Séduire dit-elle...
Le groupe d'histoire des femmes poursuit ses recherches avec "Séduction et sociétés", une relecture des rapports de séduction du Moyen Age à nos jours. Arlette Farge commente les mutations sociales et individuelles de cette tension érotique qui sous-tend l'économie de marché et ses héros actuels.
Quel est l'objet de ce travail collectif ?
Nous
avons voulu nous interroger sur le devenir du désir et de la séduction. Que
faisons-nous de nos affects ? Nous avons ainsi cherché à tracer une histoire
des émotions et de l'attirance après une période de théorie féministe pure et
dure.
Peut-on dire qu'aujourd'hui a séduction est partout ?
La séduction est le plus souvent considérée sous sa facette
abusive, comme l'incarne Don Juan. Ou bien sous son angle politique et
publicitaire, qui la définissent comme un acte social ordinaire. Plaire est une
esthétique qui ne conduit plus à la damnation. Mais c'est la séduction qui rend
mobile et fluide une relation. Ces rapports d'inclination et d'affinités sont
incontrôlables et ne permettent que des équilibres instables. C'est pourquoi
tous les appareils répressifs, de l'église à l'école, ont toujours cherché à y
mettre de l'ordre.
Que voulez-vous dire ?
Les
disciplines scientifiques se veulent objectives. Ce qui voudrait dire qu'elles
réfutent ce qui est du domaine de l'émotion. Il n'y a pas de reconnaissance
entre les hommes et les femmes pour s'exprimer sur l'attirance et les moyens
qui ont été mis en oeuvre pour la contrôler.
Comment la séduction a-t-elle évolué au cours de l'histoire ?
Le XVIIIe siècle était
très populaire. Les corps s'exprimaient abondamment car la promiscuité régnait.
La société était violente, les maladies et les épidémies sévissaient. Face à
cette précarité de l'existence, un libertinage érudit se déployait dans
certains milieux. C'était une esthétique de vie fondée sur la galanterie, la
captation d'un bonheur libertin, la conquête par l'intelligence et par le temps
selon des règles précises. C'était la mise en oeuvre de toute une philosophie
de la relation où la tension érotique était à son comble. Mais ce phénomène
était circonscrit à une société de cour. Il faut savoir que, depuis l'amour
courtois, face aux mouvements grossiers, ce sont les femmes qui ont toujours
recherché une poétisation des relations.
Et aujourd'hui ?
La séduction est instrumentalisée par les deux sexes selon un
discours très normatif. C'est un peu les "fiches-cuisine" de la séduction. Les
modèles ont disparu. Il ne reste plus que les organes à explorer. La machinerie
économique produit de la pornographie qui marque juste un retour à la brutalité
entraîné par l'absence de contexte, la perte du politique et du choix. C'est le
règne du rendement et de la plus-value sexuelle.