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TV connectée: le nouveau champ de bataille

2012, année de la télévision connectée? Dans cette nouvelle bataille technologique, les chaînes de télévision et les géants américains du Net sont à couteaux tirés. Avec ce nouvel outil mi-Web, mi-TV, les annonceurs pourraient bien sortir gagnants du grand chambardement.

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«Tout le monde dit que la télévision numérique terrestre (TNT) a beaucoup ébranlé les chaînes. Mais ce qui se prépare sur Internet, c'est la TNT multipliée par 100», annonce Rodolphe Belmer, directeur général de Canal+, au sujet de la TV connectée. Même constat pour le président du directoire de M6, Nicolas de Tavernost, pour qui la TV connectée représente un « véritable tsunami ». Encore embryonnaire en 2011, ce nouvel outil va, cette année, prendre son envol et apporter un vent de nouveauté sur le paysage audiovisuel français. Chaînes de télévision, opérateurs, acteurs de l'Internet, secteur publicitaire... Tous sont concernés par ce maelström.

@ © PinkShot/lilufoto/Fotolia.com

Chacun pourra, du fond de son canapé, zapper de TF1 à Dailymotion, tout en twittant sur les dernières performances de l'équipe de France de rugby lors du Tournoi des VI Nations et ce, sans changer de télécommande. La TV connectée, mariage entre le Web et le petit écran, devrait simplifier la vie des internautes qui se détournent de plus en plus du poste de télévision.

Pour l'instant, ce nouveau gadget «branche» encore peu les Français. La récente enquête menée conjointement par le cabinet NPA Conseil et le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) est sans appel: un tiers seulement d'entre eux sait de manière précise en quoi consiste la télé connectée. Plus fort encore: pléthore de foyers disposent déjà de ce service... sans le savoir. Une telle ignorance s'explique. «35% des foyers sont connectés via une box (boîtier opérateur, console de jeu) et 13 % ont acheté une télévision équipée sans en être informés, rappelle Raphael Pivert, directeur des études business intelligence au sein de GroupM Interaction. Pour fin 2012, on peut s'attendre à ce qu'un foyer français sur deux soit équipé de la télé connectée à domicile. »

Christian Bombrun

Christian Bombrun

Christian Bombrun (M6):

«Il est temps d'assouplir les règles qui régissent l'audiovisuel français. Nous devons pouvoir lutter à armes égales contre des géants comme Google.»

Branle-bas de combat côté chaînes historiques

«Invisible» jusqu'à maintenant, la télé connectée souffre d'un autre handicap, celui d'un manque d'interactivité avec le téléspectateur. L'étude «TV connectée - fondamentaux, enjeux et perspectives», de l'agence Dotscreen et du groupe médias CCM Benchmark, montre que pour convaincre son public, cette technologie a encore des progrès à faire. «

Il n'est pas possible de se contenter d'une simple transposition de l'expérience Internet sur la TV connectée, en mettant à disposition des services identiques à ceux que l'on trouve sur Internet sous forme de sites web», note-t-on chez CCM Benchmark.

Les solutions? Disposer d'une télécommande avec une souris intégrée (pour 48 % des utilisateurs sondés), un clavier (46 %) ou encore une tablette tactile ou un smartphone (37 %). Un constat que le groupe M6 a bien intégré. Consciente que l'ergonomie des services connectés reste à améliorer, la chaîne propose depuis décembre dernier une application sur la console Xbox 360 de Microsoft. L'utilisateur peut maintenant agir via un système de reconnaissance vocale et gestuelle. Par exemple, s'il prononce «Xbox» puis «Pass M6», le service de vidéos à la demande (VoD) de la chaîne se lance automatiquement sur la télévision. « C'est en nous adaptant à la technologie et en proposant une véritable expérience télévisuelle grâce à ces nouveaux services que M6 peut rester une marque forte», précise Christian Bombrun, directeur général adjoint M6 Web.

Et, de ce point de vue, le groupe a déjà un temps d'avance, puisque M6 est la première chaîne gratuite française à proposer une application sur une console de jeu.

La concurrence s'active pour rester dans le coup. Car les patrons des grands médias partagent la même conviction: seules les marques fortes qui convaincront le public dureront. Pour cette raison, France Télévisions a mis en ligne, en novembre dernier, la plateforme Francetv.info, qui met l'accent sur l'information en temps réel et sur l'interactivité avec les internautes, le tout en préparation de l'arrivée imminente de la télé connectée.

Le groupe Canal+, quant à lui, place désormais ses pions dans la télé gratuite. En septembre dernier, la filiale de Vivendi a racheté à Vincent Bolloré les chaînes Direct Star et Direct 8 pour 280 millions d'euros. Enfin, le groupe a toujours en projet de créer une nouvelle chaîne sur la TNT, Canal 20. Et s'il multiplie les fréquences en TNT, c'est dans un but précis: «Le développement du groupe sur la TNT est indispensable pour faire face aux acteurs de la télévision connectée qui vont se déployer, à l'instar de Google TV et d 'Apple TV», reconnaît Bertrand Meheut, président de Canal+, dans une interview au Figaro.

Autrement dit, le modèle payant, cher à la chaîne, risque de s'effriter face à l'offre surabondante des colosses du Web sur petit écran. Mais le concurrent que redoute le plus la chaîne reste Netflix, le site américain de vidéo à la demande (23 millions d'abonnés), qui arrive en Europe et pourrait ponctionner ses audiences, ainsi que ses recettes publicitaires.

Les géants du Web font trembler les chaînes

Si, pour l'heure, la TV connectée que propose Apple n'est qu'un boîtier qu'il faut relier à son téléviseur, la firme de Cupertino s'apprête à sortir, à partir du deuxième trimestre 2012, une télé dotée de commandes vocales et de détecteurs de mouvements, qui intégrerait toutes les fonctionnalités de l'Apple TV et serait en synergie avec tous les autres produits de la marque (iPhone, iPad, etc.). Il serait alors possible de commencer à regarder un programme sur la télévision et de continuer le visionnage sur son iPhone.

Philippe Deloeuvre

Philippe Deloeuvre

Même chose pour Google. Si, tout comme l'Apple TV, la Google TV peine actuellement à s'imposer, la firme de Mountain View met à jour son système pour une sortie prévue courant 2012. «La guerre entre les uns et les autres pour remporter le pactole ne fait que commencer », annonce Patrick Eveno, sociologue des médias. Dans ce conflit, les chaînes historiques ne pourront éviter les balles perdues. L'information web gratuite a déjà mise à mal la presse écrite. Ce pourrait être le tour de la télévision. Car la force de frappe de ces firmes est tellement disproportionnée par rapport à celle des chaînes traditionnelles que le combat semble déloyal. Exemple: Google a seulement déboursé 100 millions de dollars pour doter sa plateforme vidéo YouTube de 100 chaînes thématiques, gratuites et financées par la publicité. Il y a pire encore. Ces nouveaux entrants, venus d'un univers web sans règle, ne sont même pas soumis à l'écosystème assez contraignant qui régule le paysage audiovisuel français (par exemple, les chaînes françaises n'ont pas le droit de diffuser de films le mercredi ou encore sont obligées de coproduire les contenus qu'elles diffusent). Autant de dispositions sur lesquelles le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) travaille, avec l'ambition de toiletter certaines d'entre elles, devenues contre-productives. Il est encore difficile de prévoir l'ampleur et les conséquences du phénomène, mais Michel Boyon (président du CSA) a souligné «les risques que celui-ci pouvait comporter pour l'équilibre économique des chaînes, le financement de la production audiovisuelle et cinématographique française et la liberté de choix du téléspectateur», indique le CSA dans un communiqué. « I l est temps d'assouplir les règles qui régissent l'audiovisuel français, conclut Christian Bombrun. Nous devons pouvoir lutter à armes égales contre des géants comme Google. »

«Le mariage avec le Net va réenchanter la TV»

3 questions à...
Philippe Deloeuvre, directeur de la stratégie de France Télévisions revient sur l'enjeu que représente la télé connectée pour les chaînes historiques. Malgré l'offre pléthorique du Net, il reste confiant.


Marketing Magazine: Quelles opportunités représente la télé connectée pour des grandes chaînes telles que les vôtres?
Philippe Deloeuvre: Vous avez raison de parler d'opportunités, parce que l'on a trop souvent associé la télé connectée à une menace. C'est une évolution inéluctable, qu'il s'agit d'anticiper, pour le plus grand profit du «télénaute». Elle va nous permettre de renforcer notre lien et notre capacité d'échange avec nos téléspectateurs: enrichir, discuter de nos programmes, faire de la télé connectée une télé «augmentée» comme on parle de réalité augmentée, voilà tout l'enjeu.


A quoi ressemblera précisément la télévision de demain?
Précisément, personne n'en sait rien. Nous expérimentons, nous défrichons. Les usages se constatent, ils ne se décrètent pas. Une chose est sûre: plus encore que les contenus, c'est l'expérience de la télévision qui va se modifier. On s'affranchira des rendez-vous de la grille pour regarder les programmes quand on voudra et la télé, couplée aux réseaux sociaux, va devenir le lieu de nombreuses discussions. C'est ce qu'on nomme déjà la «social TV».


Ne craignez-vous pas, pour vos chaînes, l'arrivée des géants du Web, comme la Google TV et l'Apple TV?
Pour nous, il y a effectivement un scénario un peu noir, qui consiste à voir les contenus que nous finançons noyés dans une offre pléthorique, portée par ces géants.
Pour autant, je suis convaincu que le mariage avec Internet viendra réenchanter la télévision. Si nous savons faire preuve de créativité en matière de conception de programmes, nous conserverons notre place. Il nous suffit d'aider le public à s'orienter dans ce vaste choix.

Une aubaine pour les annonceurs

De leur côté, les annonceurs voient la télé connectée d'un oeil très favorable. Elle «offre des opportunités de mesure des campagnes proche du Web et les annonceurs vont pouvoir diffuser des campagnes de publicité personnalisées comme sur Internet, explique Sophie Goncalves, chargée d'étude média chez GroupM. Grâce à la TV connectée, les annonceurs peuvent définir des cibles beaucoup plus fines et connaître les centres d 'intérêt, la composition de la famille ou le lieu de vie. » Interrogé sur le site consacré au marketing interactif Petit Web, Thierry Jadot, p-dg de l'agence en conseil médias Starcom France, notait récemment: «La TV connectée offre des formats plus créatifs, plus immersifs et moins intrusifs. C'est le développement d 'une publicité plus engageante pour le consommateur. » Au final, non seulement la publicité sur le petit écran sera ciblée, personnalisée et géolocalisée, mais elle pourrait être le moyen d'introduire du micropaiement (du «t-commerce»?). C'est dire si la télévision connectée regorge de promesses.

DAMIEN GROSSET

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