Trouver la cible et la puissance
La multiplication des offres médias groupées a été l'un des faits les plus marquants du marché publicitaire en 1999. Déjà entamé depuis quelques années, le phénomène a pris davantage d'ampleur depuis quelques mois. Cette mode touche essentiellement la presse qui a besoin d'entrer dans une vraie problématique de mass média. Il convient toutefois de séparer le bon grain de l'ivraie dans une multitude d'offres recouvrant des logiques très différentes.
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Cadres Hebdo, Great News, PQN 5, Marily... L'année 1999 aura vu l'arrivée
en masse des couplages dans la presse. Un boom qui répond autant à une
véritable recherche de visibilité des titres qu'à un phénomène de mode et de
réaction en chaîne. A la rentrée 1999, une étude du département conseil presse
de Médiapolis France recensait 71 packages publicitaires proposant une
couverture nationale et actifs toute l'année. Une offre pléthorique.
L'appellation "couplage" étant parfois ressentie de manière plutôt péjorative,
d'aucuns lui préfèrent le terme d'offre médias. « La notion de couplage inclut
uniquement celle de taux de diminution de tarifs. Il est préférable de parler
d'offre médias, déclare Herbert Michaelis, directeur général du groupe
Interdeco. On prend une cible et on essaie de regrouper des magazines touchant
celle-ci en offrant des tarifs attractifs. » Historiquement, c'est le lancement
du 66 x 3 par la presse quotidienne régionale en 1991 qui a initié un mouvement
plus vaste touchant la plupart des segments de la presse française. Cette
première véritable success story repose essentiellement sur une simplification
de l'offre. Face à la multitude d'interlocuteurs pour mener une campagne
nationale dans les quotidiens régionaux, ceux-ci ont dû se grouper pour
faciliter l'accès à leur média. En 1999, le PQR 66 dépasse allégrement le
milliard de francs de chiffre d'affaires, en progression de 100 % par rapport à
1998. Outre un effet d'entraînement, ce référent a montré la viabilité d'une
offre bien pensée et simple d'utilisation. Résultat : la presse quotidienne
nationale s'est aussi fendue de deux couplages actifs, Plein Cadre (les Echos,
l'Equipe, le Monde) et Piment (le Figaro, la Tribune, Libération et le Journal
du dimanche). Des offres répondant à une certaine demande du marché. « Les
médiaplanneurs cherchent des produits puissants, simples d'utilisation et
économiques, estime Nicolas Wattinne, directeur général d'Echofi, régie
publicitaire des Echos. Certains annonceurs trouvent parfois la presse
difficile à utiliser. Il faut leur simplifier l'accès au média. » Reste que,
derrière cet élargissement de l'offre, se cache aussi un besoin de se
positionner plus efficacement vis-à-vis des autres médias, souvent plus simples
d'utilisation et plus puissants. « Les offres commerciales se sont multipliées,
répondant évidemment à un besoin pour la presse de se structurer de manière
concurrentielle par rapport aux autres médias. Il s'agit d'un contexte
défensif, analyse Luciano Bosio, directeur général adjoint de Carat Expert. En
presse, il n'existe quasiment pas de titres incontournables. »
TROUVER UNE CERTAINE UNITÉ
Segmentée, se battant en
ordre dispersé, la presse souffrait globalement d'un manque de structure pour
attaquer clairement des concurrents dont l'unicité et la puissance servaient
d'atouts principaux. « Nous nous battons contre des mass médias. La presse
magazine est désormais moins atomisée et le marché publicitaire se sent dans un
meilleur partenariat avec nous », souligne Herbert Michaelis. Il ne faut
toutefois pas négliger le contexte concurrentiel interne à la presse qui se
révèle par l'apparition successive de couplages concurrents. Une problématique
illustrée, entre autres, par les lancements consécutifs et retentissants, au
milieu de l'année 1999, de Cadres Hebdo (l'Express, l'Equipe Magazine et
Télérama) et de Great News (le Point, Paris Match, le Figaro Magazine et le
Nouvel Observateur). « Pour Cadres Hebdo, la base repose sur la complémentarité
des territoires, explique Corinne Pitavy, directrice commerciale et marketing
de l'Express. Compte tenu de son ticket d'entrée, il peut avoir une fonction de
coeur de plan. » Sur un secteur des news en bonne santé, l'association Great
News propose un surcroît de puissance. « Cette offre regroupe des magazines qui
se situent sur le même terrain, celui de l'actualité, note Herbert Michaelis.
Elle joue sur le contrat de lecture de l'actualité. » Ces packages cherchent
avant tout à développer leur légitimité propre et la raison concurrentielle est
souvent évacuée par les régies. Dans la lutte des couplages, l'avantage revient
souvent à l'initiateur. La prime au premier entrant est bien réelle, sachant
que les supports qui prennent l'initiative de s'associer sont souvent dans une
logique plus offensive que les suiveurs. Il convient ensuite d'effectuer
l'arbitrage entre la couverture et le coût de l'offre si plusieurs couplages
portent sur des cibles ou des contextes éditoriaux proches. « Cette offre en
effervescence s'apparente souvent à une bataille commerciale de parts de marché
», constate Aline Moreau, directeur du département conseil presse de
Médiapolis. Mais cette multiplication des packages publicitaires répond
également souvent à une nécessité d'élargissement des secteurs annonceurs dans
un segment de presse. C'est notamment le cas de Pack 3, le plus puissant des
couplages (TV Magazine, TV Hebdo et Télé 7 jours), destiné à attirer des
annonceurs surtout présents en télévision ou des annonceurs dont les intérêts
premiers ne reposent pas sur un plan presse. « Les couplages sont souvent
faits pour attirer des secteurs hors captifs ; sur les secteurs captifs, les
coûts pour mille peuvent être plus élevés », remarque Aline Moreau. Selon le
principe que l'union fait la force, il est plus facile de démarcher à plusieurs
des annonceurs qui ne sont pas des utilisateurs de presse convaincus, ou qui se
servent uniquement de titres offrant un lectorat en affinité avec leur cible.
Une logique de puissance peut donc les intéresser. Sans oublier un besoin de
reconnaissance et d'identification des titres auprès du marché publicitaire. «
Un couplage permet de donner de la visibilité à des performances de
médiaplanning, il sert pédagogiquement à l'offre », note Anne-Claire de la
Vigerie, directrice commerciale de Télémap (Télé Star et Télé Poche). « Le plus
produit pour un couplage est l'expertise sur un média donné, ajoute Bruno
Ricard, directeur marketing du SPQR. La mise en place du PQR 66 a, par exemple,
permis de mener des études en commun. » Des annonceurs aux moyens limités
peuvent aussi voir dans les couplages l'occasion d'accéder à des titres qu'ils
n'auraient pu s'offrir individuellement. « De petits annonceurs peuvent
bénéficier de conditions générales de vente favorables transversalement »,
précise Luciano Bosio. Le lancement d'un package publicitaire demeure
l'occasion de se repositionner et de communiquer auprès du marché publicitaire
pour sortir d'une situation bien installée. Bref de relancer une dynamique sur
un titre ou une famille de presse. De la valoriser auprès du marché. « Les
offres groupées de la PQN témoignent d'une nouvelle dynamique, analyse Nicolas
Wattinne. D'ailleurs, la plupart des titres se sont bien relancés ces deux ou
trois dernières années. Ces couplages montrent que les titres peuvent s'unir,
ce qui concoure à la valorisation globale du média. L'effet image est
important. Il est beaucoup plus valorisant de communiquer sur les synergies, à
cela s'ajoute l'effet business. » Toutefois la PQN s'est peut-être engagée dans
un processus risqué avec le lancement de PQN 5 (le Monde, le Figaro,
Libération, les Echos et le JDD). Malgré les dénégations ou les non-dits, cette
initiative semble plus provenir de conflits d'intérêt que d'une vraie logique.
« Il y a une vraie cohérence dans cette offre, oppose Nicolas Wattinne, et la
possibilité de déborder d'annonceurs du business to business vers la
consommation personnelle. » « PQN 5 est plus un couplage d'affinité de régies
que de cibles », juge Aline Moreau. Si Plein Cadre ne semble pas devoir être
abandonné, vu son succès (70 campagnes en 1999), l'image de la PQN n'est pas
forcément valorisée par cette nouvelle offre. « La cohérence éditoriale de PQN
5 ne fait pas oublier que Plein Cadre est plus performant sur des cibles
stratégiques », constate Luciano Bosio.
UN BESOIN DE NOTORIÉTÉ
Dans une logique de reconnaissance du marché
publicitaire, le lancement de PHR sur mesure, durant l'été 1999, s'avère
exemplaire. Si la presse hebdomadaire régionale est souvent bien implantée sur
des zones restreintes, elle souffre d'un total manque de visibilité au niveau
national. Du coup, les éditeurs de PHR se sont groupés afin de mettre en place
une régie commune, Espace PHR, qui leur permet de proposer aux annonceurs une
offre cohérente et identifiable. « La PHR souffrait d'un problème de notoriété,
auquel s'ajoute le fait qu'il s'agit d'une somme de supports et d'une offre
média parcellaire avec une certaine complexité tarifaire », explique Emmanuel
de Chevigny, directeur marketing de Régions Communication. Sur un concept
proche du PQR 66, la PHR a donc lancé son offre pour exister auprès du marché
extra-local. Une approche aussi rendue nécessaire par le succès rencontré par
la presse quotidienne régionale. « Avant PQR 66, quand la PQR était traitée
comme de la presse régionale, la PHR était achetée en même temps. Il est
nécessaire de la remettre dans le contexte de la presse régionale », précise
Danièle Grancher, directrice commerciale d'Espace PHR. Une initiative qui
devrait éviter la marginalisation du média. Sur un marché publicitaire en
pleine croissance en 1999, difficile de savoir si les offres packagées ont
contribué à booster les investissements, ou si ceux-ci ont profité d'un
contexte globalement favorable. Les deux facteurs ont probablement coïncidé,
les investissements ayant été peut-être un peu plus forts du fait de
l'existence d'une offre commune. Séparer la partie conjoncturelle et la partie
structurelle s'avère donc compliqué. « Aujourd'hui, les annonceurs sont
confrontés à deux éléments importants, la valorisation de leur marque et
l'efficacité publicitaire, indique Herbert Michaelis. Dans cette période de
redémarrage de la croissance, la valeur des marques prend de l'importance. La
presse magazine donne de la valeur aux marques et en plus, elle apporte de la
puissance et de l'affinité. » Parmi la multitude de couplages, les logiques
marketing et commerciales sont souvent assez variées et sortir un modèle commun
se révèle parfois ardu. Toutefois certaines règles prévalent dans la mise en
place d'un couplage réussi. « Il y a trois règles d'or pour la mise en place
d'un couplage, annonce Bruno Ricard. Il doit simplifier la démarche des
acheteurs, ce qui offre de l'économie de temps aux intermédiaires ; ce qui,
compte tenu de la tension sur les marges, n'est pas négligeable. Le couplage
doit aussi être économique par rapport à l'achat titre à titre. Enfin, il doit
être cohérent au niveau de sa couverture et au niveau de sa cible. » Ces trois
règles respectées, le couplage est mis sur les rails du succès. Mais ce n'est
pas forcément le cas pour toutes les offres groupées. Pour Luciano Bosio, « il
y a deux types de produits différents. D'un côté des produits alliant plusieurs
éditeurs ou plusieurs régies mettant ensemble de bons supports répondant à une
logique marketing, des performances sur cible et intéressants commercialement.
D'un autre côté, il y a des couplages avec un seul éditeur, avec un ou deux
bons titres. Ce sont des couplages d'empilement que le marché refuse
d'utiliser. Il y a une masse d'offres de volume qui ne sont pas intéressantes
».
PRÉSERVER L'IDENTITÉ DES TITRES
Les couplages
groupe ou régies ne sont cependant pas tous à rejeter d'emblée, s'ils
respectent les règles de cohérence d'une offre commune. Par exemple, le
couplage du groupe Pearson Euroleader (les Echos, le Financial Time et
Expansiòn) offre des cibles similaires dans trois pays européens. Un couplage
peut également permettre à des titres d'exister sur le marché publicitaire
alors que leur diffusion individuelle présente un manque de puissance certain.
« Les couplages regroupent de petites régies avec une expertise de cible ou de
grosses régies », constate Aline Moreau. Quel que soit le type de couplage, il
est néanmoins certain que les experts médias connaissent leur valeur et les
utilisent suivant leur intérêt. Même si un couplage un peu boiteux où un titre
fort tire un support plus faible peut permettre de réaliser de bons coups
tactiques. La logique de couplage offre toutefois des limites qui se trouvent
dans l'essence même des supports presse. « Derrière ces couplages, le côté
qualitatif de la presse, la personnalité des titres doit demeurer. Il ne s'agit
pas de rentrer dans une vente de la presse au kilo », souligne Nicolas
Wattinne. Une logique de puissance est en effet susceptible de limiter la
valeur de ciblage de la presse, sa principale qualité publicitaire. « Un
package peut lisser les aspérités de certains titres », prévient Aline Moreau.
Certaines cibles s'avèrent toutefois privilégiées en matière de couplage. Ce
sont essentiellement les cadres (16 couplages selon Médiapolis), les femmes (17
couplages) et les enfants/adolescents (19 couplages). Mais la multiplication
des packages peut entraîner un effet pervers que l'offre était destinée à
éviter, le manque de visibilité. S'y ajoute la difficulté d'analyser la
pertinence de l'offre. « Il n'est pas plus compliqué d'analyser les différentes
offres que d'analyser les titres, tempère Luciano Bosio. Le côté simplification
de l'accès au média l'emporte. » Dans leur construction les couplages demeurent
difficiles à comparer. Certains sont réservés à des annonceurs particuliers,
d'autres à des secteurs. Certains jouent sur la puissance, d'autres sur
l'économie. « Les couplages simplifient l'achat d'espace mais rendent complexe
l'analyse financière », regrette Aline Moreau. Les couplages risquent également
d'être victimes de leur succès, et devant l'afflux d'investissements se pose le
problème de l'émergence. « Le boom des packages va-t-il entraîner deux types
d'offre, le titre à titre et le couplage, soit une presse à deux vitesses ?,
s'interroge Aline Moreau. Il faut faire attention au phénomène de concentration
des investissements qui peut renforcer l'encombrement. Il n'y a aucune garantie
d'emplacement sur les couplages.»
D'AUTRES MÉDIAS MOINS ENGAGÉS
Face à l'émergence du Web, se pose désormais une nouvelle
question pour la presse, le développement des synergies entre les deux
supports. « Je suis moins convaincu à court terme de la pertinence des
couplages plurimédias, déclare Nicolas Wattinne. Face au développement du site
et de la publicité en ligne, nous avons à coeur de développer chaque support
indépendamment. On n'y viendra peut-être pas tant que la publicité en ligne est
émergente. » Les médias audiovisuels, moins confrontés à des problèmes de mass
médias, sont moins clairement engagés dans une problématique de couplage.
Surtout de couplages inter-régies. Sachant qu'il existe seulement trois grandes
régies nationales. En radio, chaque régie développe son produit. Le produit
First d'IP (5 stations) propose, par exemple, des performances sur cibles avec
un minimum de couverture assuré. Un couplage comme les Indépendants entre quant
à lui dans un rôle assimilable à celui de PQR 66, avec la couverture du
territoire via des petites stations incapables d'avoir des annonceurs nationaux
individuellement. Cela peut aussi être le cas pour les offres les Franciliennes
et les Parisiennes. Quant à la télévision, la problématique semble quelque peu
différente. Elle est déjà dans une phase où chaque chaîne possède sa visibilité
propre et n'a aucun besoin de se grouper pour développer les investissements. «
En télévision, les outils de médiaplanning sont très sophistiqués, précise
Luciano Bosio. Les chaînes thématiques vont probablement prendre ce chemin du
couplage car elles s'apparentent à des magazines, mais aujourd'hui, elles n'ont
pas de données d'audience à la hauteur. » C'est donc la presse qui invente le
plus dans ce domaine. La poursuite de la croissance des offres groupées sur ce
média est un phénomène difficile à évaluer. Cependant, il est quasi certain que
la situation devrait s'épurer via une sorte de sélection naturelle entre les
bonnes et les mauvaises offres.