Pendant la crise, les travaux continuent!
Home sweet home ! Quand la crise économique fait souffler un vent froid dehors, qu'il est bon de retrouver le doux cocon de sa maison. «Prendre du temps pour décorer son intérieur est une manière de se protéger contre les agressions du monde extérieur, en créant non pas un endroit show off, mais un lieu à vivre et qui nous ressemble», analyse Philippe Khyr, éditeur délégué du pôle Art de Vivre de Lagardère Active. Il reprend là l'une des conclusions de l'étude menée par le pôle auprès de professionnels de l'ameublement, du design et de lecteurs de magazines de maison-décoration, présentée au marché ces prochains jours. En avril dernier, les conclusions du sondage «Les Français et les travaux dans la maison», réalisé par OpinionWay pour le magazine de bricolage Système D, allaient dans le même sens. Elles révélaient ainsi que plus d'un Français sur quatre envisageaient de réaliser eux-mêmes des travaux à leur domicile, 34 % s'y lançant seuls et 39 % avec l'appui de professionnels. Bonne nouvelle pour Système D et ses homologues : ces bricoleurs-décorateurs amateurs considèrent les magazines spécialisés comme la source d'information média la plus fiable (30 %), devant les diverses sources internet (29 %) et les émissions de télévision consa crées à la maison (5 %). Il faut dire que les Français n'ont que l'embarras du choix pour puiser parmi les publications dédiées à l'univers de la déco, de la maison, du bricolage et du jardin.
Une famille élargie
Si l'OJD n'en recense que 38 contre 25 en 1998, les distributeurs NMPP et MLP en dénombrent plus de 200. Cette grande famille très hétérogène intègre à la fois les titres historiques haut de gamme comme AD, Elle Déco, Maison Française, Marie Claire Maison, Ideat ou Côté Sud/Ouest/Est et des magazines pratiques comme Maison Créative, Maison & Travaux, Le Journal de la Maison, C déco ou Prima Maison. Sans oublier les gratuits comme Complément d'Objets Déco et des consumers comme Du côté de chez vous, le bimestriel de Leroy Merlin également décliné en portail sur le Web et en programme télévisé. Sans parler des féminins qui, à l'instar de la nouvelle formule de Femme Actuelle, consacrent une part grandissante à l'univers de la décoration et de la maison. Une famille de presse très élargie, donc, où règnent conflits d'intérêts et alliances, notamment contre ceux qui veulent investir ce créneau. «C'est une catégorie dans laquelle on peut disposer en amont de beaucoup de contenus de qualité fournis gratuitement par les marques de décoration : dossiers de presse, reportages photo, du matériel à partir duquel n 'importe qui peut faire un peu n'importe quoi et réaliser un magazine à peu défiais», indique Fredrik Edström, éditeur des titres maison du groupe Marie Claire. « Ce marché est, en effet, embouteillé par des titres réalisés à partir de photos d'agences ou libres de droits, confirme Philippe Khyr. On a également vu arriver une nouvelle concurrence avec les catalogues des distributeurs. Ces derniers ne se contentent plus de montrer un produit et de donner son prix, mais créent de véritables ambiances de décoration. »
Comment marquer sa différence dans cette offre pléthorique ? «En prenant le parti de surprendre les lectrices lassées de lire le énième dossier sur un sujet», estime Véronique Faujour, directrice générale adjointe du groupe Uni-Editions. C'est pourquoi le groupe a entamé, l'été dernier, un travail de fond sur la formule éditoriale de Maison Créative, le discret et pourtant numéro 1 en diffusion de la presse maison (289 422 exemplaires, + 8,7 %, à juin 2009 selon OJD DFP).
Un chantier permanent
Le bimestriel revient avec quatre parties : «Envie de créer», «Bienvenue chez moi», «Les régions nous inspirent», «Partenaire de vos projets», réunies sous la nouvelle base line «Créer une maison qui me ressemble». « Nous y présentons la maison comme un terrain d'aventures et de jeu qui évolue selon les périodes de la vie, détaille Véronique Faujour. Nous proposons ainsi du rêve accessible, des astuces pour apprendre à remettre au goût du jour meubles et objets anciens, réaliser facilement soi-même des créations originales et uniques. » Chaque numéro de Maison Créative est accompagné d'un supplément autonome d'une centaine de pages. Ce dernier se présente comme un guide thématique qui prolonge la déco vers l'équipement de la maison (le bâti et les ouvertures, les matériaux et les revêtements, le chauffage et les énergies, etc.). Cette nouvelle formule du groupe boucle une série de rénovations mises en oeuvre par de nombreux titres en 2009. En attendant d'ouvrir le prochain chantier 2010 consacré aux dix ans de Campagne Décoration, Lagardère Active a consolidé les fondations de Maison & Travaux. Le magazine propose désormais des solutions encore plus adaptées à la rénovation de l'habitat : zoom sur des aménagements astucieux, «pas à pas» pour réaliser des travaux soimême ou les faire faire, etc. L'éditeur PGV Maison s'est, pour sa part, attaqué à la reconstruction de ses deux titres, C déco et Système D, le premier en renforçant les rubriques destinées à permettre aux lecteurs de s'approprier et de réaliser leurs propres projets, le second en les aidant encore davantage à préparer leurs travaux.
Philippe khyr (Lagardère active) : « nous avons créé la marque ombrelle Planète art de Vivre, afin de montrer que nos titres sont complémentaires. »
Fredrik Edström (Marie Claire) : « Les lectrices sont toujours là. La crise est juste une mauvaise passe durant laquelle il faut faire le dos rond et améliorer encore les magazines.»
De nouvelles périodicités
Mais ce travail sur les fondations ne s'est pas arrêté là pour certains éditeurs qui n'ont pas hésité à proposer de nouveaux titres. Et ce en dépit d'une offre qu'ils jugent pourtant déjà trop étendue. Le groupe Marie Claire a ainsi lancé le bimestriel 100 Idées Déco. «Nous avons considéré qu'un magazine un peu plus pragmatique que Marie Claire Maison et un peu moins manuel que Marie Claire Idées pouvait trouver sa place, explique Fredrik Edström. L'idée est d'accompagner les lectrices passionnées de décoration en leur proposant des styles très différents dans une ambiance ludique. » Un pari qui semble gagné, puisque le qua trième numéro est déjà en kiosque. «Nous avons dépassé nos prévisions, déclare Fredrik Edström.
Nous avons vendu en kiosque près de 90000 exemplaires pour le premier numéro et environ 80000 exemplaires pour les deux suivants. » Dans la foulée, le groupe a décidé de faire passer l'historique 100 Idées de quatre numéros liés au rythme des saisons à six numéros annuels. Une révolution pour les lectrices. «Nous allons ainsi nous accorder un peu plus de liberté et, grâce au site internet, mieux capter l'actualité», précise Fredrik Edström.
La déclinaison de marques éditoriales est décidément au goût du jour chez les éditeurs. Le groupe Express-Roularta en donne une autre illustration avec la déclinaison de deux nouveaux titres de la famille «Vivre Côté» : Vivre Côté Cuisines & Bains et Vivre Côté Terrasses et Jardins. Pourquoi ces verticaux, l'un dédié à l'intérieur de la maison et l'autre à l'extérieur ? «Nos magazines déco savent inspirer, mais ne vont volontairement pas trop loin dans la réalisation, explique Corinne Pitavy, directrice générale France du groupe Express - Roularta. Ces deux magazines sont faits pour prendre en main les décoratrices amateurs, ou celles qui se piquent d'avoir la main verte, quand les généralistes de la déco ne suffisent plus. » Peu d'investissements ont été nécessaires, car le groupe disposait des structures ad hoc en interne. «Nous ne souhaitions continuer que si les résultats étaient bons et c'est le cas : ils sont reconduits en 2010», annonce Corinne Pitavy. Mais pas question pour autant d'aller encore plus loin en verticalité : «Nous n'allons pas faire un Vivre Côté douche à l'italienne », sourit la directrice générale. Comme le groupe Marie Claire pour 100 Idées, le groupe Express-Roularta en profite aussi pour élargir la diffusion, en l'occurrence celle de Vivre Côté Paris qui passe de trimestriel à bimestriel, à l'instar des Vivre Côté Sud et Vivre Côté Ouest. Vivre Côté Est reste trimestriel, «car il touche moins la double cible des résidences principales et secondaires que dans les autres régions», justifie Corinne Pitavy.
Corinne Pitavy (Express-roularta) : «La diffusion de la presse déco subit une petite inflexion de marché ultra-conjoncturelle.»
Quoi de neuf en ligne?
Grâce au Web, la presse déco peut conquérir de nouvelles cibles. L'an dernier, le site Marie Claire Maison, par exemple, comptait 19 % d'exclusivités web. Et chaque groupe peaufine sa stratégie on line : Marie Claire a lancé 100ideesdeco.com en l'intégrant au portail Marieclairemaison.com.
Le groupe Express-Roularta chouchoute Cotemaison.fr, qui s'est classé deux mois de suite premier portail déco on line selon le baromètre Nielsen NetRatings d'octobre 2009. Lagardère Active a préféré, en revanche, miser sur l'aspect service avec Dekio.fr, un moteur de recherche dédié à la maison et à l'ameublement qui référence plus de 2 000 sites et blogs déco.
« ideat ne ressemble à aucun de ses concurrents »
Interview trois questions à Laurent Blanc, fondateur et éditeur d'Ideat, un magazine qui marie décoration, design et culture.
Comment expliquez-vous cette bonne santé ?
MM : La crise a-t-elle freiné la progression dont bénéficie Ideat depuis plusieurs années ?
Laurent Blanc : Pas du tout, et c'est une évolution totalement atypique, un cas d'école sur le marché de la presse décoration-art de vivre. Depuis trois ans, Ideat suit effectivement une courbe exponentielle, tant en diffusion qu'en publicité. Le titre a enregistré la plus forte progression de vente au numéro en DFP sur les trois dernières années (+ 28 % entre 2006 et 2008 - source OJ D) et les résultats OJD de la période de début juillet 2008 à fi n juin 2009 laissent apparaître une hausse de la diffusion France payée de 9 % et de 10 % en y ajoutant la diffusion à l'étranger. Et ce, alors que le prix du magazine est passé en trois ans de 4 euros à 4,50 euros, puis à 4,90 euros avec la montée en gamme de la maquette en septembre 2008. Côté publicité, après avoir multiplié par deux le chiffre d'affaires publicitaire en 2008, nous pensions que nous allions subir un mouvement inverse avec la crise de 2009. Or, il est toujours en hausse, de 30 % selon Yacast.
Coment expliquez-vous cette bonne santé
Ideat ne ressemble à aucun de ses concurrents qui utilisent les mêmes recettes depuis des années. Rien ne ressemble plus à un magazine déco actuellement en kiosque que son numéro d'avant ou d'après. A la différence des autres, Ideat est 100 % design, 100 % contemporain. C'est un pari dans un pays qui, il y a encore peu, n'aimait pas le design et où art de vivre à la française voulait d'abord dire meubles anciens et décoration classique. Mais est arrivée une génération de 30-40 ans, féminine mais aussi masculine, qui a envie de contemporain. Ideat est devenu leur magazine.
Quels sont vos projets pour 2010 ?
Il y a trois ans, nous étions à un carrefour, soit aller dans une direction populaire, soit s'orienter vers un positionnement résolument très haut de gamme, élitiste. Nous avons choisi le second et ça marche. Nous allons continuer à le renforcer en développant notamment les numéros 100 % thématiques lancés il y a un an et demi. En 2010, nous proposerons des numéros axés sur Venise, le Japon et le développement durable. Nous continuons par ailleurs à développer l'activité d'Ideat Publishing qui réalise des consumers lifestyle pour des marques comme Hitachi, Le Printemps, L'Expansion ou la chaîne deI sign d'Audi sur le Net. En 2010, nous allons également réaliser la webTV de Jardiland.
La diffusion s'en sort mieux que la publicité
Pendant la crise, les travaux continuent donc en kiosque. Et ce, en dépit d'un recul de la vente au numéro de l'ordre de 5 %. «Il s'agit d'une petite inflexion de marché ultra-conjoncturelle en bonne partie due à la baisse des transactions immobilières génératrices de rénovation et d'aménagement», estime Corinne Pitavy. «Les lectrices sont toujours là, c'est juste une mauvaise passe durant laquelle il faut faire le dos rond et améliorer encore les magazines», ajoute, de son côté, Fredrik Edström. «Ce sont les investissements publicitaires qui se portent mal, pas la catégorie», affirme Philippe Khyr. Lagardère Active a d'ailleurs créé la marque ombrelle Planète Art de Vivre pour s'attaquer aux deux nerfs de la guerre : la publicité et la diffusion. «Cette marque réunit nos sept magazines à la fois pour montrer la puissance de notre groupe, mais aussi pour expliquer aux lectrices et au marché que nos titres sont complémentaires, ce qui n'est pas le cas de nos concurrents qui sont axés sur une seule cible, type CSP + », explique Philippe Khyr. Lagardère propose ainsi en kiosque des offres de ventes couplées : Elle Déco avec Art & Décoration, Art & Décoration avec Campagne Décoration... Des offres assorties de remises entre 20 % et 30 %. «Nous le faisons quasiment sur toutes les parutions et l'analyse montre que cela génère des ventes additionnelles», souligne Philippe Khyr.
La vente couplée bat également son plein dans les régies des groupes, avec des offres comme le pack «Hiver @home» portant sur cinq à six titres d'Express Roularta Services ou «Home Pack» de GMC Factory. Cette régie du groupe Marie Claire propose une offre cross media 100 % maison incluant trois magazines, deux sites internet dédiés à la maison et un programming (programme de divertissement ou de découverte, voire d'information) sur Télé Maison.
La catégorie n'est pas épargnée par la chute des investissements publicitaires qui touche l'ensemble de la presse magazine. Fin octobre 2009, les 22 principaux titres couverts par TNS Media Intelligence affichaient une baisse globale de 20 % en volume, 30 % pour les plus touchés comme Marie Claire Maison, Maison & Travaux, 27 % pour Maison Créative, 23 % pour Elle Déco, 20 % pour Art & Décoration. Deux titres seulement affichaient des résultats publicitaires positifs, Maison Côté Ouest (3 %) et surtout Ideat (23 %), qui confirme le succès de sa recette (lire interview ci-contre) «Certains titres sont sortis des domaines captifs pour aller chercher des annonceurs dans l'Alimentaire ou l'Automobile. Mais quand ces secteurs resserrent leurs investissements médias, ils recentrent leurs budgets sur l'indispensable, explique Eric Trousset, directeur du marketing de TNS Media Intelligence. L'Alimentaire, par exemple, a réduit de 30 % ses investissements publicitaires dans la presse déco. » Mais la situation n'est pas meilleure du côté des annonceurs dits captifs. L'Ameublement (- 25 %), le BTP (- 23 %) ou encore l'Electroménager (- 28 % ) ont aussi partiellement déserté ces magazines. Seule l'Energie a augmenté sa présence publicitaire (+ 25 %). «Le risque pour cette famille de presse, une fois la crise finie, est de subir un recentrage sur les titres leaders au détriment de tous ces petits titres absents de VOJD ou de l'APPM», avance Eric Trousset. Un risque qui ne déplairait pas auxdits leaders...
À l'image de Lagardère active (Maison & Travaux), Uni-Éditions a revu la formule éditoriale de Maison Créative.