire de l’ordinaire un style à part entière autant qu’universel, c’est aussi le pari de certaines marques qui n’hésitent plus à s’inspirer de la « normalité » pour leurs créations. Dans l’univers de la mode, l’ordinaire se décline même sous plusieurs formes, reprenant aussi bien des éléments d’un passé has been que ceux d’un présent anonyme. C’est le cas de Balenciaga et de sa collection printemps-été 2018 qui reprend les codes normcore et dadcore qui font la part belle aux coupes irrégulières, aux couleurs sobres et aux associations spontanées. La marque fait ici la promesse du vintage mais surtout du look anonyme, qui se revendique autant qu’il se porte. Le quotidien n’est plus un décor mais un objet qui illustre la volonté de quitter le luxuriant pour rester dans l’authentique. L’ordinaire devient ainsi l’exception dans un contexte où l’exubérance est la norme.
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A côté du cadre et de l’apparence, l’ordinaire réside aussi dans l’individu en tant que sujet soumis aux réalités de son environnement immédiat. Et notamment à celles de ses imperfections que les chantres du « body positive » appellent à assumer sous toutes leurs formes. Comme nous l’avions vu précédemment, l’imperfection, en tant que promesse d’authenticité et de diversité, devient une importante dynamique visuelle portée par des nombreux acteurs de la communication (comme l’actrice Léa Dunham ou la marque Monki). Désacraliser le corps pour mieux en faire l’éloge : l’ordinaire est au service de la vérité et permet d’en incarner les primats. L’image se consomme au naturel, sans nul autre propos que ce celui de la sincérité. Comme cette publicité pour les serviettes hygiéniques qui représente la couleur « normale » des menstruations pour en rendre normal le phénomène.
Romain Scozzaro