Une planète fertile, mais encore confuse...
Longtemps considéré par les distributeurs comme un segment marginal porteur
de sens, mais un peu "amateur", le bio prouve en 2002 qu'il faut désormais
compter avec lui. C'est ce que démontrent les deux études commandées à CSA TMO
et ACNielsen par Tarsus Groupe MM et Setrabio (1), respectivement organisateur
et partenaire d'Organex Paris, le premier salon professionnel français des
produits bio, dont la FNAB (1), Synadis (1) et Ecocert (1) sont également
partenaires. Une vaste enquête qui chiffre ce que beaucoup se contentaient
d'estimer, et confirme que si les Français aiment le bio - sept sur dix en
consomment en 2002, contre un sur deux seulement il y a un an -, la grande
distribution aussi.
Et pour cause. Ce marché pèse déjà prés de 4 % du chiffre d'affaires
des produits alimentaires vendus en libre-service dans les grandes surfaces
alimentaires. Et les hypermarchés détiennent déjà 52 % du créneau, contre 29 %
aux supermarchés et 18 % aux spécialistes. Carrefour tient la tête avec 18 % du
marché en valeur, suivi de près par Leclerc, qui s'est lancé plus tard que lui
dans l'aventure, mais décroche tout de même 13 % du gâteau et le dépasse même
sur le terrain de l'épicerie sucrée. Le bio plaît au grandes surfaces
alimentaires. Il y a progressé de 19 % en valeur cette année. Et a touché 52 %
des Français qui lui consacrent en moyenne 65,4 euros par an. Et, de l'avis de
66 % des distributeurs, cela va continuer. Pour un tiers d'entre eux, en effet,
l'évolution de la demande est inéluctable, notamment parce qu'ils estiment à 30
% que ce concept répond peu ou prou aux inquiétudes des Français en matière
alimentaire. Pas étonnant, dans ce contexte, que 69 % des distributeurs soient
favorables au développement des marques propres. La moitié d'entre eux a déjà
franchi le cap, comme Monoprix, Champion, Cora, Carrefour ou Casino qui, après
les hypermarchés, lance désormais sa gamme également dans ses supermarchés. Et
près de 20 % des distributeurs interrogés disent étudier la question. Au total,
les Français dépensent ainsi 20,3 euros en moyenne par an pour acheter des
marques de distributeurs bio, contre 45,1 euros aux marques de fabricants. Mais
que les marques se rassurent, elles occupent encore largement le terrain
puisque 58 % des foyers acheteurs disent les acheter, contre 26 % pour les MDD
bio.
Que de chemin parcouru en cinq ans. Il est loin le temps où quelques
références seulement venaient s'incruster dans le rayon diététique. Désormais,
ce sont toutes les familles des produits frais qui offrent une alternative bio
(voir tableau). Même si les produits laitiers frais ont pris une longueur
d'avance. Soutenus aussi bien par de grandes marques marketées que des labels
plus modestes, ils ont réussi à s'emparer de près de 40 % du marché bio et
surtout à prendre 9 % du rayon laitier frais. Mais ce succès a ouvert des
voies. Et notamment celle qui consiste à traiter les produits bio, non plus
comme des produits à part, mais comme un segment à part entière du rayon de sa
famille. Un choix d'implantation judicieux puisqu'il a sorti le bio du rayon
diététique et a séduit autant les distributeurs que les consommateurs. 58 % des
distributeurs reconnaissent d'ailleurs gérer leur assortiment comme un
assortiment conventionnel. L'étude ACNielsen/Organex montre, par exemple, que
l'épicerie salée représente en valeur 4 % du rayon sur lequel elle est
implantée et les produits frais non laitiers 6,2 % de leurs rayons respectifs.
Mais, si la jeunesse du bio lui prodigue sa vitalité, elle lui vaut aussi
quelques petits problèmes. A commencer par un certain manque de culture
marketing. Si l'on excepte certaines marques nationales, qui tournent
habilement autour du concept bio sans toujours en être, comme la fameuse marque
de produits ultra frais Bio de Danone, la plupart des fabricants de produits
bio ont avant tout une culture du produit ou de sa transformation.
En 2002, prime aux GSA
Ce qui constitue certes un avantage en termes de crédibilité, mais peut
s'avérer handicapant quand on se frotte aux marchés de grande consommation. De
sorte que règne encore sur ce secteur une forme de confusion. Confusion des
genres d'abord, puisque la plupart des acheteurs assimilent les marques de
diététiques à des marques bio (tableau). Quand ils ne font pas carré- ment
l'amalgame avec des marques nationa- les, comme Danone (5 %), Lactel (5 %),
Bridel (3 %) ou Nestlé (3 %). Confusion également en ce qui concerne les
attentes des uns ou des autres. L'étude met ainsi en évidence les écarts qui
existent entre les produits que les distributeurs croient devoir développer et
ceux que les consommateurs demandent vraiment (voir tableau). Ainsi, alors que
les consommateurs réclament en premier lieu des fruits et des légumes bio (65
%), ces derniers n'arrivent qu'à la quatrième place dans les projets des
distributeurs... Quant à la viande, elle se place en deuxième position des
préoccupations des Français, mais à la sixième des distributeurs. Alors que,
justement, les produits carnés sont ceux qui préoccupent, et de loin, les
Français (84 %) en matière de risques alimentaires. Est-ce dû à une divergence
de point de vue ou simplement à une autre confusion, cette fois dans le domaine
de l'information ? C'est ce que tendent à prouver les résultats de l'enquête
CSA TMO. 61 % des distributeurs disent qu'ils sont insuffisamment informés et
qu'ils désirent plus de repères sur les produits. Quant aux consommateurs, ils
doivent à 64 % se contenter d'une information généraliste prodiguée par la
télévision. Un quart d'entre eux comptent sur le bouche à oreille. Mais seuls 8
% des Français interrogés trouvent leur compte dans les catalogues des magasins
ou les promotions sur le lieu de vente (13 %). Un manque d'animation et de
promotion également regretté par les distributeurs. Et ce n'est pas le taux de
4 % en moyenne de produits bio en promotion qui va les satisfaire, quand on
sait qu'ils sont habitués à des taux de 18 à 20 % sur les autres produits. Pas
plus qu'ils ne se satisfont du manque d'investissements publicitaires sur ce
secteur. 22 % des distributeurs citant ce problème comme un des freins au
développement du secteur. Au passage, l'étude montre également que si 60 % des
distributeurs communiquent sur les produits bio à travers leurs prospectus, la
presse locale, voire l'affichage, il en reste tout de même 40 % qui ne le font
pas. Ce qui tendrait à prouver que les torts en la matière sont peut-être
partagés. Quant au prix du bio, lui non plus ne fait pas l'unanimité. Ces
produits sont encore jugés trop chers puisqu'ils dépassent souvent de 30 à 150
% le prix de la marque nationale leader. Soit beaucoup plus que les 9 à 10 % de
coûts supplémentaires que les consommateurs et les distributeurs se disent
prêts à mettre. Quant aux produits eux-mêmes, et malgré leur qualité reconnue,
les distributeurs évoquent tout de même leur relative fragilité (10 %), voire
quelques ruptures de stocks (7 %). A l'heure où le bio inaugure son premier
salon professionnel, Organex, il peut donc compter sur un premier bilan positif
de ses cinq premières années passées dans la grande distribution et de sa
décennie dans le commerce spécialisé. Même si la question de son développement
reste en suspens. Et plus particulièrement celui de sa communication et de
l'information sur les produits. Les fournisseurs et les distributeurs
sauront-ils trouver ensemble une manière de faire entrer le bio dans l'ère du
marketing sans qu'il perde son âme ? Là est la question. Le bio est bon. Encore
faut-il qu'il soit économiquement logique. (1) Setrabio : Syndicat des
transformateurs de produits biologiques ; Synadis : syndicat national des
distributeurs de produits biologiques ; FNAB : Fédération nationale de
l'agriculture biologique ; Ecocert : organisme de contrôle et de certification.
Méthodologie
CSA TMO : l'étude quali sur la distribution a été réalisée auprès de 108 acteurs de la distribution, interrogés par téléphone du 18 au 20 mars 2002, sur la base d'un questionnaire de 15 minutes. Selon la répartition suivante : 91 GSA (gran- des surfaces alimentaires), dont 36 hypermarchés (responsables de magasins ou des produits alimentaires), 11 magasins bio d'une taille moyenne de 112 m2 (de 35 à 400 m2), auprès des gérants, responsables du magasin. Et 6 centrales d'achat, auprès des responsables des produits alimentaires et coordinateurs produits... Les résultats consommateurs sont issus d'une étude réalisée en mars 2002, auprès d‘un échantillon représentatif de 1 000 Français, âgés de 18 ans et + interrogés par téléphone. ACNielsen : le baromètre annuel Organex Paris a été établi auprès d'un échantillon de 8 500 foyers à partir du suivi, dans le cadre du panel Homescan, de 3 596 codes EAN, validé par ACNielsen/Organex sur sept marchés (épicerie salée, liquides, frais laitiers, frais non laitiers, fromages LS, surgelés, épicerie sucrée), de mars 2001 à février 2002. L'ensemble des études est disponible auprès d'Organex/Tarsus groupe MM.
Bio-addict : la loi des 90/20...
Défiant la fameuse loi des 80/20 qui voudrait que 80 % du business du bio soit réalisé par 20 % des ses clients, le marché bio est généré à 89 % par 17 % de ses fidèles. Ceux que l'on appelle les gros acheteurs et qui lui consacrent en moyenne 343 euros par an. Mais là n'est pas la seule spécificité du client bio. L'étude CSA TMO dévoile un consommateur plutôt âgé, 48 % des 18-24 ans ne consomment en effet jamais de produits bio, alors que 70 % des 50-64 ans en sont adeptes. Tout comme les cadres et employés qui déclarent en acheter dans 74 % des cas. Le panel ACNielsen Homescan met également en évidence une surreprésentation de la Région Parisienne et du Sud de la France. Mais, si le prix reste un frein à l'achat des produits bio, le concept est entré dans l'univers de références des Français. 89 % d'entre eux souhaiteraient le voir arriver en restauration collective et 91 % dans les cantines scolaires.
Le "poids" significatif des produits alimentaires bio
% des produits bio dans le CA alimentation (DV)
Ensemble : 12 % Hypermarchés : 3,2 % Supermarchés : 3 % Magasins bio : 93 % Centrales d'achats : 1 %
% des produits bio dans les références alimentaires (DN)
Ensemble : 13 % Hypermarchés : 3,2 % Supermarchés : 3,3 % Magasins bio : 94,1 % Centrales d'achats : 2,6 % Source : CSA/TMO-Organex