Mettre en place une stratégie à deux marques
De plus en plus de grandes marques utilisent des marques secondaires pour combattre efficacement les attaquants sans marque. Dans un contexte de pression croissante sur les prix, une telle stratégie présente une possibilité intéressante permettant de limiter l'impact des nouveaux entrants proposant des produits à prix cassés.
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Les marques fortes déjà établies doivent faire face aux stratégies prix de
plus en plus agressives de nouveaux entrants. Qu'il s'agisse d'importations
asiatiques ou de marques distributeurs, les produits sans marque représentent
une véritable menace et exercent une pression sur les marges. D'une part, des
produits sans marque mais de qualité peuvent porter atteinte à la valeur perçue
des marques ; d'autre part, des produits sans marque de qualité médiocre
peuvent influencer la perception des clients pour une catégorie entière. Dans
tous les cas, la seule marque ne suffit plus à justifier des différences de
prix. Les grandes marques réagissent généralement soit en alignant leurs prix
soit en n'envisageant aucune réplique. Aucune de ces deux solutions n'est
valable à long terme. La stratégie qui consiste à ne pas réagir peut
contraindre peu à peu les grandes marques à occuper une niche de haute qualité
et de prix élevé et à abandonner la plus grosse partie du marché aux nouveaux
entrants et aux "sans marque", livrant celle-ci à une compétition sur les prix.
En réalité, il existe une troisième possibilité : une stratégie à deux
produits, voire à deux marques.
Vendre sous la même marque ou utiliser une marque différente ?
En introduisant une ligne de
produits à bas prix, ciblée directement sur les consommateurs sensibles aux
prix, les grandes marques parviennent à contrer les concurrents de ce segment
ou du moins à affaiblir leur position. Cette stratégie de prix permet également
de conquérir une partie du marché à bas prix. Pour mettre en oeuvre cette
stratégie, les grandes marques doivent veiller à différencier suffisamment les
deux produits pour minimiser les effets de la cannibalisation. Si les deux
produits sont vendus sous la même marque, le produit du segment de prix bas
doit être positionné au moins 10 à 15 % au-dessous des produits de marque.
Généralement, la différence de prix entre les deux segments est de 30 à 40 %.
Dans le cas de marques différentes, l'écart de prix peut être moins important.
Des méthodes comme le "Conjoint Measurement" fournissent les données
statistiques qui, une fois introduites dans des modèles de simulation de
marché, permettent de déterminer la stratégie la plus pertinente en tenant
compte des réactions possibles des concurrents, des différents produits
proposés et des autres facteurs externes. La deuxième marque doit être de plus
faible qualité que le produit traditionnel, tout en restant acceptable aux yeux
des clients et supérieur aux produits sans marque. En effet, il est nécessaire
de justifier la différence de prix en réduisant la valeur perçue (durée de vie
du produit, garantie, puissance, packaging, service...). Cela s'impose aussi
pour réduire les coûts de production et limiter les risques de cannibalisation
entre marques. Si les produits sans marque détiennent déjà une part de marché
importante, il est souvent plus judicieux d'utiliser la même marque pour les
deux gammes de produits . Les prix doivent être différenciés précisément par
rapport à la marque haut de gamme, sans être positionnés pour autant trop bas,
ce qui mettrait en danger l'ensemble de la valeur de la marque. En outre, il
est possible d'utiliser la marque haut de gamme pour le produit à bas prix si
les deux produits sont positionnés dans deux segments distincts et sans risque
d'interaction.
Pénétrer un nouveau canal de distribution
Il peut aussi être plus efficace d'employer une
marque différente pour combattre les produits sans marque déjà présents et les
nouveaux entrants, afin de les dissuader de pénétrer le marché. Une stratégie à
deux marques réduit la transparence du marché et rend la stratégie marketing
difficile à identifier pour les concurrents, ce qui limite leurs possibilités
de réactions. Cette stratégie rend l'ensemble du marketing-mix plus souple et
réduit les effets de cannibalisation entre les deux gammes. Une autre
application de la stratégie à deux marques est l'entrée dans un nouveau canal
de distribution. Elle évite les conflits avec les distributeurs existants et
permet d'occuper par la même occasion un canal de distribution que les produits
sans marque auraient pu utiliser pour pénétrer le marché. Une bonne technique
consiste à apposer la marque haut de gamme comme garantie sur les nouveaux
produits ou services lancés sous la seconde marque, comme l'a fait United
Airlines avec l'appellation "by United" pour ses vols charters entre les
Etats-Unis et l'Europe. Pour combattre les importations asiatiques, Panasonic
vend ses téléviseurs et magnétoscopes 30 à 40 % moins cher sous la marque
Quasar. De même, les compagnies aériennes ont réussi à mettre en place des
lignes à faibles coûts d'exploitation comme "Shuttle by United" ou "Delta
Express". La gamme des équipements "Hot point" de General Electric est destinée
aux clients sensibles aux prix. Ces techniques sont souvent utilisées pour les
équipements ménagers (tout spécialement les luminaires et l'électroménager) et
le stockage de données (cassettes, disquettes...). Comme Kodak l'a découvert
avec sa gamme de produits Funtime, ces stratégies sont particulièrement
difficiles à mettre en place. Les distributeurs et grossistes peuvent tout à
fait refuser d'offrir des services supplémentaires et réserver plus de place
aux produits classiques dans les rayonnages. La mise en oeuvre internationale
en devient d'autant plus complexe. Malgré tout, de plus en plus de grandes
marques utilisent ces marques secondaires pour combattre efficacement les
attaquants sans marque. (1) Stephan A. Butscher est Directeur chez Simon-Kucher
& Partners Strategy & Marketing Consultants, dont les bureaux sont situés à
Cambridge (USA), Bonn, Munich, Vienne, Zurich et Paris. Franck Brault est
Consultant à Bonn. Site web : www.simon-kucher.com