Médicaments génériques Marketing sous prescription
Les laboratoires “génériqueurs” travaillent sur des marges trop faibles pour s'offrir de puissants dispositifs marketing. Mais les stratégies très ciblées jusqu'ici déployées suffiront-elles à satisfaire les exigences d'un marché voué à une rapide croissance ?
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Un médicament sur 10 vendu en France est un générique (un sur deux aux
Etats-Unis, un sur trois en Allemagne). Avec un revenu de 0,9 milliard d'euros,
la copie de molécules représente en valeur 5 % du marché des médicaments
(source : GERS, pour l'année 2003). Avec des progressions de l'ordre de 30 %,
les fabricants de génériques sont en train de combler le retard qu'ils accusent
encore dans l'Hexagone face au poids des laboratoires princeps (propriétaires
des molécules durant le monopole du brevet). « Si l'industrie de la copie
souffre de certains retards en termes de production et de logistique, de
services différenciants, d'ajustement du volume de l'offre à celui de la
demande, et de rentabilité, le généricage est une évolution structurante pour
le marché actuel et futur », affirme Michel Nakache, patron d'Euro RSCG Life et
président de la délégation santé de l'AACC. Le développement du DCI
(“dénomination commune internationale”, désignation professionnelle du
générique) répond à des impératifs de gestion des budgets publics. Le plan de
redressement des comptes de l'assurance-maladie, mis en place par le
gouvernement, prévoit notamment de dégager 2,3 milliards d'euros d'ici 2007
grâce à une nouvelle politique du médicament généralisant l'utilisation des
copies. Mais c'est l'évolution globale du marché pharmaceutique, dans ses
dimensions juridique et économique, qui cimente la rampe de lancement du
générique. La loi sur la propriété intellectuelle protège les molécules pendant
vingt ans - jusqu'à vingt-cinq ans le cas échéant via recours aux certificats
complémentaires de protection. Passée cette échéance, la molécule peut être
copiée et vendue de 30 à 40 % moins cher que l'originale. Et le taux de
substitution, si l'on en croit la consommation outre-Atlantique, peut atteindre
des ratios plus que significatifs. En tombant dans le domaine public, le brevet
du Prozac a vu sa contribution au chiffre d'affaires de Lilly s'atrophier de 80
% aux Etats-Unis. D'ici à 2008, la moitié des soixante médicaments les plus
consommés dans le monde perdront leur brevet d'exclusivité.
Les pharmaciens au cœur de la stratégie
En France, le marché du
générique - né pourtant il y a une vingtaine d'années - n'a vraiment démarré
qu'en 1999, quand le droit de substitution (liberté de recommander et de
délivrer une copie) a été accordé aux pharmaciens. Sous l'effet décisif de
cette mesure, les génériqueurs concentrent l'essentiel de leurs efforts sur les
pharmaciens. Ils continuent de communiquer auprès des médecins - qui se sont
engagés en juin 2002 à développer la prescription en DCI -, en leur proposant
de l'information et des outils destinés à leur faciliter la tâche. Mais le pôle
névralgique du marketing des labos de DCI est, de manière quasi-exclusive, le
pharmacien. « Dans l'approche de l'officine, les génériqueurs sont très en
avance. Or, les labos princeps vont eux aussi devoir apprendre à communiquer
vers les pharmaciens », note Alain Collomb, co-président d'A+A, société
d'études spécialisée dans la santé. Pour les génériqueurs, il n'y a pas même
d'alternative. La minceur des marges dans l'industrie de la DCI oblige les
labos à ajuster au plus près leurs actions marketing. Pas de relations
publiques, pas ou peu de coaching médical, un achat d'espace limité à la presse
professionnelle pour des labos qui ne peuvent jamais s'éloigner des lignes
d'objectifs dessinées par le sacro-saint ROI. « Un générique va rester sur le
marché deux à trois ans, pas beaucoup plus. Ce qui rend encore plus délicate la
définition de stratégies marketing », relève Hélène Gougeard, responsable de
mission santé chez Alcimed, conseil spécialisé dans les biotechnologies, les
sciences de la vie et la chimie. Acteur majeur du marché des études dans le
secteur de la santé, A+A constate que les briefs concernent essentiellement des
études produits, notamment autour du packaging. Mais de grandes enquêtes
stratégiques, point. « Ne se paient des études que ceux qui ont de l'argent »,
rappelle Alain Collomb. Les clients des sociétés d'études se recrutent
davantage chez les princeps. « La demande est surtout défensive », commente
Serge Andrieu (A+A).
Limitation du nombre des acteurs
Même constat chez Accenture, où, reconnaît Sylvie Ouziel, associée en charge du
secteur de la santé, la demande des génériqueurs se résume aux problématiques
d'entrée sur le marché, par exemple pour des acteurs indiens ou israéliens en
phase d'approche de nouveaux territoires de distribution. Car la France, grosse
consommatrice de pharmacopée, intéresse les industriels de la DCI. Si Merck et
Biogaran détiennent à eux deux environ 25 % de parts de marché, les plus grands
spécialistes mondiaux du générique ont amorcé leur stratégie de conquête de
l'Hexagone : l'Israélien Teva, l'Australien Arrow, l'Européen Stada, ou
l'Indien Rambaxy, qui, en rachetant RPG, cherchait avant tout à s'offrir une
tête de pont en Europe. « Il n'y a pas de place pour 50 génériqueurs sur le
marché. A terme, on verra cinq-six labos cohabiter, pas davantage », avance
Jean-Paul Brugière, directeur général de Sudler & Hennessey, agence de
communication santé du groupe Young & Rubicam. Pour les laboratoires, il
s'agit d'arriver les premiers sur les offres majeures. « Les pharmaciens ne
référenceront que deux ou trois produits concurrents, explique Sophie Rey,
directeur marketing du génériqueur G-Gam. Il faut pouvoir sortir une copie le
jour même où le brevet arrive à échéance. » Avec quelque 150 médicaments
génériques couvrant toutes les pathologies de prescription, G-Gam, présent en
France depuis cinq ans, doit en permanence faire face à une douzaine de
concurrents. La finalisation commercialisable d'une molécule nécessite trois à
quatre ans de travail. Pour être prêts le jour J en France, les labos doivent
avoir fait leurs armes ailleurs, généralement aux Etats-Unis, où les monopoles
tombent quelques années avant la programmation de l'échéance en Europe. Dans
cette course au référencement, les industriels à dimension internationale
partent donc avec une longueur d'avance. Les autres passeront si possible des
accords de sous-traitance avec des labos outre-Atlantique. « Nous sommes sur
un marketing d'animation de canaux. Les techniques déployées par les
génériqueurs sont sans doute plus proches de celles des marchés de grande
consommation que de celles de l'industrie pharmaceutique », soutient Sylvie
Ouziel. La grande conso, sans les budgets.
Les RP à la charge du gouvernement
Si la publicité des laboratoires pharmaceutiques
représente 2 % du chiffre d'affaires du secteur et la promotion 11 % (source
LEEM), la seule fenêtre d'expression télévisuelle à laquelle les génériqueurs
peuvent avoir accès est celle que lui offrent à l'occasion les pouvoirs
publics. A l'instar du ministère de la Santé qui, début 2003, investissait 2,5
millions d'euros dans une vaste campagne multisupport (“Les médicaments
génériques, tout le monde y gagne”). « Le marketing grand public des
médicaments éthiques, c'est Douste-Blazy ou les médias qui le font », affirme
Serge Andrieu. Le laboratoire RPG a testé cette année la communication à grande
échelle en distribuant quelque deux millions de cartes postales dans les bars,
les restaurants, les magasins Monoprix et Fnac. Cible visée : les femmes de 30
à 60 ans. Maître d'œuvre de cette opération, DDB Ciel & Terre entendait ainsi
toucher 9 millions de personnes à travers la France. Mais, pour être remarqué,
ce type d'opération relève, aujourd'hui, de l'exception. Excroissances de
l'industrie pharmaceutique ou entreprises développées ex nihilo dans des pays à
moindres coûts salariaux, les génériqueurs, par culture, « ne sont pas des
marketeurs fous », signale Sylvie Ouziel. Construction et exploitation de bases
de données de pharmaciens, développement de services aux officines, notamment
via fourniture de logiciels d'aide à la substitution, adaptation de la
logistique à la demande… les approches mises en œuvre par les labos ne
dépassent guère la sphère de l'officine. Et le consommateur final ? « La
proximité avec la marque vole en éclat dès lors qu'on entre sur le terrain des
génériques », avance Alain Collomb. Et de citer “le” cas d'école, le Prozac,
dont la notoriété a fini par balayer l'ensemble des autres antidépresseurs. Et
qui, aussitôt la molécule tombée dans le domaine public, a vu ses ventes
réduites à peau de chagrin. Et nulle marque n'a pris le relais de manière
significative. Le packaging est encore le seul vecteur qui permette de créer un
début de reconnaissance entre les produits et les consommateurs. « Dans la
forme du pack, les génériqueurs refusent l'innovation. En restant dans les
codes princeps, ils cherchent à rassurer. Mais en matière de graphisme et
d'impression, le segment des génériques est très innovant », explique Sébastien
Aguettant, directeur général de Delpharm, laboratoire sous-traitant réalisant
25 % de son chiffre d'affaires avec les génériqueurs. L'agence de design Bleu
Absolu travaille depuis près de dix ans sur les packs GNR, rachetés en 2001 par
Novartis. « Le marché du générique en est à sa troisième génération de
packaging », commente Michèle Morot-Raquin, présidente de l'agence. Au fur et à
mesure des renouvellements du graphisme, l'objectif des génériqueurs s'affiche
avec une évidence accrue : toujours plus d'information, de lisibilité, de
praticité (famille thérapeutique, posologie, dosage, forme galénique). « La
troisième génération laisse un peu plus de place à l'émotionnel, à la
sophistication. En éloignant les génériques de leur côté “premier prix”. On se
rapproche toujours plus du pharmacien, mais également du consommateur final »,
poursuit Michèle Morot-Raquin.
Le générique, étalon du remboursement
Bridé par des marges réduites, le marketing des
génériques souffre aussi d'une assez faible appétence des Français envers ce
qu'ils considèrent encore parfois au mieux comme des ersatz, au pire comme des
sous-médicaments. Mais la perception des génériques devrait vite évoluer.
Notamment sous l'effet du TFR (tarif forfaitaire de responsabilité). Prévu par
la Loi de financement de la Sécurité sociale 2003, il permet de fixer le niveau
de remboursement de tous les médicaments d'un même groupe (génériques et
princeps) sur la seule et même base du prix moyen des génériques du groupe. La
mesure est entrée en vigueur le 8 septembre 2003 : près de 500 spécialités
pharmaceutiques sont concernées. « L'arrivée des génériques est en train de
réveiller toute l'industrie pharmaceutique », constate Sylvie Ouziel. Selon
l'Ifop (mai 2004), 43 % des pharmaciens déclarent que leurs clients leur
demandent souvent des informations sur les génériques, et 34 % de temps en
temps. Les DCI pourraient vite dépasser leur statut de copie. « On voit déjà
certains génériques présenter des dosages supplémentaires par rapport aux
princeps, qui leur donnent de la valeur ajoutée », affirme Olivier Fedrigo,
responsable mission chez Alcimed. Les génériqueurs ne se limiteront pas aux
segments des médicaments éthiques (voir encadré page 35) et proposeront de plus
en plus de produits en gammes OTC (“over the counter”, sur le comptoir, vendu
sans ordonnance). Le passage au statut d'OTC permet aux laboratoires de
s'affranchir des contraintes juridiques pesant sur la communication des
produits éthiques. Il offre aux labos une meilleure visibilité, à l'intérieur
et à l'extérieur des pharmacies. Mais dans cette nécessaire course à la
communication, les génériqueurs pourraient bénéficier dans les mois qui
viennent d'un léger répit, à mesure que se relâchera la concurrence des labos
princeps, confrontés à une baisse drastique de leurs parts de marché sur les
molécules en fin de monopole et à une chute prévisible de leurs revenus. Par
ailleurs, la concentration attendue sur le marché de la DCI ne pourra que
restreindre les axes de compétition et alléger l'intensité de la communication.
57%
d'opinions positives. C'est ce qui ressort d'une étude menée en mai 2004 par l'Ifop sur la perception que les pharmaciens ont des génériqueurs (14 laboratoires référencés). Un résultat qui exprime la densité des efforts à déployer du côté des industriels.
G-Gam : copies sans ordonnance
Symptôme du souci de visibilité des génériqueurs, G-Gam, filiale de l'Allemand Hexal (5e génériqueur mondial), vient de lancer les premiers produits d'une gamme de génériques en OTC, vendue 30 à 40 % moins cher que des produits de marque. « Nous sommes les premiers à croiser la logique du générique et celle de l'automédication », souligne Sophie Rey, directeur marketing. L'agence de design Paquebot & Co a travaillé durant six mois autour d'une déclinaison conjuguant technicité (emballages argentés) et lisibilité (mention de la molécule, du labo, de la pathologie, forme galénique, posologie…). « La clarté des informations délivrées par le packaging est aussi importante pour le pharmacien et ses assistants que pour le consommateur final », remarque Mike MacNeilage, directeur associé de Paquebot & Co. Si la gamme se positionne sans ambiguité sur le segment des génériques - le nom de la molécule prime largement sur le celui du labo, le principe actif sur la marque - le labo entend développer une logique de marque ombrelle, avec une déclinaison immédiatement identifiable dans le packaging des différentes familles thérapeutiques. Budget de lancement : environ 500 KE , en grande partie absorbés par l'achat d'espace dans la presse spécialisée.
La couleur justifie le prix
Olivier Droulers, docteur en médecine, maître de conférences à l'IAE de Rennes, a étudié l'influence de la couleur d'un conditionnement sur la perception du médicament et de ses qualités intrinsèques supposées. Ainsi le rouge, l'orange et le brun sont associés à des traitements destinés à des affections graves, nécessitant des précautions d'emploi et justifiant un coût élevé. De manière générale, les teintes chaudes sont associées à des familles de stimulants, alors que la dominante froide exprime davantage les sédatifs ou les tranquillisants. Par ailleurs, un conditionnement sombre traduit une plus grande rapidité d'action, un prix plus élevé, un risque accru d'effets secondaires et l'indication d'une action curative plutôt que symptomatique. Selon l'étude, il n'existe pas de relation systématique ou significative entre couleur et classe thérapeutique.