Quand le consommateur s'empare de la blogosphère
Les technologies de l'information et de la communication libèrent la parole du consommateur. Sur le Web, des réseaux s'organisent. Mieux informé, le consommateur réclame aux marques plus de transparence et de réalité dans l'information.
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Sûrement novatrices, certainement révolutionnaires. Les technologies de
l'information et de la communication sont à coup sûr un élément déstabilisant
pour les entreprises. Qui soudain découvrent le nouveau pouvoir des
consommateurs. Les forums, les chats, les blogs, où les e-consommateurs se
retrouvent pour donner leur avis et échanger en toute liberté, se propagent à
vive allure sur le Net. Aux Etats-Unis, selon l'institut Pew Internet, leur
nombre a progressé de 58 % en 2004. “L'enjeu des blogs est considérable,
notamment pour les entreprises, même si, en 2004, ces derniers n'ont été lus
que par 5 % des internautes”, indique ainsi une étude Forrester Reseach sortie
en novembre dernier.
Impossible de se voiler la face, le Web non marchand est
immense, les espaces de discussion innombrables et c'est là que demain se
jouera très probablement la réputation des marques, voire l'avenir de certains
marchés. Et pour cause. Non seulement, le consommateur sait où aller pour
s'informer, mais il sait également comment acquérir rapidement l'information.
Tour à tour consommateur, client, actionnaire, usager et émetteur, il arrive à
“draguer” l'information comme il n'y était jamais parvenu auparavant. A la
mondialisation des marques répond l'émergence d'une agora internationale, un
village mondial sans cesse connecté, qui ne dort jamais. Désormais, celui qui
maîtrise Internet maîtrise le business et les tendances à venir.
Le haut débit précipite l'avènement de l'interactivité
Les nouvelles
technologies explosent ainsi tous nos codes, toutes nos valeurs. Certes, les
achats sont concernés, mais c'est tout le quotidien du consommateur qui est
bouleversé. Nés avec une souris dans la main, les jeunes sont, pour l'heure,
les premiers concernés. Et pour cause, Internet est clairement le média préféré
des 15-25 ans. L'institut américain Netday va même plus loin. Selon ce dernier,
“aujourd'hui, les lycéens ne se contentent pas d'utiliser la technologie
différemment. Ils conçoivent leur vie et leur activité quotidienne d'une
manière différente à cause de la technologie.” Issue d'une enquête réalisée en
2004 auprès de 200 000 jeunes, cette observation illustre la tendance : acheter
et échanger sur le Net leur est aussi naturel que respirer.
« L'émergence des
nouvelles technologies favorise une nouvelle forme d'intermédiation entre les
consommateurs internautes et, par conséquent, entre tous les consommateurs »,
analyse Rémi Guilbert, planner stratégique chez Human to Human, agence de
communication spécialisée dans la veille de l'opinion publique. Et si cet
échange existait auparavant sous la forme du classique “bouche-à-oreille”, à
quelques exceptions près, sa portée était limitée au cercle relationnel de
l'émetteur.
Exit donc le traditionnel bouche-à-oreille. Fini le zinc et la
place du marché où l'on échangeait les derniers avis sur tel ou tel produit.
Place au village global, cher à Mac Luhan. Avec l'émergence des nouvelles
technologies, la célèbre phrase du sociologue canadien, “Medium is message”,
n'a jamais été aussi vraie. Tout comme d'ailleurs l'idée de village global.
Pour nombre de ses utilisateurs, Internet est devenu un lien social permettant
de s'inscrire dans des communautés et de donner “son” avis. Un avis plus
crédible que celui de la publicité classique puisqu'émis par un autre
soi-même.
Le modèle classique marque-consommateur ne tient plus
Hier encore récepteur d'un message, le consommateur en
devient donc l'émetteur volontaire. Quelle que soit la tranche d'âge, les
nouvelles technologies permettent à tous de s'exprimer sur un sujet, de le
faire vite et auprès du plus grand nombre. Elles font naître le besoin
d'échanger. « Les marques doivent impérativement créer du lien social. Il faut
donner aux consommateurs l'opportunité de se dire des choses », note Philippe
Delière, président de l'agence Wunderman. « Les lecteurs de blogs apprécient
l'honnêteté et la transparence. Telle est d'ailleurs la règle d'un blog réussi
», surenchérit Charlène Li, auteur de l'étude Forrester Research. Et de
rappeler qu'aucun dérapage de la part des marques n'est épargné.
Pour s'en
convaincre, il suffit de surfer sur le Web et de lire les multiples réactions
des internautes au lancement de “De quoi je me M.E.L”, la tribune virtuelle de
Michel-Edouard Leclerc. Présentée par l'intéressé comme un blog, elle a été, de
fait, immédiatement requalifiée de “site” par les bloggeurs qui lui reprochent
son manque d'interactivité et de transparence. Si le consommateur est devenu un
professionnel de l'intermédiation, il s'est aussi muté en expert ès ventes on
line.
« Il n'y a qu'à se pencher sur la formidable ascension de eBay qui compte
plus de 100 millions de personnes inscrites. Grâce à Internet et au village
global, le consommateur devient un professionnel de la transaction. Il a appris
à fixer un prix de vente, trouver un prix psychologique. Bref, le consommateur
fait désormais du commerce et connaît les nouvelles tendances », souligne
Philippe Delière.
Pour preuve, la multitude de petits commerces qui
fleurissent sur Internet, créés par des particuliers aux côtés des géants comme
Cdiscount, Lastminute ou Amazon. Pour Adriana Cronin-Lukas, fondatrice de la
société The Big Blog Company, créée pour guider les sociétés face à l'émergence
des blogs, la machine est en marche. Et elle constitue une véritable
opportunité pour les entreprises et les marques qui, les premières, sauront
décrypter les informations qui y circulent. « Le contenu des blogs et forums
permettra de connaître les tendances des dix-huit prochains mois », annonce
ainsi Adriana Cronin-Lukas. Avant d'ajouter : « Si nous poussons les
entreprises à se pencher de très près sur ce phénomène, c'est que les blogs
sont de véritables miroirs de la société et que les entreprises peuvent y
déceler des tendances. »
« Le rapport du consommateur avec les médias a
changé. Il y a un décloisonnement et une fragmentation de tous ces outils »,
analyse, pour sa part, Philippe Delière. Ce qui a forcément fluidifié et donné
du poids aux opinions publiques en ligne. Conséquences : les internautes ont
acquis un réel pouvoir d'influence. Le consommateur, qu'il soit bloggeur ou
non, est désormais prêt à porter aux nues un produit… comme à se déchaîner sur
une proie. « La réputation de chaque entreprise, marque, produit, ou service
dépend désormais des avis des consommateurs universellement partagés au sein
des forums ou de blogs, confirme Rémi Guilbert.
Il y a cinq ans, seuls les
écarts sociétaux ou environnementaux mettaient à mal l'image des entreprises
sur Internet, comme ce fut le cas pour Total ou Danone. Aujourd'hui, la moindre
défaillance d'un produit ou d'un service est immédiatement dénoncée, et à
l'inverse, la supériorité réelle d'un produit concurrent est rapidement connue.
» En effet, les consommateurs ne sont pas nécessairement hostiles aux marques.
Ils en sont même très souvent des ambassadeurs de choix.
L'industrie du jeu
vidéo est l'une des premières à en avoir pris conscience. Plus question pour
bon nombre d'éditeurs de lancer un produit sans avoir la caution des
bêta-testeurs et le soutien des “hardcore gamers” au sein des forums
spécialisés. L'e-consommateur dispose d'un pouvoir croissant, individuellement
ou collectivement. « Un nouveau film médiocre n'attirera dans les salles qu'une
poignée de spectateurs qui n'auront pas pris la peine de consulter sur les
forums les avis de ceux qui l'ont vu le jour de sa sortie », illustre Rémi
Guilbert, qui prend pour exemple le succès déjà flagrant du forum Allo Ciné.
Interagir et…
Alors, comment les marques, autrefois
seules émettrices de valeur, peuvent-elles désormais composer avec cette
nouvelle donne ? “Les sociétés doivent tout d'abord surveiller ce que l'on dit
d'elles sur les blogs”, avertit d'emblée l'étude Forrester Research. Certaines
commencent à s'infiltrer sur les forums ou les blogs dans le but d'écouter,
voire d'espionner, à l'instar d'Adidas dont les équipes design surfent sur les
forums internationaux pour s'inspirer de l'air du temps futur. D'autres, plus
audacieuses, entreprennent de s'immiscer dans la blogosphère en animant ou en
demandant de tester des produits. Enfin, certains sites marchands ont réussi à
fédérer des communautés virtuelles, créant des armées de clients missionnaires.
Bref, pour toucher le consommateur, les marques doivent être capables
d'interagir. « Il est impératif qu'elles soient prêtes à accepter le dialogue
et la transparence. la communication à sens unique est l'antithèse d'Internet
», souligne Stanislas Magniant, directeur conseil adjoint chez Publicis
Consultant net Intelligenz. Des marques l'ont compris et ajustent leurs
produits ainsi que leurs messages marketing en fonction de l'opinion des
internautes.
Voulant rajeunir son image et créer une synergie avec sa
clientèle, Longchamp a ainsi revu, fin 2003, toute sa stratégie internet. Suite
au lancement d'un site ne vendant que des sacs customisés, la marque, à
l'image plutôt classique, est parvenue à recruter de nouvelles consommatrices.
« Nous avons bien compris que la communication classique ne suffisait plus,
analyse Laure Le Caïnec, responsable marketing international. Nous nous servons
désormais des opinions recueillies pour faire évoluer nos sites. Les gens
parlent avec une liberté qu'ils n'auraient jamais eue face à une personne sur
le lieu de vente. Communiquer avec nos clients via le Web fait désormais partie
de notre marketing mix. »
Certaines agences se sont, également, spécialisées
dans la veille des communautés en ligne. C'est le cas de Human To Human qui,
dès 2003, a saisi l'importance du phénomène. Son rôle : écouter les
innombrables points de vue sur les produits, les services, les marques, les
entreprises et les institutions. « Ecouter l'avis des experts et des candides,
des râleurs et des inconditionnels. Ecouter surtout ce qu'un sondage ou une
étude ne révélera souvent que plus tard et de manière moins nuancée »,
indique-t-on à l'agence, pour qui l'oreille et l'œil humains n'ont pas encore
d'équivalent.
« Les entreprises ne regardent pas suffisamment les gens, martèle
Philippe Delière. Elles cherchent à mettre le consommateur à la place du
marketeur, mais elles ne se mettent jamais à la place du consommateur. » Et
pourtant, même si ce n'est qu'un frémissement, les marques commencent à se
pencher sur le phénomène. « C'est assez récent, reconnaît Nicolas Metzke,
directeur de Ciao France. Les marques ne sont sur le pont que depuis six mois
environ mais, désormais, elles souhaitent de plus en plus de partenariats avec
notre site. Elles ont finalement conscience de l'impact d'Internet et des
forums. » En outre, Internet oblige les marques à se positionner, à devenir
transparentes. Bref, à ne plus tricher. « Les nouvelles technologies sont
clairement un amplificateur à tout cela. Elles vont une fois pour toutes
clarifier le positionnement de certaines marques », estime Brice Auckenthaler,
directeur associé d'expertsconsulting.
Reste que, si l'écoute du consommateur
va prendre de l'ampleur, c'est toute la communication des marques qu'il faudra
changer. « Les marques vont petit à petit prendre conscience que le message
doit être transmis à une cible via d'autres consommateurs », analyse Philippe
Delière. Pour ce dernier, il va devenir de plus en plus difficile de toucher le
consommateur, que ce soit pour vendre ou pour communiquer, tant le nombre de
médias est devenu important. « L'émergence des nouvelles technologies oblige
les marques à restructurer leur réflexion, explique Christine Santarelli,
fondatrice de l'agence interactive Duke. Ces dernières vont devoir s'adapter
comme le ferait un acteur dans la vraie vie. » … réinventer le dialogue, les
nouvelles règles d'or Volvo a ainsi été l'une des premières marques à
comprendre l'enjeu d'une telle communication et à créer une interactivité,
notamment via sa campagne Delarö (voir encadré p.10).
« Le message du
constructeur automobile est devenu un espace de créativité. Le consommateur
est sollicité via des forums, ou des films forwardés. Il devient une caisse de
résonance », note le président de Wunderman. C'est donc toute la stratégie qui
est à revoir. Notamment pour certaines cibles de plus en plus réfractaires à la
publicité traditionnelle. Adidas a ainsi radicalement changé sa façon
d'interpeller et de fidéliser ses clients. « Les nouvelles technologies sont en
synergie avec notre offre, explique Richard Hullin, directeur marketing et
communication de la marque. Quand nous proposons à nos clients d'aller
rencontrer Zizou ou de faire un défilé de mode avec Laura Flessel, c'est via le
Web ou le téléphone mobile. Ce sont des outils parfaits car ils vont droit au
but. Nos clients ont envie d'informations claires et utiles. »
Un avis que
partage Stanislas Magniant : « Il est désormais nécessaire de créer des
teasings en amont via différents médias interactifs pour des communautés bien
spécifiques. » Pour le compte de HP, le groupe Publicis a ainsi planché sur une
expérience inédite de mécénat, la Hipegallery. Un concept qui repose sur une
idée simple : exposer des talents dans un espace leur étant spécialement dédié.
« Les jeunes artistes font partie d'une communauté très soudée et très
réfractaire aux médias classiques. Nous avons donc créé du buzz en participant
aux discussions en ligne de ces communautés ou en faisant du street marketing
», résume Stanislas Magniant, qui regrette que les marques soient encore très
échaudées quant au Net marketing. Et pourtant, il faut bien se rendre à
l'évidence : certaines marques naîtront en identifiant des besoins à partir des
blogs.
Blog, blog, vous avez dit blog ?
2004 aura été l'année Internet à tous les points de vue. Dans un premier temps, les ventes sur Internet ont explosé (celles de PriceMinister auraient progressé de 100 % au dernier trimestre 2004 pour s'élever à 84,4 millions d'euros HT, par exemple). Quant aux internautes, ils ne manquent plus à l'appel puisqu'ils sont désormais 24 millions à être rivés sur la Toile, dont 67 % en haut débit (selon une étude MSN France). Internet persiste aussi à être le média préféré des 15-25 ans et son utilisation s'est largement diffusée allant de pair avec une montée du taux d'équipement. Désormais, on se connecte pour s'informer en temps réel ou comparer les offres de produits. Notamment avec l'arrivée des blogs.
Selon une étude publiée par le cabinet Pew Internet & American Life, 32 millions d'Américains déclaraient surfer sur ces pages personnelles fin 2004, soit 27 % des internautes. Actuellement, un nouveau blog se crée toutes les 5,8 secondes aux Etats-Unis, pays où les blogs ont enregistré une progression de 58 % en 2004. Toujours selon Pew Internet, les bloggeurs sont majoritairement des hommes (57 %), jeunes (48 % ont moins de 30 ans), connectés en haut débit (70 %) et surtout des vétérants du Web (82 % de surfeurs depuis six ans et plus).
Si les lecteurs de blogs sont majoritairement des hommes, les femmes ont également fait leur entrée dans la blogosphère en 2004. Quant à la France, aucun chiffre n'a été encore publié. Bien que le décollage des blogs se soit également fait remarquer. Pour preuve, certains portails internet et des acteurs de la presse en ligne, tels que Le Monde.fr, se sont lancés dans l'aventure. 2005 s'annonce donc comme l'année de l'accélération des blogs.
Volvo, une campagne qui risque de faire école
En misant sur le Net et sur la complémentarité des médias, Volvo a réussi un coup de maître. Consciente d'avoir un profil atypique d'acheteurs, qualifiés par le constructeur de “familles modernes ouvertes aux nouvelles technologies”, la marque a parié sur la multiplication des canaux, un teasing original et des infiltrations dans les réseaux pour accompagner sa campagne TV Volvo Dalarö. « L'ensemble des ressources médias a été mis en place pour générer du trafic et solliciter notre cible au travers de médias hors-normes. Tout cela a été possible parce que la cible était adaptée et que le site avait une bonne ergonomie », explique Marc Espinasse, directeur commercial chez Mindshare, à l'origine du dispositif. Souvenons-nous… Sous une fausse identité, de faux internautes se connectaient sur des chats, des forums ou des blogs pour lancer des rumeurs autour d'un chiffre (le 32) et d'une ville (Dalarö).
Parallèlement, 32 bannières reprenant ces rumeurs étaient diffusées sur des sites, mais aussi dans la presse et en TV. Cinq jours après, Volvo finissait par révéler la supercherie. Sur le Web, les bannières invitaient cette fois les internautes à se rendre sur Volvocars.fr. Cette campagne “Volvo Dalarö”, diffusée il y a tout juste un an, a non seulement permis à la marque d'augmenter de 585 % le nombre de visiteurs uniques sur son site mais également de faire progresser de 60 % le trafic en concessions et de réaliser deux fois plus d'essais qu'en temps ordinaire. « Ce genre de campagne risque fortement de faire école dans d'autres secteurs. Il faut juste que les marques soient capables d'assumer de telles révolutions », assure Marc Espinasse.