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Nomades dans le mouvement, sédentaires dans l'enracinement

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Qu'est-ce qu'être une femme aujourd'hui ? Qu'est-ce qu'aller vers un vrai soi et dans quel corps ? Dans son ouvrage "Femmes d'aventure", la psychiatre-psychanalyste Catherine Reverzy ouvre des pistes de réflexion. C'est aussi l'occasion de s'interroger sur le marché en plein déploiement médiatique du sport féminin et la notion de féminité avec la mission dans l'espace de Claudie Haigneré.

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Qu'est-ce qui vous a porté à aller rencontrer des "femmes d'aventure" ?


Ce n'est pas éloigné de mon travail. C'était le désir d'aller reparler de quelque chose qui nous touche tous : de la peur et du courage, de l'échec et de la victoire, du goût du risque et de se réaliser dans ce passage qu'est l'existence. C'était aussi une invitation à exprimer des valeurs d'espoir.

Et aussi une façon plus attrayante de livrer une réflexion sur la psychanalyse ?


En effet. J'ai voulu comprendre à travers ces femmes la place et le sens que prenait l'aventure dans leur itinéraire de vie. Toutes ont été poussées par une force d'insoumission. Ce sont des rebelles privilégiées qui ont eu envie de gravir à leur façon le versant de la lumière. Elles ont souvent su dire non. Elles sont pragmatiques et sans orthodoxie. Elles suivent leur voie hors des sentiers battus en s'inspirant du pas des pionnières.

En quoi les femmes sont-elles différentes dans leur relation à l'aventure ?


Je dirais dans la manière de transformer leur stress et leur peur en courage et d'arriver à dépasser leurs inhibitions. Elles ne correspondent pas au discours actuel sur le corps et la performance. Elles sont à la fois à distance de l'image traditionnelle de la femme et plus centrées sur les questions du sens de leur vie. Elles font preuve d'un intérêt passionné et d'une grande capacité d'émerveillement. Surtout, elles ne se soucient pas de proposer un modèle.

Quelle est la singularité de leur force ?


L'aventure risquée requiert des aptitudes spartiates qui permettent cette traversée de la douleur mêlée au plaisir. Ces femmes se situent dans une éthique philosophique stoïcienne qui leur ferait dire : "J'ai mal, mais ça ne m'arrête pas". Mais, même si leur corps est malmené, elles vont toujours dans le sens de mieux le traiter. Leurs pulsions les emmènent du côté d'Eros, tout en ayant intégré l'idée de la mort. Car elles ne réduisent pas leur vie à l'échéance d'atteindre leur but.

Les canons de la féminité sont-ils malmenés aussi ?


Elles ne se préoccupent pas de leur féminité car elles avancent. Elles ne s'arrêtent pas à l'apparence du corps et aux attributs du courage physique. Dans les traditions culturelles, le courage est associé à la virilité, alors que dans la pensée de tout individu, quel que soit le sexe, la féminité et la masculinité sont des espaces psychiques fluctuants. Leur assise corporelle leur permet d'avoir confiance dans la vie et dans les autres. Elles possèdent cette rare qualité d'être à la fois nomades dans le mouvement et sédentaires dans l'enracinement.

Qu'est-ce qui les différencie de la culture masculine ?


Ces femmes ne recherchent pas la surpuissance car elles n'ont pas de dominance à préserver. Elles exercent leur curiosité de soi et du monde. Elles sont capables de quitter le domaine de l'ivresse pour se mettre dans leur parole, leur sensualité et leur sensorialité. Alors que les hommes cherchent à conserver leur patrimoine, les femmes sont en train d'acquérir le leur et d'explorer leurs limites.

Vous rapprochez la psychanalyse et l'aventure, pourquoi ?


Les mises en mouvement de soi comportent des risques. Mais, changer de vie, faire des choix, ne pas renoncer à soi-même traduit le désir d'aller vers un peu plus de vérité. C'est un hymne à la plasticité de la pensée. Il s'agit d'être attentif à tout ce qui nous endort au profit de tout ce qui nous éveille, pour nous décentrer, nous alléger du poids des repères habituels et des normes. C'est en cela que la psychanalyse et l'aventure partagent le même espoir.

Qu'appelez-vous le "sentiment océanique" ?


C'est lorsque l'on se sent en contact avec soi et avec le monde dans une grâce fluide entre le corps et la psyché. Souvent, dans le langage, les hommes restent au niveau de ce qu'ils font et montrent peu de capacité de plaisir. Les femmes savent dépasser le niveau musculaire et établir un autre rapport au langage, au plaisir des mots.

Vous dites que ces "femmes d'aventure" ne cherchent pas à être des modèles. Que désirent-elles faire partager ?


Ce sont des porteuses de messages à d'autres femmes. Les plus jeunes que j'ai vues arrivent à une génération de l'aventure où elles ont envie d'avoir un rôle de transmission et de rencontrer d'autres femmes pour contribuer à mettre en oeuvre un monde réellement mixte. * Femmes d'aventure, du rêve à la réalisation de soi, de Catherine Reverzy. Editions Odile Jacob.

Garçons manqués ? Filles réussies !


Les pionnières - Jacqueline Auriol, Anita Conti, Ella Maillard, Alexandra David-Neel - ont accompli jusqu'au bout le parcours de leur oeuvre dans le domaine de l'exploit. Leurs contemporaines - Alexandra Boulet, photo-reporter de guerre, Christine Janin, première Française à gravir l'Everest, Peggy Bouchet, qui traverse l'Atlantique à la rame, Nicole Viloteau, "La Femme aux serpents"... -, rencontrées par Catherine Reverzy, continuent de bâtir la leur. Dans son ouvrage, la psychiatre-psychanalyste croise les itinéraires de ces vies hors des sentiers battus selon un plan en cinq étapes qu'il faudrait être capable, selon elle*, de franchir pour mener une oeuvre jusqu'à son terme. « L'aventure est le droit souverain qu'a chacun de nous de découvrir ses potentialités et le lien subtil qu'il noue avec le monde, avec la planète. Elle est rupture, traversée, exploration, conquête de nouveaux territoires, retrouvailles avec l'enfant en soi, ressourcement, transmission d'une expérience singulière », écrit-elle. Surtout, "Femmes d'aventure" esquisse les traits d'une nouvelle humanité en mouvement. * Voir aussi "Le corps de l'oeuvre", de Didier Anzieu. Editions Gallimard, 1992.

 
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