Sport de pleine nature, sport de pleine culture
Jusqu'aux années 80, la pratique du sport n'avait guère bougé. Puis, les innovations ont déférlé avec les sports de glisse. "Ride" de choix sur les "spots" de l'avenir avec Alain Loret,* professeur à l'université de Rouen, agrégé d'éducation physique et sportive, docteur en gestion des activités du sport.
Comment s'est déroulée cette révolution culturelle du sport et de la glisse ?
Alain Loret : Dans les années 70, le sport n'était
absolument pas entré dans le processus de contestation sociale et culturelle.
Et la glisse, 20 ans après, fut le Mai 68 du sport. Durant cette grande période
de renouveau, le sport bouge, invente, innove. Il est marqué par l'exploitation
d'éléments symboliques, musique, vocabulaire, graphisme, couleurs, sont puisés
ouvertement dans le registre de la contestation des années soixante. L'idée de
glisse a d'abord suivi un cheminement intellectuel avant d'emprunter un
cheminement sportif.
C'était attaquer une certaine arrogance du sport ?
En quelque sorte, mais cette arrogance repose sur un
siècle d'histoire. Contrairement à d'autres domaines de la société, le sport
est resté figé. Il a traversé trois grandes périodes de développement. La
première moitié du XXe siècle, où l'on invente, structure, organise et
réglemente. Jusqu'en 1950, tout est dit, tout est fait. Et là, un miracle se
produit. C'est la rencontre de ce service sportif avec un marché, celui de la
génération du baby-boom. Sans elle, le sport n'aurait pas eu le succès que nous
lui avons connu. Et il faut attendre les années 70 pour voir le renouvellement
créatif s'amorcer avec une quarantaine de nouvelles activités. Elles ont toutes
en commun d'être à forte valeur ajoutée technologique. Elles sont appareillées
et nécessitent l'apprentissage du pilotage.
Ces activités sont-elles aussi liées au mythe de Peter Pan ?
Peter Pan est
effectivement la figure emblématique des sports de glisse. Il refuse de
grandir. C'est ce que l'on appelle en marketing les "adulescents". Et surtout
Peter Pan vole. Regardez, toute les nouvelles activités permettant le vol :
windsurf, VTT, parapente, skate, etc.
Quelle est l'évolution de ces activités de glisse ?
Des pionniers et des leaders d'opinion ont
façonné le concept. Et aujourd'hui, cette offre a rencontré un marché. La
période d'invention ne s'inscrivait pas du tout dans une logique industrielle.
Ce sont donc des entreprises qui avaient tout à gagner qui ont pris position
sur ce marché. A l'époque, les grandes marques les considéraient avec
condescendance. On connaît les résultats : Nike avec "Just do it" et Reebok
avec "Break the rules" sont devenues leaders. Aujourd'hui, la génération glisse
est dans sa phase ascendante d'exploitation industrielle du concept de
l'invention des années 80.
Que pensez-vous du développement des activités sportives virtuelles ?
On peut, par exemple, concevoir
un scénario où l'on mette en évidence des champions des cybersports. Prenons
aussi l'exemple d'un sport populaire, le ski. La majorité de ses adeptes sont
citadins. Ils skient au mieux dix jours par an. Le cyberski, pas le ski
artificiel, va reproduire les bosses, les compressions, la vitesse, la pente,
le bruit... Actuellement, les prototypes sont très onéreux et pas encore
commercialisables. Mais dans dix ans, cela sera possible. Il y a beaucoup de
gens qui refusent d'admettre le principe parce que le sport, c'est le corps ;
c'est le corps qui s'exprime physiquement et là, c'est l'esprit. Je crois que
c'est simplement la recherche de sensations qui va primer. De plus, ce sera une
diversification de l'offre de service. Le skieur ira toujours passer sa semaine
de ski en montagne. Il faut considérer aussi que les nouvelles générations se
sont nourries aux consoles de jeu. Il existe aujourd'hui des esquisses de
scénarii industriels qui vont complètement reformuler l'offre et le produit
sportifs. Prenez un autre exemple, celui du matériel haut de gamme qui est
toujours celui du champion. Dans l'avenir, ce matériel, sera celui qui
permettra de réduire la durée d'accès à une expertise moyenne. Car aujourd'hui,
le sportif zappe de pratique en pratique. Mais, en passant de l'une à l'autre,
il perd à chaque fois son expertise. Il est donc avide de la retrouver le plus
vite possible. Ainsi, la production de services qui permettront de raccourcir
la période d'apprentissage, sur du matériel suffisamment intelligent, et les
services qui raccourciront le temps d'apprentissage sont les services gagnants
de l'avenir du sport. Nous allons assister à des re-formulations des objets
techniques, du matériel, des services et donc à un re-découpage du paysage
industriel avec l'apparition de nouveaux acteurs.
Le sport s'éloigne-t-il de plus en plus de la nature ?
L'objet technique
est devenu un moyen d'accéder à la nature. Sans l'objet technique, il n'y a pas
de rapport à la nature. L'intimité avec la nature passe aussi par la
technologie. Sport de pleine nature mais sport de pleine culture... *
"Génération glisse, la révolution du sport des années fun", Alain Loret aux
Editions Autrement.