Nous entamons le cycle de la croissance rentable
Stratégie identité visuelle, image, concept de magasins, nouveaux produits... en cinq ans, l'enseigne Fauchon a opéré une vraie renaissance. isabelle Capron, sa directrice générale, a repositionné la marque en France et à l'étranger. Pour Marketing Magazine, elle revient sur cette transformation.
Marketing Magazine Fauchon s'est [Magazine complètement transformée depuis 2004. Comment avez-vous rajeuni la marque ?
isabelle Capron : En 2004, il était impératif de sauver l'entreprise qui était au bord de la faillite. Notamment en la modernisant. Ce que nous avons réussi à faire grâce au courage de l'entrepreneur investisseur Michel Ducros, l'actuel propriétaire de Fauchon, qui a décidé de relever ce défi en recapitalisant l'entreprise. Il nous a donné les moyens de faire renaître cette belle endormie. Elle avait quand même gardé un prestige et un rayonnement, mais son image, en effet, avait vieilli.
En termes d'exploitation, Fauchon était également lourdement déficitaire. aujourd'hui, la société est à l'équilibre. Comment vous y êtes-vous pris ?
Fauchon affichait, en 2004, 70 millions d'euros de chiffre d'affaires pour 11,5 millions d'euros de pertes. Aujourd'hui, la société réalise 135 millions d'euros de chiffre d'affaires sous la marque Fauchon. Quant à l'équilibre financier, il a été atteint en 2009, grâce à la cession des 12 magasins Flo au groupe Lenôtre. A cette époque, nous avons également fermé trois boutiques acquises un peu trop vite aux Etats-Unis. Nous avons donc réussi à préserver la marque en rétrécissant son périmètre et en se concentrant dans le même temps sur un modèle de luxe. Nous avons également modernisé notre magasin parisien, place de la Madeleine, qui est notre vitrine internationale.
Vous avez également radicalement changé les codes de la marque...
Oui. Nous avons opté pour une image moderne. Il est vrai que c'est un choix audacieux, puisque l'alimentaire est un univers assez classique et traditionnel avec des savoir-faire séculaires. En termes d'image, nous avons voulu parler aux nouvelles générations et projeter Fauchon dans le XXIe siècle. C'est pour cela que nous nous sommes orientés vers une identité visuelle contemporaine et forte. Sur le fond, la modernité, c'est aussi trouver de nouvelles formes de distribution. Pour ce faire, nous avons ouvert une boutique virtuelle et avons beaucoup travaillé sur une offre de snacking, qui n'existait pas il y a quelques années.
Vous avez donc revu toute votre offre ?
Nous l'avons radicalement changée. Nous avons constaté qu'aujourd'hui on ne s'alimente plus comme il y a vingt ans. Toutes nos recettes sont donc élaborées avec moins de sucre et moins de sel. Nous proposons également des portions différentes, plus petites. Nous avons beaucoup travaillé sur la déstructuration des repas. Au-delà des produits snacking, nous avons également lancé de nouvelles gammes de pâtisserie, de nombreux vins ainsi qu'une nouvelle ligne de thés, Fauchon Beauté. Cette gamme, qui propose des thés minceur, antiâge et belle peau, est disponible depuis un an dans nos réseaux, mais aussi en pharmacie.
Malgré tous ces changements, vous avez gardé un positionnement très «français»...
Nous avons ouvert notre réflexion pour permettre à Fauchon d'atteindre ses cibles : les gourmets et les hédonistes du monde entier. Dans cette optique, nous avons pris le parti de dire que Fauchon, c'est la France. Nous nous devons d'être les ambassadeurs de notre culture culinaire partout dans le monde. Nous sommes présents dans 40 pays et réalisons 75 % de notre chiffre d'affaires à l'international. Mais c'est aussi un morceau de France qui voyage partout dans le monde. En particulier sur l'axe Europe-Moyen-OrientAsie, nous sommes vraiment attendus sur notre savoir-faire et notre style. Fauchon est une marque actrice de la mondialisation et du luxe alimentaire.
Parcours
1979 Diplômée d'HEC.
1980 Intègre Colgate Palmolive en tant que chef de produits.
1984 Directrice commerciale de l'agence de publicité FCB.
1991 Directrice marketing de Lanvin.
1994 Directrice générale de l'agence de publicité FCB.
2004 Directrice générale de Fauchon.
Comment définiriez-vous le luxe alimentaire ?
C'est un luxe qui, contrairement à d'autres secteurs (bijoux, maroquinerie, etc.), permet de faire plaisir et de se faire plaisir plus facilement. Il est finalement assez bien adapté aux périodes de crise qu'il traverse mieux que d'autres formes de luxe. Il peut même être un antidote à la crise. Finalement, le luxe alimentaire est moins frustrant. Une belle boîte de chocolats de qualité peut coûter 12 euros. Le prix n'est pas excessif et pourtant, il s'agit bien d'un produit de luxe.
Est-ce votre expérience dans le luxe qui vous a permis d'opérer cette transformation ?
Oui, entre autres. Mon passage chez Lanvin m'a aidée. En outre, j'ai toujours aimé les belles marques et le luxe en général. J'ai aussi grandi dans la couture, c'est pourquoi je me suis beaucoup inspirée de la révolution qu'ont faite toutes les grandes marques de luxe il y a trente ans. On oublie que des griffes comme
Chanel, Hermès ou Vuitton avaient également vieilli et ont réussi à renaître de leurs cendres. J'ai donc, en effet, beaucoup observé ces marques et m'en suis inspirée.
Notamment en cassant les codes ?
Oui, et en faisant en sorte que les consommateurs perçoivent un «avant» et un «après». Nous évoluons dans un monde où nous sommes extrêmement sollicités par toutes sortes de propositions. Pour se faire remarquer, il faut faire des choix marqués et marquants.
D'où la couleur rose ?
Cette couleur existait dans le patrimoine de Fauchon. Nous l'avons radicalisée en insistant sur le rose fuchsia qui, là aussi, rappelle des codes très français. Yves Saint Laurent ou Lacroix l'ont beaucoup utilisé en faisant des choix coloriels très forts. Une marque de luxe, ce sont d'abord des signaux qui sont envoyés dans le monde entier. Et l'on n'a pas besoin de mots, ni de signature pour la reconnaître. C'est pour cela que nous avons choisi ce rose qui est d'abord une couleur de gourmandise, d'énergie, d'optimisme. Ainsi que le fameux logo Fauchon, qui date des années trente et que l'on a remis en lumière dans tous nos points de contact, sur nos façades de magasins, sur nos sacs, dans nos publicités.
Ce logo est devenu un symbole. n'est-ce pas également le cas de l'enseigne elle-même ?
Fauchon est en effet devenue un symbole du luxe alimentaire. La griffe est tellement forte que les Français la considèrent comme une marque de patrimoine. Il fallait faire renaître, derrière cette signature, des produits emblématiques. Sachant que nous avons décidé d'en faire une marque multispécialiste. La force de Fauchon est qu'elle évoque le luxe alimentaire dans sa globalité. Néanmoins, nous nous sommes attachés à faire émerger des produits forts.
au-delà de votre logo, la fameuse bouche Fauchon est devenue très emblématique de la marque...
Toutes nos campagnes reprennent la bouche Fauchon. Bien qu'en 2009, ces campagnes aient été orientées produits, elles ont continué à intégrer cette bouche qui induit la gourmandise. La bouche Fauchon est donc centrale et continuera de signer nos campagnes. C'est une façon de parler de sensualité et de plaisir gourmand.
Quels produits sont les plus représentatifs de votre offre ?
En boulangerie, les madeleines sont assez emblématiques et représentent la tradition française. En pâtisserie, l'éclair est un produit phare. Nous le déclinons en plusieurs collections et c'est devenu un symbole. Les cassolettes sont également assez représentatives de notre offre en matière de traiteur. Sans oublier les produits de la mer, les chocolats, les marrons glacés, les thés, les confitures et les vins que nous avons relancés récemment. Concernant notre cave, nous avons gardé notre sélection de grandes étiquettes, mais également des vins de découverte et, très récemment, une nouvelle ligne de vins de marque Fauchon avec six terroirs et six cépages de France. Ces derniers sont des assemblages exclusifs réalisés par notre vigneron maison.
Quelle est votre meilleure vente ?
C'est le macaron, que nous avons remis à l'honneur en complément de l'éclair. Depuis l'année dernière, nous l'avons mis en vente sur notre site internet et nous avons largement communiqué sur ce produit en affichage.
Les ventes en ligne ont, par conséquent, enregistré de très beaux résultats lors des dernières fêtes. Nous avons, durant cette période, produit plus de 100000 macarons. Il faut dire que c'est un phénomène à part, un gâteau magique et mignon dont on pense qu'il est très léger. En pâtisserie, il s'agit de notre première vente en termes de chiffre d'affaires. Quant à l'éclair, il est également très emblématique de Fauchon.
Vous avez d'ailleurs décliné vos éclairs au salé...
Oui. Nous avons lancé plusieurs gammes d'éclairs salés (saumon, foie gras, champignons...) et, bien sûr, sucrés. Ces déclinaisons sont spécifiques à Fauchon. Nous avons concentré notre créativité sur quelques gammes de produits qui sont la colonne vertébrale de la marque. Puisque les envies de nos clients changent en fonction des saisons, nous avons décidé de développer des collections d'éclairs, mais aussi des collections de madeleines ou de macarons. Car une marque de luxe, c'est aussi de la création. Nos chefs se sont ainsi surpassés avec la collection Joconde, qui a permis de proposer des éclairs à l'effigie de Mona Lisa.
Ces produits ont été fabriqués avec une coque en chocolat sur laquelle est imprimée une image. Ce gâteau est un morceau de France. Et il a d'ailleurs enregistré de très belles ventes dans l'Hexagone, mais aussi à l'international.
Quelles sont, justement, vos ambitions à l'international ?
Nous souhaitons y représenter le goût français et y faire rayonner tous nos savoir-faire. Nous détenons 50 boutiques en nom propre dans le monde et nous souhaitons encore nous développer. Nos éclairs La Joconde sont ainsi dupliqués par des chefs au Japon et à Dubaï. Nous sommes de plus en plus sollicités pour faire rayonner une culture française.
La marque a aussi beaucoup d'affinités avec l'art...
Je considère, en effet, que l'excellence culinaire française est un art que le monde entier nous reconnaît. Il est tout à fait naturel que nous soyons en pointe dans cette expression de la création française.
Comment se porte votre site web ?
Nous avons lancé notre site marchand en 2008, pour Noël. Il a été amélioré fin 2009 et nous en avons profité pour mettre en vente nos macarons. Aujourd'hui, nous sommes capables de livrer en 24 heures des produits frais [les macarons, NDLR] dans la France entière. Nous avons commencé cette nouvelle étape en novembre 2009 et l'initiative a été très concluante.
Comment s'est achevée 2009 et comment voyez-vous 2010 ?
Nous allons étoffer l'activité Réceptions que nous avons redéployée en fin d'année dernière. Notre ambition est d'être un acteur majeur dans l'événementiel haut de gamme. Cette activité est déjà très prometteuse. Nous passerons, courant 2010, à la vitesse supérieure. Tout comme, d'ailleurs, dans les cadeaux d'affaires ou les plateaux-repas. Nous avons conclu une année riche en ouvertures de boutiques. Nous sommes désormais présents à Genève, Hong Kong, Dubaï et Casablanca depuis mi janvier. Et nous avons en projet d'ouvrir de petites surfaces. Ce qui va accélérer notre vitesse de développement et de duplication de boutiques Fauchon partout dans le monde. Ces points de vente offriront un concentré de «best-sellers» d'épicerie et de produits frais. Il nous reste à identifier de bons emplacements à Paris, en province, dans l'univers des aéroports ou dans les grands magasins. Partout où il existe un univers qualitatif en matière alimentaire, Fauchon doit être présent.
Votre cycle de renaissance est donc derrière vous ?
Nous sommes à la conquête du développement. Et, en effet, nous allons entamer un nouveau cycle avec enthousiasme : le cycle de la croissance rentable. Les marques de luxe sont condamnées à réussir par l'innovation. Sans pour autant oublier leurs fondamentaux que sont la qualité et la mémoire. Car nous inventons en nous souvenant. Il faut s'inspirer de son patrimoine pour réinventer des produits adaptés au présent. C'est un exercice très subtil.