ONG : Après le don, instaurer la culture du don
Les Français sont généreux. Ils l'ont prouvé lors de la catastrophe qui s'est abattue sur l'Asie du Sud-Est. Reste aujourd'hui aux ONG à transformer la réaction épidermique en culture du don. Une tâche plus ardue qu'il y paraît.
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Particuliers, écoles, commerces, entreprises, collectivités locales,
administrations publiques… Face à l'horreur qui a frappé l'Asie du Sud-Est,
c'est la France entière qui a élevé un barrage de solidarité. Faut-il en
déduire que les Français, que l'on dit individualistes, préoccupés par leurs
seules petites misères, savent se montrer généreux quand le drame les frappe de
plein fouet ? Au vu des dons collectés en ce début d'année, aucun doute n'est
plus permis. En une semaine, la Croix-Rouge Française a recueilli plus de dons
qu'en une année habituelle de collecte de fonds. Au
6 janvier dernier, 41 millions d'euros avaient été versés à l'organisation. «
Le tsunami a mis en porte-à-faux des études mettant en avant le vieillissement
des donateurs et la baisse de la générosité. Il reste maintenant à ces
associations d'innover pour faire vivre leur marque.» Pour Arnaud de Bruyn,
professeur de marketing à l'Essec Business School et spécialiste des ONG, si
les associations humanitaires ont eu la confirmation de la générosité des
Français, il leur faut désormais trouver de nouvelles voies pour se faire
connaître, se différencier et créer une relation privilégiée avec les
donateurs. Il leur faut, à la manière d'une entreprise lambda, donner du sens à
leur marque pour créer la préférence. Bref, trouver une place au milieu d'un
maquis d'organisations défendant toutes des causes plus honorables les unes que
les autres. « Il y a une énorme concurrence sur le marché, les donateurs
peuvent être saturés », prévient Claude
Chaffiotte, P-dg de l'agence marketing RMG Connect, filiale de J. Walter
Thompson Group, spécialisée sur le marché du don. Et d'ajouter : « La
Prévention routière, la SPA ou le SIDA risquent d'avoir du mal à resolliciter
les donateurs dans quelques mois. »
Inventer une nouvelle communication
« L'équilibre est à trouver. Les associations utilisent parfois un
mass-marketing irréfléchi qui peut être dangereux à long terme. Il faut
utiliser le bon message destiné à la bonne personne, au bon endroit et au bon
moment, souligne Jon Duchinsky, directeur de l'Union pour la Générosité. Dans
un monde idéal, le donateur souhaite d'ailleurs recevoir un accusé de réception
suivi d'un remerciement et de l'affectation des dons puis, éventuellement plus
tard, d'une nouvelle demande.» D'autant que ces nouveaux donateurs coup de
cœur, qui ont fait leur entrée sur le marché du don, sont en attente de
résultats. Ils voudront savoir comment leurs dons ont été redistribués avant de
replonger pour une cause ou pour une ONG. « Il va falloir inventer une nouvelle
communication très rapidement et de nouveaux moyens techniques», note Claude
Chaffiotte. Pour ce spécialiste du marché du don, les premiers messages que les
associations feront passer seront déterminants. « Il va falloir remercier,
expliquer, tracer les dons. Les gens risquent vite d'être déstabilisés car
l'afflux des dons a été considérable. Les donateurs devraient déjà avoir reçu
des newsletters pour expliquer ce que l'on a fait de leur argent. » Expliquer
la destination de l'argent collecté, mais également le rôle des ONG, leur
fonctionnement, leur mission. D'autant que, comme le souligne Dominique Avril,
directeur du marketing de l'Ordre de Malte, « l'important n'est pas de
collecter des fonds mais d'avoir des donateurs. » Tout est dit. Pour les ONG,
le plus dur reste à faire. Transformer cet élan de générosité en culture
pérenne.
« Le tsunami est exceptionnel. Tous les facteurs étaient, hélas, réunis pour
toucher le donateur : disparition d'enfants, période de fêtes, catastrophe
naturelle, médiatisation…, note Claude Chaffiotte. Parfois la cause peut se
suffire à elle-même comme le cancer. Dans d'autres cas, c'est le personnage qui
peut toucher l'opinion comme l'Abbé Pierre. Mais, le plus souvent, les
associations ont du mal à médiatiser leur cause et leur marque. » Car, si les
ONG se sont professionnalisées au fil des ans, pour devenir, pour certaines
d'entre elles, de véritables marques, toutes n'ont pas la chance de bénéficier
d'un fondateur emblématique ou d'une présence médias de trente heures. Et si le
tsunami a énormément recruté, il n'en va pas de même pour le Sida, dont le
nombre de victimes à travers le monde équivaut à un tsunami par mois, ou pour
le Darfour.
Instaurer une culture du don
« Aujourd'hui, les associations ne maîtrisent plus
le sujet. Le tsunami a été
un tremblement de terre dans le monde de la
collecte de fonds», indique
Eric Dutertre, président TBWA Excell. Et d'ajouter : « La télévision a été très
loin. Elle a montré ce que les ONG s'étaient toujours interdits de faire. » La
couverture médiatique sans précédent, le choc des images, l'égrenage du nombre
de morts ont traumatisé une population qui s'est projetée dans le camp des
victimes. Le drame a-t-il pour autant mis en avant la mission fondatrice des
ONG? Rien ne permet de le dire. Et, à n'en pas douter, certaines causes, moins
visibles, pâtiront du succès des autres. Et pour cause, à l'instar d'une
marque, plus une ONG est visible, plus elle a de chances de faire vivre son
projet. Avec un taux de notoriété assistée de 95 %, Médecins Sans Frontières a
ainsi été la première ONG à demander aux Français de cesser de donner pour
l'Asie. « Les gens ont vite donné, car nous sommes connus », souligne Pascal
Freneaux, responsable marketing. En une semaine MSF avait comptabilisé 60 000
donateurs dont plus de 40 000 nouveaux. Ces derniers lui seront-ils fidèles ? «
Pas sûr, reconnaît Pascal Freneaux. Ils ont donné pour une catastrophe
médiatisée. Mais l'on va tout faire pour les fidéliser. Pour cela, ces
donateurs ont déjà reçu une lettre de remerciement, ainsi que notre journal.
Ils ont également reçu mi-janvier un premier bilan des actions. » Pour toucher
et fidéliser ces nouveaux donateurs, tous les moyens sont bons. Notamment ceux
empruntés au marketing de la grande consommation. « Une cible émerge sur le
marché du don : les nouveaux seniors. Cette population est moins réceptive au
marketing direct. Il faut donc travailler avec de nouveaux médias. Idem pour
les jeunes qui ont montré qu'ils pouvaient être généreux. Il suffit de demander
de la bonne façon », analyse Jon Duchinsky. « Les ONG ont largement emprunté au
marketing des entreprises. On utilise désormais de nouveaux outils comme les
SMS ou le street fundraising, on travaille avec des agences marketing, on
cherche à créer une nouvelle relation avec le donateur. Les associations n'ont
pas à rougir par rapport aux grands vépécistes », confirme Dominique Avril.
Mais ces techniques suffiront-elles à faire survivre, au-delà de l'émotion, la
culture du don ? Les ONG le savent : pour collecter des dons, il faut des
donateurs… C'est là le talon d'Achille de cette profession. D'où un impératif :
expliquer pour mieux collecter et mieux solliciter.
Rendre plus visible, et plus claire, la cause
« Les ONG étant devenues de vraies marques, il est urgent de rendre visible,
plus claire et intéressante la cause défendue », rappelle Eric Dutertre. Si
certaines causes tragiques autant qu'insoutenables n'ont pas de mal à être
visibles, d'autres pâtissent de ce manque de visibilité. Ainsi, quinze jours
après le traumatisme du tsunami, Douleurs Sans Frontières (DSF), ONG fondée en
1995 par des médecins, et dont la mission est de s'occuper exclusivement de la
douleur dans les pays les plus défavorisés, rappelait par la voix de son
attachée de presse, Pascale Montéville : « Si MSF n'a plus besoin de fonds pour
son action en Asie, notre modeste ONG, qui va intervenir au Sri Lanka et en
Indonésie pour assurer la prise en charge médico-psychologique durable des
enfants traumatisés par la catastrophe, en manque cruellement. » Peu et mal
appréhendée dans nos pays, la douleur n'est pas une cause qui fait recette. Et
il aura fallu attendre que Guy Bedos prête sa voix à la campagne de
communication de DSF (production Irène) dans les médias pour que le film soit
enfin diffusé sur une chaîne.
« Sur des problématiques très particulières, il faut une magie du message qui
doit présenter quelque chose d'intolérable. Il est nécessaire de toucher la
population avec des moyens justes », explique Claude Chaffiotte.
Autre solution, dont usent, et parfois abusent, les associations: le recours
aux partenariats avec des VIP (Zidane, Adriana Karembeu ou Carole Bouquet) ou
la création d'objets symboliques. En la matière, le lancement par le cycliste
Lance Armstrong du bracelet jaune “Live Strong”, symbole de sa Fondation de
lutte contre le cancer, fait déjà figure de cas d'école. Six millions de
dollars ont déjà été versés et vingt millions de bracelets ont été souscrits.
Joindre l'utile à l'agréable avec “Le fashion must have” pourrait, dans le
domaine du charity business, devenir la dernière tendance.
« Portez ce bracelet une semaine, il suscitera curiosité et admiration»,
confirme Claude
Chaffiotte qui a fait, lui-même, le test en commandant plu-sieurs bracelets sur
le site dédié à l'opération. Si l'idée n'est pas nouvelle (souvenons-nous du
nœud rouge contre le Sida, de la petite main des Potes, etc.), elle n'en
demeure pas moins porteuse. D'autant que, comme le souligne Arnaud de Bruyn,
les gens ont envie d'adhérer aux grands mouvements de solidarité. « Le tsunami
est un mouvement de générosité sans précédent dont les gens avaient justement
envie de faire partie. »
Autre solution, l'événementiel qui permet d'être visible. « Ce moyen permet
d'être surtout récurrent. Il est facile à utiliser d'autant que les entreprises
ont de plus en plus le désir de devenir sponsors », analyse Martial Ducroux,
président de l'agence CIME. L'intérêt de ces manifestations étant d'expliquer.
« L'opération “Les virades de l'espoir”, organisée pour soutenir la lutte
contre la Mucoviscidose, donne, par exemple, l'occasion d'expliquer au grand
public la maladie dans plusieurs villes de France. Là est tout l'essentiel :
expliquer », martèle ce dernier. Dès que la cause est comprise, elle rassemble.
Résultat, le street marketing devient un outil de plus en plus utilisé par les
ONG. En France, Amnesty, Greenpeace, WWF, MSF, la Croix-Rouge et d'autres ont
recours à cette pratique. Des démarcheurs vont à la rencontre des gens, pour
parler de la cause, de ses besoins, et demander un RIB, mais jamais d'argent ni
de chèque. Les Pièces jaunes sont également, pour les opérateurs, un vrai
concept qui explique et fédère. «Chacun aimerait trouver un street marketing de
type Pièces jaunes », confirme Martial Ducroux.
Dons pour l'Asie : une mobilisation sans précédent
La générosité de nos concitoyens est confirmée. Pour preuve, 49 % des Français déclarent avoir donné en 2004 dont
12 % pour la première fois, selon la dernière enquête d'Optimus, agence spécialisée en collecte de fonds, « une première dans l'univers de la générosité en France ». Par ailleurs,
43 % de ceux qui ont donné pour l'Asie sont des donateurs urgentistes (ne se mobilisant qu'en cas d'urgence) ou occasionnels. Les
45 % restants étant constitués de “donateurs réguliers” (donnant une fois par an). Si l'âge moyen du donateur Asie est de 48 ans (27 % de moins de 35 ans, 29 % de 35-40 ans et 44 % de + de 50 ans) - ce qui tend à prouver que les plus jeunes sont plus représentés que d'habitude-, il faut cependant noter que toutes les catégories socio-professionnelles et tous les âges se sont mobilisés. L'élan de solidarité a été tellement important qu'il semble avoir suscité des “vocations”. L'arrivée de primo-donateurs, et leur intention de continuer à donner (44 %), va à l'encontre du discours traditionnel qui consiste à dire qu'il n'y a que peu de “vrais nouveaux donateurs”. Enfin, 15 % déclarent avoir effectué des dons via SMS,
7 % par Internet et 8 % par téléphone. Ce qui démontre que les Français sont rentrés dans l'ère de l'instantanéité. A bon entendeur.