Quand les non communiquants sortent de leur silence
C'est une révolution silencieuse mais bien réelle. Cabinets d'avocats, cliniques, enseignement supérieur... adoptent à petits pas des techniques de communication de plus en plus proches de celles des annonceurs dits “classiques”.
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Un dentiste, au sourire plus blanc que blanc, vantant les mérites de son
cabinet, un avocat conseillant de venir chez lui plutôt que chez un de ses
confrères, un expert comptable prônant ses méthodes à la télévision en prime
time… La France n'est pas prête d'en faire son quotidien. Pourtant, l'Hexagone
a déjà assoupli certaines restrictions en matière de publicité. Presse,
Edition, Cinéma, ces trois secteurs économiques, interdits de publicité depuis
1968, ont débarqué, depuis le 1er janvier 2004, sur le petit écran. Après des
années de résistance, contrainte et forcée par la réglementation européenne, la
France doit désormais se comporter comme ses voisins européens.
Au fil du
temps, les barrières régulatrices tombent ainsi les unes après les autres. « Il
y a moins de dix ans, les transports aériens étaient interdits de publicité,
tout comme l'enseignement. La levée progressive de ces interdictions a démontré
a posteriori leur absurdité et l'évolution des mentalités. Il y a aujourd'hui
de moins en moins de barrières », estiment Antoine Barthuel, Gilles Masson et
Daniel Fohr, patrons de l'agence Leo Burnett Paris.
Certaines professions
commencent ainsi à tourner la page et utilisent la publicité pour prospecter de
nouveaux clients, de nouveaux collaborateurs ou, simplement, faire passer des
messages. « Aujourd'hui, le silence peut être préjudiciable », souligne Antoine
Barthuel, co-président, directeur de création de Leo Burnett Paris. C'est en
tout cas, l'avis de Pierre Azam, endocrinologue et directeur associé de la
clinique Aesthetis. L'été dernier, sa clinique a été à l'origine d'une premiere
campagne d'affichage, qui s'est fait remarquer, dans les rues de Paris, par son
originalité. «La chirurgie plastique est une problématique délicate. Avec cette
campagne, nous avons voulu déclencher un débat », indique-t-il.
Et Gilles
Masson, P-dg de l'agence Leo Burnett à l'origine de la création publicitaire de
la campagne, d'ajouter: « Nous nous sommes juste contentés de porter le débat
du rapport du corps dans la rue. Cette communication s'apparente à la première
campagne collective de la chirurgie esthétique. Elle est extrêmement générique
et totalement dépassionnée.» Parce que le corps est un ensemble de signe, Léo
Burnett a mis en scène le sujet sans tomber dans le travers d'une prise de
parti. «Quand on est premier communiquant, on doit se positionner comme le
maître étalon. Il est donc nécessaire d'utiliser un langage compréhensible par
tous et universel. D'où l'utilisation des signes pour la clinique Aesthetis»,
explicite Gilles Masson. Dont l'agence a également planché sur la première
campagne de publicité de L'Alliance Française qui devrait voir le jour en
janvier prochain (encadré p.34).
Au-delà de l'aspect économique, cet intérêt
pour des secteurs à défricher constitue pour l'agence une véritable opportunité
créative. « Nous revendiquons l'art du contre-pied en publicité. C'est-à-dire
savoir être toujours surprenant avec des sujets de plus en plus stratégiques
», justifie le trio. Forte de cette déclaration d'intention, l'agence qui se
décrit comme “une éponge de ce qu'est la société”, milite donc pour une prise
de parole massive des différentes professions qui la constituent. Mais, si des
brèches sont ouvertes ici et là, il reste du chemin à faire avant que la
publicité ne soit adoptée par tous. Aussi libérale soit-elle, l'Union
européenne maintient un bon nombre de professions dans un carcan réglementaire
rigide. La publicité est ainsi encore interdite pour certains secteurs alors
que d'autres sont condamnés à composer avec une réglementation qui maintient un
flou légal. Ce qui peut dissuader les mem-bres des professions libérales de
recourir à des techniques de communication comme la publicité.
Le marketing rentre dans les mœurs
En revanche, dans un marché de
plus en plus ouvert, plus question de faire l'économie d'une approche
marketing. Les grands cabinets d'avocats se dotent ainsi de responsables
marketing et communication mais, sauf exception, n'ont pas réellement franchi
le pas de la communication grand public. Un exercice dans lequel excellent
leurs homologues américains. Idem pour les cabinets d'experts-comptables qui,
s'ils s'affichent sur des terrains de football en Grande-Bretagne, communiquent
avec la plus grande discrétion dans l'Hexagone, ou encore pour les notaires,
passés maîtres dans la communication autour de leur profession, mais qui n'ont
pas encore adopté de démarche individuelle.
Depuis que le cabinet Thieffry &
Associés a réalisé pour la première fois un plan médias en 1999, avec
l'autorisation du barreau de Paris, les outils de marketing et communication
ont considérablement évolué au sein des cabinets. Les relations publiques et
presse (avec leurs séminaires, petits-déjeuners et communiqués de presse), les
certifications qualité, les mentions des clients (avec leur accord) dans les
appels d'offres, la gestion de la relation client... sont autant de moyens
utilisés par les avocats pour convaincre leurs clients qu'ils ont fait le bon
choix !
Confrontés aux gros cabinets anglo-saxons, les avocats d'affaires
montent tous au créneau pour renforcer leur stratégie de marque. Une tendance
qui passe notamment par un “relookage” de l'identité visuelle. Fidal, premier
cabinet d'affaires en France, a ainsi mis en place une équipe de personnes
dédiées à la communication issues du monde de l'entreprise. « Le droit est
aujourd'hui un marché concurrentiel. Les entreprises consomment du droit comme
d'autres choses. En avril 2003, nous avons changé notre identité visuelle et
refait notre site. En mars 2004, nous avons même fait appel à un graphiste pour
travailler notre identité et recruter de nouveaux clients », indique le
porte-parole de Fidal.
Un avis partagé par le cabinet Denton Wilde Sapte qui
s'est servi d'un changement de logo pour afficher ses nouvelles orientations. «
Il y a eu une révision stratégique en 2002. Nous couvrons tous les domaines du
droit, mais nous sommes particulièrement reconnus dans quatre secteurs
d'activité. Nous avons souhaité nous focaliser sur ces quatre-là », souligne
Anne Girard, secrétaire générale en charge du marketing et de la communication
du cabinet.
Pour communiquer sur ce nouveau positionnement, Denton Wilde Sapte
a adopté, au niveau mondial, une nouvelle identité et une signature de marque
“It's a knowledge thing”. « Car c'est la connaissance approfondie de ces
secteurs et de leurs enjeux spécifiques qui constitue la marque, et l'un de ses
avantages concurrentiels sur le marché du droit. Mais nous n'avons pas
communiqué précisément sur cette nouvelle identité visuelle. Le logo est un
moyen d'affirmer cette nouvelle stratégie », ajoute Anne Girard. Pour cette
dernière, la France est encore loin de connaître les communications
d'outre-Manche où, par exemple, l'image des cabinets d'avocats est véhiculée,
dans les rues londoniennes, par les taxis. « Pour l'heure, nous suivons une
voie classique telle que des événements, en partenariat ou non avec des
cabinets d'audit. Nous avons aussi créé un club qui rassemble les
professionnels des fusions-acquisitions. Côté pub, on en reste aux pages de
publicité dans les revues spécialisées. »
Idem pour le cabinet Herbert Smith
Paris qui, depuis septembre 2004, s'est doté d'un cabinet de relations presse
et d'un directeur marketing, afin d'accroître sa visibilité et sa notoriété,
mais qui n'a toujours pas franchi le cap de la publicité. Car voilà, la marge
de manœuvre n'est pas si large. Comme dans toute profession réglementée, le
cadre d'intervention reste strict, même si la communication demeure un argument
intéressant pour favoriser une politique de ressources humaines et donc
recruter de nouveaux collaborateurs.
Aller au-delà du bouche à oreille
Les cabinets d'expertise comptable, interdits de publicité
en France mais autorisés dans la plupart des autres pays de l'UE (1), sont
confrontés à des règles identiques. « Nous sommes autorisés à être présents sur
certains salons. Nous avons également recours à des petits-déjeuners, des
partenariats pour des conférences ou la possibilité de prendre la plume dans la
presse, et cela s'arrête là. Notre premier levier de communication, c'est notre
clientèle », souligne Martial Thevenot, directeur de la communication et du
marketing de KPMG. Qui voit dans le bouche à oreille le moyen de communication
le plus efficace pour chercher de nouveaux clients. D'autant que, selon lui, la
publicité grand public n'est pas forcément indispensable à sa profession. «
Quand les restrictions publicitaires ont été supprimées en Grande-Bretagne, les
Anglais ont vite sauté sur l'occasion, mais en sont également très vite
revenus. D'abord parce que la publicité coûte cher. De plus, autant il est
important d'être dans le “top of mind” des décideurs d'entreprises, autant la
pub grand public n'est pas indispensable. » Et pourtant, la communication, et
plus spécialement la publicité, est clairement indispensable aux secteurs
nourrissant des ambitions mondiales. Quel que soit le domaine d'activité, les
clients achètent plus volontiers des services à une société dont la réputation
dépasse le seul cercle des initiés. Une idée que défendent les trois associés
de Leo Burnett pour qui l'on peut même « mourir de discrétion »… (1) Belgique,
Allemagne, Italie, Luxembourg, Portugal.
Les chirurgiens dentistes en mal de communication
« Si seulement, on pouvait communiquer sur nos services ! » Ce cri du cœur de ce chirurgien dentiste de Paris XVe, qui a requis l'anonymat, en dit long sur le malaise d'une profession en quête de reconnaissance. D'autant qu'en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis, où les services de santé publique ne sont pas comparables au nôtre, la communication et la publicité des chirurgiens dentistes est autorisée. Certains noms de cabinets déambulent sur des voitures ou des taxis. Mais voilà, la France a ses principes au grand désespoir des praticiens qui souhaiteraient communiquer pour informer.
Du coup, les cabinets les plus investis développent une approche différenciante pour combler le déficit de pub. « Notre seul vecteur de communication, ce sont nos clients », regrette ce dentiste qui, du coup, sophistique ses services pour se différencier: numéro d'urgence 7 jours sur 7, 365 jours par an, un cabinet en passe d'être certifié Iso 9001, une salle d'attente dernier cri … « Un patient ne peut pas encore choisir son dentiste en connaissance de cause. En France, un dentiste n'a même pas le droit de communiquer sur ses prix, ni sur sa façon de travailler », déplore ce dernier. Et si la France venait à faire tomber ces barrières à l'instar d'autres secteurs ? L'Ordre des dentistes ne veut pas en entendre parler puisqu'il refuse catégoriquement cette éventualité. « Avec la publicité, on recruterait comme pour vendre de la mauvaise lessive », glisse le Dr Regard, vice-président du Conseil de l'Ordre.
Alors, si au regard de notre système de santé publique, le recours à la publicité peut s'avérer dangereux, il n'en reste pas moins que quelques dentistes malins, mais aussi bon nombre de médecins, ont trouvé le moyen de contourner l'interdit. Depuis que la santé est devenue un débat de société, les membres des professions médicales ou paramédicales sont les incontournables des émissions de télévision, de radio et des conférences de presse. Avec les retombées médiatiques que l'on imagine…
Première prise de parole institutionnelle pour L'Alliance Française
« 2005 sera l'année de la communication pour L'Alliance Française. » Pour Alain Marquer, directeur des relations internationales de l'association, le faire savoir devient une priorité. Née il y a cent vingt ans, l'association, vouée à la promotion de la langue et de la culture françaises dans le monde, est une véritable multinationale culturelle. Seulement voilà, si les 131 pays ont déjà communiqué localement, aucune campagne institutionnelle à vocation mondiale n'a, à ce jour, été réalisée. Avec près d'un millier d'établissements et quelque 400 000 étudiants, L'Alliance Française confie donc à Leo Burnett Paris et Leo Corporate la conception de la première campagne de communication corporate de sa longue histoire. « Nous avons plusieurs objectifs, explique Alain Marquer. Développer l'image de l'association, renforcer le sentiment d'appartenance à un mouvement, faciliter la recherche de financements privés et enfin, soutenir auprès du public l'intérêt pour des personnes francophiles. Nous allons sûrement créer un seul message, car il faudra fédérer des populations très différentes en expliquant pourquoi apprendre le Français, et également, redéfinir la mission de L'Alliance Française », note-t-on chez Leo Burnett. « Le trio (G. Masson, A. Barthuel, D. Fohr, les trois dirigeants de l'agence. ndlr) nous a beaucoup écoutés. J'attends avec gourmandise de découvrir la campagne qu'ils vont nous proposer », poursuit Alain Marquer, qui compte bien présenter lors du colloque international en janvier prochain, le spot de trente secondes censé plaire, séduire, fédérer les 131 pays, pour la première fois.
Les notaires étoffent leurs outils
L'image balzacienne qui colle à la peau des notaires est trompeuse. Si, dans l'esprit des Français, le notaire reste encore souvent un rond de cuir qui rédige des contrats de succession, la profession, parmi les plus informatisées, communique régulièrement sur les ondes et sur le petit écran. « La profession communique, et même beaucoup », se défend le directeur de la communication et du marketing du Conseil supérieur du notariat, Bruno Voisin. Avant d'ajouter : « La profession a une volonté très claire de communiquer, mais il y a une façon de le gérer. » Ainsi, le salon “Les Rencontres Notariales” est devenu un rendez-vous incontournable pour accroître la visibilité de la profession notariale. Celle-ci, qui se fait également entendre une fois par an sur les ondes (la dernière campagne radio, réalisée par l'agence DDB, a eu lieu du 11 au 24 octobre derniers sur les ondes de France Info, Europe 1, RTL et Nostalgie) met en place des outils permettant aux notaires de communiquer vers leur clientèle, développe des outils de contact et de suivi et enfin, vient de moderniser son logo. « Nous mettons également en place une stratégie de communication au niveau européen », se targue le directeur de la communication, qui insiste sur le fait que la France fait partie des pays qui utilisent le plus la publicité.