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On a perdu le consommateur de vue , Babette Leforestier (TNS Media Intelligence)

Observatrice privilégiée des comportements de consommation et des stratégies des industriels et distributeurs, Babette Leforestier jette un regard sans complaisance sur le marketing d'aujourd'hui. Caractérisé, selon elle, par une trop grande absence de prise en compte du consommateur.

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Votre éditorial du dixième Marketing Book est titré “Overdose”. Est-ce de la provocation ou bien le reflet d'une véritable overdose et, si oui, de quelle overdose ?


Babette Leforestier : C'est vraiment le sentiment qu'a le consommateur. Une overdose de tout. Il n'en peut plus des hypersegmentations, des offres promotionnelles, des programmes de fidélisation qu'il ne comprend pas. Overdose de pub aussi, d'une pub qui devient de moins en moins crédible. Ce qui fait que, fort du bon sens qu'il a toujours eu, il va voir ailleurs. Il ne faut pas croire que la montée du hard discount soit seulement liée à un effet prix. Le hard discount, ça va plus vite, on est moins tenté, on ne s'ennuie plus avec de multiples références… On a l'impression que les industriels, comme les distributeurs, se comportent comme s'ils étaient tout seuls sur leur marché. Sachant que le phénomène des remises de gammes a joué un effet amplificateur : en lançant gammes sur gammes, les marques veulent occuper le maximum de linéaire. Et parfois, cette logique n'est pas très pertinente. Il faut arrêter d'inonder le marché avec des promesses qui sont très très proches. Derrière l'hypersegmentation, il y a souvent une réflexion marketing approfondie. Mais, confronté aux produit le consommateur ne s'y retrouve pas.

Tout serait conçu sans prendre en compte le consommateur ?


B. L. : On a perdu le consommateur de vue. Les marques se parlent entre elles, les distributeurs se parlent entre eux. Et c'est amusant de lire en ce moment des articles disant “Il faut revenir au consommateur”..., alors que le consommateur, c'est l'essence même du marketing. Aujourd'hui, le marketing est complètement méprisé. Avant, on disait “c'est de la pub”, désormais, on dit “c'est du marketing”. Et ça, c'est terrible. Parce que le marketing, c'est quelque chose de formidable : essayer de concevoir un produit en fonction des besoins du consommateur, même s'il ne peut pas les exprimer tout de suite. Maintenant, cela devient : on veut vous “fourguer” quelque chose. On n'écoute pas le consommateur. On sait très bien, par exemple, qu'en matière de promotion, ce que veut le consommateur, ce sont des réductions de prix à la caisse. Mais on ne lui en propose pas. On lui dit qu'il va cumuler des points et que dans deux ans, il pourra s'offrir un cadeau... En ce moment, les distributeurs communiquent sur la baisse des prix. Mais, quelqu'un qui se voit proposer, via les programmes de fidélité, des baisses de 25 % sur de grandes marques depuis déjà trois mois, ne sait plus combien il va payer son produit. Cela devient incompréhensible.

Cette communication des distributeurs sur les prix risque donc de brouiller encore davantage les esprits...


B. L. : La communication, mais aussi les mécanismes promotionnels qui sont en fait très complexes. Les cartes qui ont le mieux fonctionné, comme celles de Champion ou de Système U, sont celles qui ont un mécanisme simple, que le consommateur comprend bien. Et, quand je dis “overdose”, c'est aussi au niveau du point de vente, avec des stop rayons partout. Chacun veut créer son code couleurs, les industriels comme les distributeurs. Comme, en ce moment, les distributeurs ne savent pas très bien où ils vont, ils essayent de jouer à la fois la carte hard discount et puis une carte plus “chic”. Il n'y a plus de positionnement. Depuis des années, leurs parts de marché n'ont pratiquement pas bougé, sauf mécaniquement avec les rachats. A l'image des industriels, ils se battent pour pas grand-chose, même si un demi-point de part de marché vaut très cher. En Grande-Bretagne, Tesco a pris des parts de marché monstrueuses, parce que tout ce que fait l'enseigne est totalement centré sur le consommateur. Les distributeurs anglais ont surtout misé sur la qualité de service - dans le sens rendre service au client. Ce qui fait que le hard discount progresse, mais beaucoup moins vite qu'en France. On entend souvent dire que le consommateur est devenu plus expert, plus mûr, qu'il décode le marketing... B. L. : Tout d'abord, le consommateur est plein de bon sens. Il a toujours été mûr, il a toujours été exigeant. Personne ne s'est étonné quand il est allé dans les hypermarchés, parce que, forcément, dans un hyper, c'était moins cher. Quand les hard discounters sont arrivés, logiquement, il est allé voir parce que c'était moins cher. A chaque fois, c'est bien le bon sens qui le guide. Le consommateur n'est pas plus intelligent, il l'a toujours été. Cela dit, il est vrai qu'il y a une ou deux générations, le consommateur ne savait pas trop ce qu'étaient les techniques marketing. Maintenant, il est moins dupe. Mais il se laisse quand-même duper. Il aime bien y croire. On dit que les jeunes sont accros aux marques. Mais ils le sont parce qu'ils le veulent bien, parce que cela leur fait plaisir. Mais ils ne sont pas dupes.

Cela dit, il n'existe toujours pas en France de véritable “contre-pouvoir” des consommateurs...


B. L. : C'est vrai. Dans les pays anglo-saxons, les associations de consommateurs sont beaucoup plus actives et elles font connaître leurs actions. En France, ce ne sont pas des “militants”. Pendant des années, elles ne se sont exprimées que via leurs journaux. Aujourd'hui, elles ont davantage tendance à diffuser l'information. Depuis quelques mois, on sent que cela bouge beaucoup plus. Par ailleurs, les instances gouvernementales ne jouent pas tout à fait leur rôle, à la différence des offices gouvernementaux britanniques qui sont très vigilants. En France, on sent qu'il existe une tradition, un respect très fort de l'industriel, du producteur. Les Français sont ceux qui croient le plus au discours éthique des entreprises, alors que les pays d'Europe du Nord n'y croient pas du tout.

Qu'est ce qui a changé fondamentalement en dix ans ?


B. L. : Ce sont les modes de vie qui ont conditionné les modifications de consommation. Aujourd'hui, on est arrivé à la fin d'une révolution parce que toutes les femmes travaillent. Ce qui fait que les modes de consommation se sont un peu stabilisés. Mais il existe des conditions exogènes qui sont les crises économiques. Si l'on fait un parallèle entre ce qui s'est passé entre 93 et 95 et ce qui se passe maintenant, c'est exactement le même phénomène. Les gens ont moins d'argent, donc ils en dépensent moins. C'est aussi bête que ça. Ce qui est également impressionnant, c'est que l'on fait moins d'enfants. Il existe une peur de l'avenir significative. Les crises alimentaires sont aussi très révélatrices. Quand il y en a une, on voit augmenter les ventes du bio et des produits labellisés et puis, en l'espace de deux ans, elles baissent. On revient toujours à une situation antérieure assez identique. Les gens ne changent pas radicalement de comportement alimentaire. Mais il y a des mouvements. On a vu l'année dernière une baisse de consommation assez nette des produits alimentaires pour enfants, les biscuits, les sodas - sauf les lights -, les viennoiseries... Moins d'enfants en ont consommé et surtout les plus jeunes. Ce qui veut dire que les mères ont pris la décision d'en acheter moins. On sent qu'il y a une prise de conscience dans le sens d'une meilleure alimentation, sans oublier l'effet du discours sur la montée de l'obésité. Mais sera- t-elle pérenne ?

Qu'en est-il des tendances au niveau des marques ?


B. L. : Les marques sont sur les mêmes axes de développement depuis dix ans. Dans le Marketing Book 1996, nous avions fait une grosse rubrique sur les tendances. Elles n'ont pas bougé. Ce sont les mêmes dans tous les pays du monde : praticité, plaisir et santé. La praticité est surtout liée aux femmes qui travaillent. Le plaisir fait partie, et surtout pour les Français, de l'histoire et il restera. La santé, certains y croient, d'autres pas. Assez curieusement, dans ce domaine, il n'y a rien pour les enfants. Sur les derniers lancements, il n'y en a que trois ou quatre avec une petite promesse santé ; tous les autres ont une promesse plaisir. La promesse santé est destinée aux adultes et là, on joue sur la peur de mourir. Tant qu'il s'agissait de promesses mineures, du type minceur, ce n'était pas dangereux. Mais, quand on arrive sur des produits anti-cholestérol, là, il y a une vraie responsabilité des marques. Cela dit, on peut déjà avoir un positionnement santé sans aller jusqu'à l'alicament : changer les recettes pour qu'elles soient plus saines, mettre moins de sucre, moins de sel... Là, il y a déjà beaucoup de travail à faire.

Peut-on parler de panurgisme marketing ?


B. L. : Il est très fort. Mais il y a aussi des coïncidences marketing. Les marketers travaillent sur les mêmes choses ; ils sont tous intéressés par les tendances. Les cadres marketing sont tous pareils, ils ont la même formation, travaillent sur les mêmes études, ont la même forme d'esprit. Même si certaines entreprises disent régulièrement qu'elles vont faire appel à d'autres profils. La vraie innovation de rupture n'est donc pas évidente.

Qu'est ce que “faire du marketing” aujourd'hui ?


B. L. : C'est faire des gammes très longues pour obtenir des remises chez les distributeurs. Et investir en publicité parce que la publicité reste, quand même, un moteur considérable. L'organisation des sociétés internationales fait aussi que cela devient de plus en plus complexe de faire du marketing. Il y a beaucoup de sociétés dans lesquelles on n'a pas le droit de toucher au produit quand il arrive en France. Même si certaines, comme Procter, disent qu'elles reviennent au local pour, à la limite, faire renaître de vieilles marques.

Existe-t-il une perte de confiance du consommateur envers les marques ?


B. L. : Ce n'est pas une histoire de confiance. Le consommateur a une très grande confiance dans le process industriel. En fait, il se dit que les marques se valent. D'où la nécessité d'être différent. Mais se différencier devient de plus en plus compliqué et l'on sort souvent un nouveau produit, simplement parce que l'on est le premier à le faire. Par ailleurs, même si les MDD ont beaucoup progressé, ce n'est pas de manière considérable ; ce qui veut bien dire que les gens restent attachés aux marques.

Quels changements voyez-vous pour les années à venir ?


B. L. : Le vocabulaire (rires). Avant, on faisait du marketing direct, après on a fait du marketing de base de données, après du CRM, et demain je ne sais quoi... Mais c'est toujours la même chose, la même logique. On a simplement changé les logiciels. Maintenant, on parle de marketing expérientiel, holistique, sensoriel... mais c'est toujours du marketing. Au-delà, on pouvait croire que la “mass customization” allait se développer. A aujourd'hui, il n'y a qu'une seule réussite, reflect.com de Procter & Gamble, dans le domaine de l'hygiène-beauté, où l'on conçoit le produit que l'on veut, avec les ingrédients, le packaging, le nom... que l'on veut. Néanmoins, cela reste une voie intéressante. Personnellement, je crois beaucoup à l'interactivité, au dialogue avec les marques, parce que c'est ce que demande le consommateur. Et notamment via Internet. Mais, en France, les marques ne savent pas encore bien s'en servir. Elles ne sont pas habituées à ce que ce soit le consommateur qui s'adresse à elles, et non l'inverse. Et cela nécessite de leur part une transparence totale. Cela les oblige à être honnêtes, vraies. Les sites de marques ne sont trop souvent que des vitrines, même s'il y a de plus en plus d'efforts au niveau de l'information délivrée. L'un des sites de recettes les plus visités aux Etats-Unis est celui de Kraft, parce qu'il a réussi à créer un vrai service.

Pourquoi a-t-on autant oublié le consommateur ?


B. L. : Parce que tout le monde veut faire du profit... Et qu'il faut faire du volume ou de la valeur ajoutée, à tout prix. Beaucoup de marchés étant saturés, la finalité des gens de marketing, c'est : toujours plus de valeur ajoutée. Et les marques ont toujours eu tendance à penser que le consommateur leur appartenait. Et puis, il faut aller vite, toujours plus vite. Une étude qui a trois mois est déjà une vieille étude pour les gens du marketing. Il n'y a pas assez de réflexion globale.

Le Pôle Intelligence Marketing


Outre le Marketing Book, annuel, le Pôle Intelligence Marketing de TNS Media Intelligence publie les Marketing Book Seniors, Juniors et Familles, l'étude Nutrition-Santé, Food-on-the-go, Osiris (synthèse de dix ans de consommation et de stratégies marketing), des Observatoires Marketing thématiques...

Parcours


ESC Rouen. Journaliste en presse professionnelle marketing et communication pendant dix ans. 1991 Co-fondatrice, avec Catherine Heurtebise, de la “banque d'idées” Marketing Profit. 1993 Création du Pôle Marketing au sein de Secodip. 1995 Sortie du premier Marketing Book. Aujourd'hui, directeur du Pôle Intelligence Marketing de TNS Media Intelligence

Propos recueillis par François Rouffiac et Rita Mazzoli

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