Sous les regards jaloux d'Eros et de Thanatos
Sexe et amour, désir et plaisir, paillardise et grivoiserie, obsédé par la symétrie irréconciliable dans leur différence de l'homme et de la femme, Picasso met en scène l'impossible union de deux corps opposés. Une exposition racoleuse, étonnamment située au musée du Jeu de Paume. A l'époque de "Sex and the city", si l'art est la sublimation des pulsions sexuelles, les représentations de la sexualité ne font pas toujours de l'art...
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«L'art et la sexualité, c'est la même chose », disait Picasso. Des baisers
et des accouplements, des prostituées et des maquerelles, des citations
mythologiques, du voyeurisme et de l'exhibitionnisme, Picasso est, très jeune
et jusqu'à la fin de sa vie, préoccupé de sexualité. Ainsi sont présentées au
musée du Jeu de Paume plus de trois cents pièces constituées pour la plupart de
travaux sur papier, carnets, gravures, études, croquis et de quelques peintures
et sculptures érotiques, le tout issu en majorité des collections du musée
Picasso, à Paris. Les maisons closes du Barcelone de sa jeunesse lui
inspirèrent ses célèbres Demoiselles d'Avignon. « L'art n'est pas chaste.
(...), on devrait l'interdire aux ignorants innocents, ne jamais mettre en
contact avec lui ceux qui y sont insuffisamment préparés. Oui, l'art est
dangereux. Ou s'il est chaste, ce n'est pas de l'art », déclarait-il non sans
emphase.
Représenter l'inconscient
L'exposition nous
confronte aux nostalgies d'une sexualité archaïque placée sous le double regard
d'Eros et de Thanatos. Mais, ce qui relie Picasso à une certaine modernité sont
sans doute l'essor de la psychiatrie et la découverte de l'inconscient. «
Lorsque les Surréalistes célèbrent en 1925, le cinquantenaire de la découverte
de l'hystérie par Charcot, Man Ray ou Dali montrent des corps disloqués, en
référence à une anatomie inattendue, vision qui est aussi celle de Picasso,
explique Gérard Régnier*, commissaire de l'exposition Picasso Erotique. C'est
sur ce point que l'artiste s'ancre dans le mouvement moderne. A partir de
1890-1895, on se rend compte que l'anatomie traditionnelle, observée et
transcrite de la Renaissance jusqu'au XIXe siècle vole en éclats avec la
découverte de phénomènes physiologiques, de l'hystérie découverte par Charcot
et la naissance de la psychanalyse de Freud. Souffrance, jouissance,
déplacement spirituel et physique, les parties "signifiantes" du corps humain
ne sont plus tout à fait celles d'autrefois. Et les artistes, bien sûr, ne sont
pas restés insensibles à cette approche. » Mais pour mieux comprendre le
travail de Picasso sur ce sujet, il suffit de se reporter à la citation de
William Rubin : « La cohabitation d'Eros et de Thanatos dans les Demoiselles
(...) nous remémore une constante dans la psychologie de Picasso : sa peur
viscérale et sa répugnance pour le corps féminin, qui coexistaient avec son
désir insatiable et son idéalisation exaltée de ce corps. » A cette exposition
à grandes visées financières, qui convenait au musée Picasso, on peut préférer
une balade sans prétention au musée de l'Erotisme.
L'érotisme d'hier et d'aujourd'hui
Ouvert depuis 1997 en plein coeur de
Pigalle par des collectionneurs, le musée se visite comme un cabinet de
curiosités. Chacun peut s'y tracer un itinéraire drolatique et poétique au
travers de peintures, sculptures, gravures, objets, mobilier appartenant à
l'érotisme sacré ou profane voire au folklore... A chacun sa flânerie, les
cultures et les périodes y sont disséminées sur sept niveaux. On peut aussi y
visiter une exposition permanente sur la vie des maisons closes qui montre que
celles qu'on appelait les filles de noce n'y étaient pas tous les jours et que
l'idée du luxe y côtoyait le sordide. Le musée de l'Erotisme consacrera sa
prochaine exposition à "The sex obsession of Ronald Crumb". Baptisée "Mr
Sixties", ce père de la bande dessinée underground s'est rendu célèbre par ses
réjouissantes tranches de vie de freaks, beatniks et autres babas. Décidément,
l'érotisme aujourd'hui n'est plus ce qu'il était selon Picasso ou Crumb. Comme
en témoigne l'ouvrage de David Brooks** sur les "bourgeois bohèmes" : « Le Bobo
n'entreprend rien à la légère. Les activités les plus primaires sont
accompagnées de modes d'emploi, de cassettes vidéo explicatives et d'articles
de presse rédigés par des personnes hautement diplômées. On parle de tout. On
partage toutes les expériences. La masturbation même, est mesurée et notée
suivant le barème établi par des connaisseurs en la matière. Et il n'y a pas
que les techniques sexuelles sur lesquelles il faut travailler en vue d'obtenir
un progrès, les perceptions et le savoir qui en découlent peuvent être
également approfondis et affinés. Le sexe ne se limite pas à une partie de
rigolade sous la couette. Il faut que ce soit quelque chose de puissant qui
incite à la réflexion. Quelque chose de sain, raisonnable et socialement
constructif. » Et, pour exprimer qu'il n'existe pas d'âge d'or de la sexualité,
le musée du Jeu de Paume accueillera peut-être un jour, une exposition critique
d'art contemporain sur les nouvelles visions de l'érotisme et de l'intimité
dont on pourrait penser qu'elle correspondrait à sa vocation... *Voir article
Les érotiques de Picasso, mythologies et réalités in Le Journal des arts n° 121
** Editions Florent Massot. Picasso Erotique - Galerie Nationale du Jeu de
Paume. 1, place de la Concorde, Paris 8e Tél. : 01 42 60 69 69. Jusqu'au 20
mai. Picasso Erotique par Dominique Dupuis-Labbé. Editions Découvertes
Gallimard/RMN Musée de l'Erotisme. 72, boulevard de Clichy, Paris 18e. Tél. :
01 42 58 28 73. www.erotic.museum.com Exposition Robert Crumb : du 21 mars au
11 octobre. Miettes de R. Crumb. Editions du Seuil.