Repenser l'espace temps
Face à la fragmentation du temps, à la course contre la montre, un des enjeux fondamentaux de notre époque est de gérer le paradoxe du temps. Temps accéléré, lié aux nouvelles technologies et temps ralenti, celui des loisirs. Afin de redonner un sens à la vie et revaloriser l'émotion.
Selon un sondage publié par Sofres/ministère de la Ville, “Les Français et
le temps dans la ville” (juin 2001), 51 % des Français disent manquer de temps.
Parallèlement, la frontière entre temps libre et temps contraint devient plus
tenue. La gestion du temps devient facteur de stress et de frustrations. Qui
sont compensés par une consommation accrue. Mais à la différence des années
d'hyperconsommation, elle préserve aujourd'hui une exigence de qualité et
s'accompagne de moments de pause et de répits. Face à la tyrannie du temps
accéléré, du culte du progrès, du risque d'obsolescence accru, l'homme
post-moderne cherche donc de nouveaux rythmes pour s'en réapproprier les
fragments. Un nouvel idéal se dessine : celui de la fluidité, du temps
linéaire. Tout s'enchaîne, le temps est optimisé pour dégager plus de temps
libre. Grâce aux informations en temps réel, on peut décider de son itinéraire
idéal, de passer à une activité secondaire en attendant que la première
s'exécute afin d'éviter le temps de rupture et de vide.
Magnifier l'instant présent
Mais cette rupture peut également être choisie,
voulue. Suspendre le temps, se ménager des espaces de temps vides où il fait
bon souffler devient une absolue nécessité. Une tendance illustrée par le
succès de la Bulle Kenzo. Cette lutte contre le temps qui défile donne
naissance à un culte du “slow”. Réaction à l'hyperactivité ambiante, au stress,
essentiellement généré par le développement des technologies, ce culte du slow,
qui traduit une rupture entre les “initiés” et les “ignorants” face à la
technologie, est de plus en plus exploité par les marques et les designers. Le
retour à l'essentiel caractérise cette tendance qui se traduit également au
niveau de l'alimentaire par l'apparition du “slow-food”. De leur côté, les
chefs inventent le food design en créant des aliments beaux, sains et bons. La
confusion des repères, le mélange des sphères privées et des sphères
professionnelles conduisent l'homme post-moderne à exprimer une nouvelle
attente forte : la simplicité (voir MM 80, septembre 2003). Le design a un rôle
fondamental dans cette quête d'allégement. Graphismes simples, formes pures et
sobres, ergonomies intuitives, matières chaudes, la simplicité doit se voir et
se comprendre. Parallèlement, les scénarii catastrophes, les discours
alarmistes conduisent à modifier les habitudes de consommation court-termistes
et à miser sur la durabilité. Les matières écologiques et durables sont de plus
en plus présentes, le jetable est à éviter et on dématérialise la monnaie, les
tickets, on imagine de nouveaux rapports émotionnels aux objets qui nous
entourent. Rechercher de nouveaux repères temporels, c'est aussi pour certains
revisiter le passé, s'intéresser à ses racines, se situer dans la chronologie.
La généalogie devient phénomène de société et les sites dédiés explosent. Mais
ce retour aux sources se traduit aussi par la réédition d'objets mythiques,
signes des âges d'or. Tiraillé entre le devoir d'efficacité et l'aspiration
naturelle à ne rien faire, l'être humain renoue alors avec les temps
essentiels, émotionnels : ceux de la nature, de son corps, de son histoire.