Réalité augmentée, quand le virtuel prolonge le réel
2010, année de la réalité augmentée? Nestlé, McDo, Nathan et bien d'autres marques s'y sont converties. Et pourraient rapidement en entraîner d'autres dans leur sillage. A condition d'avoir un vrai message à faire passer.
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Sabres des neiges, Baboukaris, Caracoureurs... Autant d'espèces qui pourraient peupler notre planète dans 5 à 200 millions d'années. Grâce à des lunettes spécifiques, dotées d'une caméra, et à des capteurs sensoriels, le Futuroscope invite ses visiteurs à un safari interactif dans le futur. Depuis avril 2008, le parc de loisirs propose en effet «Les Animaux du futur», une attraction mêlant réel et virtuel. Pour la première fois au monde, la réalité augmentée s'invite dans l'univers du divertissement. « Le spectacle a nécessité deux ans de développement et permis au Futuroscope de jouer son rôle «d'écrin technologique» », précise Emmanuelle Pasturel, responsable communication chez Total Immersion, société française qui a développé le système de réalité augmentée de la nouvelle attraction.
Réalité augmentée ? Cette technologie consiste à utiliser le monde réel et y superposer des objets virtuels et interactifs. Un mélange, en temps réel, d'images vidéo retransmises à partir d'une caméra et d'objets de synthèse en 3D. Longtemps réservées aux mondes militaire (simulation de tirs) et industriel, ses applications deviennent de plus en plus accessibles au grand public. Car, à n'en pas douter, 2010 sera l'année du virtuel et de la 3D. Preuves, s'il en fallait : le blockbuster Avatar tourné en 3D Relief ou encore l'évolution des téléviseurs vers la 3D... Un contexte qui a poussé les marques à sauter le pas. Pour certaines, cette technologie révolutionne le produit. Pour d'autres, elle vient enrichir leur communication. Les usages sont donc nombreux. Jusqu'à présent, les marques ont voulu se positionner comme un acteur innovant, audacieux, en avance sur son temps, en mesure de prendre des risques et de créer la surprise. Toutefois, le potentiel de la réalité augmentée n'est pas encore entièrement exploité. « La marge de progression reste importante », confirme Emmanuelle Pasturel, même si les réalisations sont encourageantes, à l'instar de McDonald's et de l'agence Duke, qui ont su donner un nouveau souffle au Happy Meal en s 'appuyant sur l'univers du long-métrage d'animation Arthur et les Minimoys. Grâce à des développements on line et à l'utilisation de la réalité augmentée, la petite boîte à emporter se voulait tendance et proposait à ses jeunes consommateurs de découvrir une expérience saisissante. Ainsi, en décembre 2009, la marque a intégré un marqueur à sa boîte sous forme de «carte magique». Après l'avoir détachée, l'enfant devait se connecter au site Happymeal.fr et la placer devant sa webcam. Il pouvait ensuite faire danser le personnage d'Arthur en 3D. « Nous voulions revaloriser l' offre, en perte de vitesse, tout en répondant aux attentes des 6-8 ans avec une prime digitale. nous ne souhaitions pas proposer une expérience uniquement contemplative », intervient Cyril Bergère, directeur conseil chez Duke. Les enfants pouvaient effectivement jouer et maîtriser les déplacements d'Arthur. « Dans un premier temps, l'apparition d Arthur est bluffante mais ensuite, nous avons apporté de l'interactivité, du game play », poursuit Cyril Bergère.
Au-delà du réel
« L'ère du marketing expérientiel semble en marche », estime Mehdi Tayoubi, directeur de la stratégie interactive chez Dassault Systèmes, leader mondial des solutions 3D et acteur majeur du développement de la réalité augmentée. L'heure n'est plus aux messages unilatéraux des marques. Un nouveau lien s'instaure, notamment grâce à la réalité augmentée. Dans un monde où le visuel compte plus que jamais, la technologie a des arguments pour convaincre les marketeurs. D'abord parce qu'elle ne manque pas de créer la surprise, mais aussi parce qu'elle favorise l'émergence d'une relation forte avec la marque. « Grâce au monde virtuel, nous pouvons aider les entreprises à révolutionner leur marketing », assure Mehdi Tayoubi. En outre, il s'agit aussi pour nombre de marques d'ancrer leur produit dans le digital en allant plus loin que la simple création d'un site internet.
Et c'est tout l'intérêt de la réalité augmentée : faire tomber la barrière entre le réel et le virtuel. Grâce à elle, des démonstrations jusque-là inimaginables deviennent possibles. Faire sortir du sol une centrale thermique ou encore présenter une maquette de ville animée incluant tramway et métro : Patrick Kron, p-dg d'Alstom, a ainsi fait sensation lors de sa Convention Managers Monde 2008
« Alstom a proposé quelque chose d'extraordinaire, mais il est possible de concevoir des effets créant la surprise avec moins de budget. Le succès de l'opération repose avant tout sur l'idée créative », nuance Emmanuelle Pasturel. Un avis partagé par la société Previznet, start-up française spécialiste de la réalité augmentée. Elle a conçu Playviz, la première application web de réalité augmentée dédiée à l'univers de la maison. Sa philosophie : répondre au besoin des consommateurs de visualiser simplement et rapidement les meubles et objets de décoration dans leurs propres intérieurs avant de les acheter. Une photo, un ordinateur et une caméra suffisent pour relooker des espaces de vie. Un concept que le site Made in design propose désormais à ses internautes. « Pour les pure players, l'avantage est évident. Grâce à Previznet et à la réalité augmentée, les consommateurs peuvent rapprocher les univers imaginés par la marque de leur propre univers », explique Yohan Bentolila, cofondateur de Previznet. Le client est davantage rassuré et finalise plus facilement l'achat. « Playviz devient un outil de performance marketing », poursuit Yohan Bentolila. Contrairement à ceux qui considèrent la réalité augmentée comme un simple effet de mode, le cofondateur estime que « le besoin est croissant et qu 'il y a fort à parier que Playviz s'inscrive dans le paysage des services durables ».
Par ailleurs, la réalité augmentée est une aubaine pour créer de véritables dispositifs à 360°. « Le virtuel et la 3D sont génétiquement 360. Ils assurent de transposer les créations et de les décliner sur divers écrans », précise Medhi Tayoubi. Une animation web peut être adaptée pour une diffusion au cinéma ou pour une exploitation événementielle. « Cela permet d'optimiser les contenus », ajoute Medhi Tayoubi. Car, même si la réalité augmentée s'adapte progressivement aux contraintes budgétaires du mass market, l'investissement reste important. Et le rentabiliser demeure essentiel pour certaines marques.
A court terme, l'effet de surprise déclinant, les marques auront tout intérêt à travailler sur le fond des créations et non uniquement sur la forme. « Demain, l'innovation va perdre de son exclusivité. Il faudra multiplier les propositions d'expériences fortes et abouties », souligne Cyril Bergère. Cela ne veut pas forcément dire développer une approche «fun», divertissante et extrêmement créative. Mais, au minimum, « un moyen de faire vivre une expérience avec la marque, d'immerger le consommateur dans son univers. Cela peut passer par la simple diffusion d'une brochure », estime Cyril Bergère. En outre, la connivence entre la marque et le consommateur prime. C'est d'ailleurs une des raisons qui ont poussé Chocapic à expérimenter la réalité augmentée en s'appuyant sur le monde d'Arthur et les Minimoys, grâce à un système conçu par Dassault Systèmes. « La réalité augmentée est pour nous un outil de promotion d'autant plus efficace que l'attachement à l' univers des Minimoys est extrêmement fort », explique Sébastien Geist, chef de produit au marketing céréales de Nestlé. Un mois avant la sortie de l'opus Arthur et la vengeance de Maltazard (décembre 2009), le succès était assuré en permettant aux enfants de jouer avec le personnage Bétamèche et donc de renouer avec la féerie de l'univers imaginé par Luc Besson.
Une stratégie gagnante
Le lien créé est émotionnel, mais pas seulement. Il est aussi physique, puisque, devant la webcam, le consommateur tient un packaging ou encore un produit. De fait, cette gestuelle favorise l'appropriation. Nathan l'a bien compris. Au fil des pages de son livre pédagogique Dokeo, comprendre comment ça marche, l'éditeur encourage l'enfant à utiliser le support physique pour découvrir les maquettes animées de près de 250 objets, véhicules ou bâtiments. Rien de tel pour booster une industrie du livre en perte de vitesse ! Une stratégie gagnante que le secteur du disque a également adoptée. Ainsi, pour la sortie du dernier album de Sinik, comprenant un module de réalité augmentée, Universal Music a mesuré le buzz généré. Celui-ci a été trois fois plus important que lors d'une sortie classique dans le même segment musical. « L'album a engendré un fort engouement, notamment sur Twitter », atteste Marie Mustel, responsable des nouveaux médias pour Mercury France, filiale d'Universal Music Group. Pour autant, « en aucun cas, la réalité augmentée ne fait figure de déclencheur d'achat », insiste-t-elle. Dans le cas de Sinik, son utilisation a avant tout un sens artistique. Ainsi, la pochette de son album Ballon d'Or, placée devant une webcam, permet de se voir à l'écran avec le look du rappeur. Et pour accompagner cette sortie, Universal Music a bien sûr présenté la gamme de merchandising, même si ce n'est pas la finalité de l'opération. De plus, grâce à un système de reconnaissance d'image intégré au CD, les artistes en herbe peuvent accéder à une zone VIP et mixer le titre Adrénaline. « Nous avons passé un cap en termes de communication », affirme Marie Mustel. Ces «plus» accessibles en réalité augmentée pourront même évoluer au fil du temps, pour créer une récurrence d'utilisation.
Certaines applications de réalité augmentée laissent l'opportunité de faire évoluer leur contenu. Une amélioration qui pourrait être envisagée dans le cas du livre de Nathan, par exemple. De son côté, Adidas en fait d'ores et déjà l'expérience. Pour son application sortie en février 2010, à l'occasion du lancement de cinq nouveaux modèles de sneakers masculines, la marque aux trois bandes a créé un univers renouvelable. Dans un premier temps, les détenteurs des baskets pourront les placer devant une caméra et, grâce à un encodage sur la languette, voir apparaître un monde virtuel. Progressivement, les images 3D seront renouvelées et viendra s'ajouter la possibilité de récupérer trois jeux.
Divertissement, animation, jeux, informations... les fonctionnalités offertes par la réalité augmentée ne manquent pas. Pour peu que la créativité des marques soit au rendez-vous et qu'elles arrivent à profiter encore davantage du potentiel de la technologie. Elle peut, par exemple, devenir un outil de «cocréation», pour impliquer le consommateur dans le développement du produit. A petite échelle, Chocapic et Dassault Systèmes ont testé ce concept. En effet, outre le jeu, le paquet de céréales donnait l'opportunité de participer à un concours de karaoké. Ils devaient créer leur propre Minimoy en 3D animé grâce à une photo, puis réaliser un clip vidéo (insertions des Minimoys de ses amis dans son clip, choix des effets spéciaux...). Le vainqueur verra son «oeuvre» directement intégrée au DVD du film. Plus que jamais, « le consommateur a un rôle de contributeur à jouer », confirme Mehdi Tayoubi. Et pourquoi ne pas pousser le concept jusqu'à la fabrication à la demande ?
Le mobile devrait, dans les mois qui viennent, profiter du développement de la réalité augmentée pour offrir (encore) de nouveaux services. Le principe : filmer son environnement grâce à la caméra de son mobile pour obtenir des informations provenant d'un serveur de données. Par exemple, trouver la banque la plus proche en filmant une rue, repérer les appartements en vente en passant son mobile devant un immeuble ou encore avoir accès à l'histoire d'un monument. Le monde réel prend alors une tout autre dimension. A n'en point douter, la réalité augmentée se fondra bientôt dans notre quotidien, sans même qu'on y prête attention.
Yohan Bentolila (Previznet):
«Grâce à la réalité augmentée, les consommateurs peuvent rapprocher les univers imaginés par la marque de leur quotidien.»