Nouvelle identité : botox scalpel ?
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Changer de logo, et plus globalement d'identité visuelle, reste une
décision lourde de sens dans la vie d'une entreprise. Tous les communiqués de
presse qui accompagnent la naissance d'une nouvelle identité d'entreprise ou de
marque le répètent à l'envi?: elle exprime soit une nouvelle stratégie, soit
les nouvelles valeurs de l'entreprise. Concrètement, les changements
constituent donc une rupture. Une rupture qui risque de déstabiliser ses
différents publics. D'autant qu'a priori, une identité et un logo sont des
symboles qui s'inscrivent dans le temps et qui ont été conçus pour durer.
Au-delà de la symbolique, cette décision engendre des coûts directs et
indirects conséquents dont la justification n'est pas toujours comprise par
l'ensemble des publics. En novembre 2003, la présentation du nouveau logo de
l'ANPE et le montant de l'investissement qui avait alors circulé (2,4 millions
d'euros), avaient provoqué une réelle polémique dont les effets se font encore
sentir. Conséquence ? plus question de communiquer sur le prix réel du
changement. Et, si certaines entreprises ou agences osent encore avancer un
chiffre, il est invariable de 60 000 euros.
« Une totale hypocrisie, commente
Christian de Bergh, directeur général associé de Dragon Rouge. Généralement,
cette somme ne correspond qu'aux deux premières phases du travail de création
de l'agence. » Un travail de création qui en comprend cinq, même si « toutes
les entreprises n'ont pas besoin de passer par toutes ces phases », rappelle
très justement Marie-Hélène Westphalen dans le “Communicator”(1).
Cette
regrettable absence de transparence sur les coûts renvoie à la question de la
légitimité et de l'opportunité du changement dans l'opinion publique. Certes,
la France est traditionnellement un pays conservateur, mais cette posture
suffit-elle à expliquer les débats passionnés qui agitent les dîners en ville,
les forums et autres blogs?? « Le débat est plus passionnel lorsque le
changement concerne des marques ou des entreprises qui s'inscrivent dans le
patrimoine national. Il traduit le lien émotionnel fort qui s'est noué entre
les Français et leurs marques. Globalement, les prises de position sont
négatives parce qu'il s'agit de changements radicaux qui touchent l'ensemble de
ses signes d'expression », note Nathalie Varagnat, directrice de l'agence
Landor, à qui l'on doit, notamment, la nouvelle identité de France Télécom.
Accompagner le grand écart
Et pourtant, à en croire les services communication des différentes entreprises qui se sont pliées à
l'exercice ces derniers mois, ces changements sont nécessaires, voire
essentiels au redéploiement de la marque, qu'elle soit ou non corporate. Les
modifications de l'univers concurrentiel, la fin des monopoles, l'évolution de
l'actionnariat ou encore les scandales financiers sont autant de raisons
invoquées, ouvertement ou non, pour justifier le grand écart. « De fait, il
n'existe aucune règle si on s'occupe régulièrement de sa marque. Les
changements stratégiques et les innovations ne donnent pas nécessairement lieu
à des liftings en profondeur, sauf bien sûr lorsque rien n'a bougé pendant des
années », estime Christian de Bergh. Et de rappeler que toute modification doit
s'accompagner d'une réflexion en profondeur sur la mission de la marque et de
l'entreprise. Et pour cause, le logo est son principal authentifiant. Celui qui
attire l'attention, crée le lien, rassure.
« C'est le passé, le présent et
l'avenir de l'entreprise », résume Gérard Caron, fondateur de l'agence Carré Noir et aujourd'hui du site admirabledesign.com. Or, si le futur est toujours évoqué pour justifier les nouveaux choix
identitaires, rares sont les exemples qui puisent leur renouveau dans le passé
et le présent de l'entreprise. « Les nouvelles orientations souvent menées par
de nouvelles directions semblent exprimer, au travers d'un changement de
logotype, un certain malaise par rapport à la stratégie et à la politique
précédentes. Visiblement, les nouveaux managers ne sont pas à l'aise avec le
patrimoine qui leur a été légué.
Pourtant, contrairement au changement de nom,
qui est la définition même d'une nouvelle vision de l'entreprise, le changement
d'identité visuelle devrait exprimer une certaine continuité », analyse Georges
Lewi, directeur du BEC-institute. Cette rupture avec le passé contribue à
perturber les publics, et notamment le premier concerné, l'interne. D'autant
que les arguments avancés pour justifier les nouveaux choix relèvent
essentiellement de la sphère économique et financière. La marche en avant
devient alors une marche forcée.
« Les enjeux de communication interne sont
aussi, voire, plus importants que ceux de la communication externe. Il faut
impérativement accompagner les salariés et idéalement le faire sur plusieurs
mois. Lorsque nous travaillons sur cette problématique, nous nous appuyons sur
une méthode qui consiste à choisir parmi ces derniers un ambassadeur de la
marque dont la mission est de porter cette nouvelle vision auprès de ses pairs.
France Télécom a particulièrement bien géré cet aspect lors du changement
d'identité. La dimension culturelle n'a été pas oubliée et un événement très
fort a marqué le passage », raconte Nathalie Varagnat.
Faut-il aller jusqu'à
tester la nouvelle identité auprès de ce public et prendre le risque de choisir
le plus petit dénominateur commun qui, s'il met tout le monde d'accord, laisse,
au final, tout le monde indifférent. Sur ce point, Christian de Bergh est
formel?: « Nous ne sommes pas à la recherche d'un consensus. L'identité est à
l'opposé de la démocratie. » (1) Communicator, quatrième édition du guide de la
communication d'entreprise. Dunod Editeur.
Et Le Crédit Lyonnais devint LCL. Si les nouvelles identités de la SNCF (Carré Noir), d'EDF (Plan Créatif), d'Aéroports de Paris (W & Cie) ou de Radio France (Leg) ont suscité des réactions, c'est celle du Crédit Lyonnais qui interroge le plus.
Nathalie Varagnat (Landor) :
La marque semble vidée de son contenu, n'avoir plus rien à dire. Sur le fond comme sur la forme, elle adopte une stratégie racoleuse, un côté très hard discount. L'identité est un résumé conceptuel de visions très fort?; ici, les trois lettres ne symbolisent rien. Et la campagne de communication qui accompagne le lancement ne donne pas davantage de sens à ce changement. Elle relève davantage du discours produit que de la campagne d'image. »
Frédéric Rossi (Extrême Design) :
Cette identité est très actuelle. Cette revisite des acronymes inaugure une relation entre la marque et son public. Et il est intéressant de noter que c'est une marque jeune, Du Pareil Au Même (DPAM), qui a donné le ton. A une époque où chacun cherche son signe, la lettre devient ce signe. Comme Reebok qui devient RBK Le travail sur la typo est remarquable et ces trois lettres sont une vraie affirmation. LCL peut devenir “Elle”, c'est elle, la banque. »
Christian de Bergh (Dragon Rouge) :
LCL, LCI. Il n'y a pas grand-chose à en dire. Cette nouvelle identité donne le sentiment que Le Crédit Lyonnais a voulu refaire le coup de MMA. L'agence de communication est d'ailleurs la même. Reste à savoir combien de temps les clients du Crédit Lyonnais mettront pour dire qu'ils sont chez LCL. »
Georges Lewi (BEC-institute)?:
Le Crédit Lyonnais demeure la marque de proximité, s'il en était, celle du petit lion du Tour de France. Aujourd'hui, elle emprunte les couleurs institutionnelles de la nation cerclées par un écu. Faut-il y voir la volonté du groupe Crédit Agricole d'en faire une marque internationale en direction des entreprises?? D'autant qu'elle change de nom. Si Le Crédit Lyonnais pouvait être un handicap pour les marchés business, LCL est totalement neutre. Il y a peut-être derrière tout cela une stratégie à la Total, qui consiste à conserver une marque qui serve la stratégie internationale du groupe, tout en étant localement une marque défensive. Maintenant, la question essentielle est?: quel est l'intérêt pour le Crédit Agricole de conserver deux réseaux qui s'alimentent auprès de la même usine à produits?? »