Tout est devenu connexion avec le consommateur
Tensions économiques, nouveaux médias, évolution du consommateur… Autant de nouvelles donnes qui poussent les agences de publicité à plancher sur leur avenir. Pour Hervé Brossard, Chief Client Officer de DDB Worldwide et président de l'AACC, elles doivent repenser leur organisation pour faire face à une communication devenue indivisible.
L'AACC a lancé fin janvier, avec TF1 Publicité et le Club des Annonceurs, l'association “Expressions de Tendance” visant à mieux appréhender la société. Est-ce là un véritable enjeu pour les agences de publicité ?
Hervé Brossard : Quand on se penche sur les sujets abordés tant à Davos qu'au Palais de Tokyo lors de la Semaine de la publicité fin 2005, que ce soit avec les annonceurs ou avec les médias, en France ou à l'international, tous les thèmes sont semblables puisque l'on parle certes de développement économique mais aussi de société ou de politique. L'international est capital, mais on ne peut pas aujourd'hui se tourner vers la Chine ou l'Inde sans se pencher sur les problèmes de société. De la même manière, en France, nous ne pouvons plus aborder les sujets qui intéressent le consommateur français uniquement à travers l'angle marchand. Nous sommes donc bien obligés de tenir compte de la société, de son état d'esprit, de son état économique ou social.
La crise de la consommation est évidente. Dans son infidélité, le consommateur échapperait à toutes les prévisions. Partagez-vous cette idée ?
H. B : Le consommateur a changé certes, mais il ne nous échappe pas. S'il a évolué, alors changeons avec lui et remettons-nous en cause. “Expressions de Tendance” a l'ambition de réfléchir sur ce consommateur. Le but est de mieux le connaître. D'autant que certains sont très avertis de nos métiers. L'ambition de l'association est donc basée sur la réflexion et la projection avec la volonté d'accueillir des sociologues, des politiques, des universitaires et chercheurs qui vont nous donner leur point de vue, très complémentaire de nos métiers, sur le consommateur de demain afin que nous nous adaptions à cette société. Le premier cycle aura lieu au mois de juin et portera à la fois sur le système de défiance se traduisant parfois par une rupture entre les différents acteurs de la société et sur la réinvention probable de la société de consommation.
Justement, pensez-vous que la publicité est encore adaptée aux attentes de ce consommateur plus curieux, plus expert en publicité ?
H. B : Il faut, en effet, se poser la question de ses nouvelles attentes qui sont dorénavant multiples. Et également trouver les bons outils pour mieux se comprendre et travailler ensemble demain. C'est la raison pour laquelle la manière de travailler que l'on a eue pendant des années, limitée bien souvent à trois médias dominants et à la simple vérification que nos messages étaient bien compris, est révolue. Les attentes ne sont plus monomédia.
Alors quid de la publicité télévisée ?
H. B : Elle reste, même avec une montée impressionnante d'Internet, extrêmement solide partout dans le monde. Et elle évolue. Le passage en force, c'est terminé. Au-delà des autres médias, il y a un côté sociétal. Ce qui nous intéresse le plus à l'AACC, c'est de réfléchir à ce qui se passe derrière l'émission d'un message. Comment la société l'a-t-elle reçu ? Avec les nouvelles technologies, nous avons la chance de pouvoir avoir un retour. Et je pense que l'avenir de la communication, c'est justement de pouvoir échanger avec les consommateurs. C'est ce point de rencontre, et non pas le point de friction, qui sera l'avenir de nos métiers : comprendre le consommateur à travers tous les signes qu'il peut nous envoyer via les blogs et autres outils inimaginables qui vont apparaître dans les cinq prochaines années.
Comment appréhendez-vous le paramètre supplémentaire qu'est Internet ?
H. B : Internet est encore en phase de complément. Il deviendra un média à part entière quand on aura résolu des problèmes de créativité et de réglementation. Internet n'est pas une fin. Cela a été un déclencheur à la fois technologique mais aussi culturel qui nous a tous obligé à repenser les choses. L'arrivée d'Internet nous amène à une redistribution des cartes internationales assez égalitaire tant au niveau des annonceurs que des agences mais aussi et surtout des consommateurs. Au-delà d'un “new deal” entre le trio inséparable annonceur-média-publicitaire, Internet concerne aujourd'hui un consommateur qui a des moyens d'expression, partout dans le monde. Il faudra bien tenir compte de tout cela dans les prochaines années.
Les attentes liées à l'environnement sont-elles également une nouvelle donne ?
H. B : Oui. Le consommateur a d'ailleurs un vrai point de vue sur la communication liée à ce sujet. C'est là où Davos et la France se rejoignent. “Tell me the truth” n'a jamais été aussi présent puisqu'il y a également un respect de société. Ce n'est plus parce que le produit ou la marque que l'on va mettre en avant correspond à un besoin, que le consommateur acceptera cette marque en étant aveugle de la manière dont elle a été fabriquée et d'où elle vient.
Cela oblige donc les annonceurs à revoir leur communication ?
H. B : Le consommateur veut tout savoir et être rassuré sur tout. Cela oblige donc les annonceurs mais aussi les agences à verrouiller leur communication sur bien des points. Sur les produits bien sûr, mais aussi sur le “corporate” où il va falloir de plus en plus montrer que la société est saine et fréquentable. On y vient vite. Aujourd'hui, le développement durable ou la discrimination positive sont des données assez fortement développées en Europe. Les communications “produit” et “corporate” sont désormais très liées. Le “How” (la manière dont le produit a été fabriqué), comme disent les Américains, est devenu aussi important que le “Why” (pourquoi j'achète). Les agences responsables devront, avec leurs annonceurs, en tenir compte dès demain et non après-demain. Et travailler autrement.
Ne va-t-il pas y avoir une incidence sur l'organisation des agences ?
H. B : Si bien sûr. La manière dont fonctionnent les groupes de communication dans le monde en est la plus belle des illustrations. Nous sommes une industrie. Pour preuve, nos sociétés sont cotées en Bourse. Il a bien fallu que l'organisation de nos propres groupes évolue pour s'adapter à la taille, à l'ambition et aux exigences des grands annonceurs. Les agences internationales sont ainsi devenues des groupes de communication qui ont développé d'autres méthodes de communication comme le marketing direct ou l'événementiel. Cela a commencé de manière complémentaire. Aujourd'hui, les groupes utilisent toutes ces méthodes de manière égalitaire pour communiquer sur ces nouvelles valeurs. La communication est devenue indivisible. Tout est média, tout communique. Le média ou hors-médias ne veut plus rien dire puisque tout est devenu connexion avec le consommateur.
Est-ce là une nouvelle difficulté pour les agences ?
H. B : Non, mais nous devons gérer le temps de média de chacun. C'est pourquoi nous sommes des groupes de communication et non plus des agences de publicité. Le temps est fragmenté. Il y a maintenant un temps télévision mais aussi un temps téléphone. La presse écrite, et notamment les quotidiens qui se mettent en ligne aujourd'hui, se rendent compte assez rapidement que le fait d'être on line ne pose pas de problème aux lecteurs traditionnels qui continuent de lire. Il faut donc regarder les évolutions du consommateur, trouver d'autres médias et donc adapter nos structures de manière à ce que l'on puisse rejoindre les attentes de ces cibles multiples. Les jeunes générations se gagnent de cette manière-là. Si aujourd'hui, tous les groupes de communication proposent un éventail de moyens pour toucher ce nouveau consommateur, l'annonceur est en attente de la part de ces groupes d'une réflexion globalisée sur sa marque.
Quelles sont les priorités des annonceurs ?
H. B : Au-delà de la réflexion créative, une grande marque a besoin d'avoir une approche stratégique par rapport à son marché. L'annonceur a très bien compris que les outils sont multiples et que les cibles sont difficiles à joindre. Reste qu'il a besoin de cohérence pour gagner en efficacité. Ses marques doivent représenter des valeurs. Même si l'expression de cette valeur doit être différente d'un pays à l'autre, ce sont clairement les valeurs de la marque qui vont faire la différence pour le produit et aussi pour l'entreprise qui est derrière. Voilà la nouvelle difficulté de nos métiers : être les responsables de cette stratégie de moyens. Il faut orchestrer tout cela et répartir les budgets nécessaires. Le maître mot restant l'efficacité sans nuire à l'image générale de l'entreprise. Ce qui n'est pas simple, puisqu'il va falloir travailler sur la rentabilité tout en gardant le cap face à cette multitude de médias et à des annonceurs un peu déboussolés.
Encore un challenge pour les agences ?
H. B : C'est difficile mais il faut nourrir une marque et en même temps la protéger. La promotion à tout prix des marques doit être pondérée. Ce n'est pas notre rôle. Il faut savoir gérer la pression immense qui pèse sur l'actionnariat. Et à la fois alerter les annonceurs sur les risques qu'ils pourraient faire courir à leurs marques.
Le manque de créativité est de plus en plus reproché aux agences. La création publicitaire a-t-elle encore la faculté de donner envie ?
H. B : Je conteste votre question sur la création. Rien ne permet de faire ce constat. Ce que l'on peut dire, c'est que l'on prend moins de risque car les budgets se sont réduits, les médias multipliés, la frilosité économique a augmenté. La conséquence économique a peut-être abouti à des recyclages de films, à des formats plus courts, à des moyens réduits. De là à dire que les agences aient baissé en matière de créativité, je ne le crois pas. Elles ont des potentiels énormes. Le consommateur de 2006 est né avec la publicité, la connaît bien, l'accepte très bien. Toutes les études qui ont été réalisées nous démontrent qu'il aime la publicité. D'ailleurs, les publiphobes n'ont jamais dépassé 12 % en France.
Comment retrouver le chemin de la créativité dans ce contexte économique pas toujours facile ?
H. B : A partir du moment où les agences ont des structures adaptées et des annonceurs avec lesquels elles sont en confiance, elles sont sur la meilleure voie pour retrouver l'expression créative. Il va falloir inventer une communication à la hauteur des ambitions des nouvelles technologies. C'est difficile, mais pas du tout insurmontable. D'autant qu'agences et annonceurs ont récemment appris à travailler ensemble.
Quels sont les chantiers de l'AACC pour 2006 ?
H. B : Le phénomène d'amélioration des relations entre les agences et les annonceurs est un point clé pour nous. Ce que l'on a mis en place dans le guide co-écrit avec l'UDA va devoir être appliqué tant sur le point de la compétition, de la rémunération que dans les contrats. Ensuite, il va falloir, pour l'AACC, travailler sur l'autorégulation. C'est la reconnaissance de la maturité de notre métier. Cela va surtout éviter que s'abatte sur nous une pluie de lois extrêmement contraignantes et pas toujours adaptées. Autant la loi sur l'obésité est une loi que l'on comprend sur le fond, autant les dangers qui menacent notre métier - je pense à la suppression d'un certain nombre de libertés d'expression en matière de publicité - doivent être combattus. On a également mis sur pied, en 2005, le Prix de la communication citoyenne. Le rapprochement entre le milieu politique et celui des médias nous a paru très intéressant. D'abord parce qu'il permet de résoudre un problème de société. Et, grâce à lui, nous avons commencé à revaloriser l'image de la publicité par des actes de société et d'efficacité vis-à-vis des annonceurs.
Et le défi pour les agences de publicité en 2006 ?
H. B : Il est double. Les grandes agences doivent continuer à produire une communication créative et adaptée à l'évolution du consommateur ainsi qu'à l'arrivée des nouveaux médias. Les agences des grands groupes ont désormais deux contraintes : satisfaire le client annonceur et satisfaire le client actionnaire.
L'annonceur idéal ?
H. B : Ce sera celui qui s'intéressera autant à nous que l'on s'intéresse à lui. C'est celui qui va comprendre toutes les modifications. Il travaillera alors avec nous en toute transparence. Ce maillage est vraiment la clé.
Parcours
56 ans.
Marié et père de deux filles. Président du club de foot de Châteauroux, la Berichonne, fondé par son grand-père. Licencié en droit et diplômé de l'Irep. Débute sa carrière
en agences chez Dupuy Compton, Médianef puis Massius d'Arcy Mac Manus. 1977 Chef de groupe chez DDB. 1985 Nommé Dg de DDB.
A la fusion de DDB et
Needham (86), il est nommé
Dg de DDB Needham. 1998 Président de l'Europe du Sud de DDB. 1999 Président de l'Europe Continentale, soit 42 pays. 2002 Nommé Vice-Chairman de DDB Worldwide, en charge des “Client Relationships”, tout en conservant la présidence de DDB France. 2004 Elu président de l'AACC, Association des agences conseil en communication, pour un mandat de deux ans. 2005 Nommé Chief Client Officer de DDB Worldwide.