Médias féminins Chacun cherche sa cible 1/2
Lancer un titre dans l'univers déjà fort encombré de la presse féminine. Une gageure qui ne semble toujours pas effrayer un marché qui, cette année encore, accueille bon nombre de nouveautés. Mais, pour les anciens comme pour les nouveaux, s'adresser aux femmes est complexe, tant la cible est de moins en moins là où on l'attend, au moment où on l'attend. L'heure est au décloisonnement des titres, poussé par des derniers-nés qui ne respectent rien des segmentations passées.
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Ce que veulent les femmes : dans ce film au titre évocateur, Mel Gibson
avait la faculté d'entendre ce que les femmes pensaient. Un rêve au regard des
avantages qu'il pouvait en tirer, mais qui s'est rapidement avéré un cauchemar
tant les femmes veulent des choses souvent très différentes. Accompagner les
femmes à des moments précis de leur vie ou, au contraire, les accompagner dans
les différentes directions qu'elles suivent, c'est en gros le choix offert aux
médias qui s'adressent à elles. Un choix qui n'est d'ailleurs plus forcément
aussi tranché que cela quand on regarde le décloisonnement qui touche une bonne
partie des titres de presse féminine actuellement. L'exemple le plus extrême en
la matière vient du dernier-né des Editions Bauer, lancé le 22 février dernier,
et dont le nom, Cocktail, affiche d'emblée la couleur. Françoise de la Forest,
conceptrice et rédactrice en chef qui était déjà à l'origine de Girls, déclare
en effet avoir voulu répondre à l'insatiable curiosité féminine en abordant des
domaines classiques comme la mode, la beauté, la psycho, mais aussi la
politique ou la science. La trentaine de rubriques est déclinée sous forme
d'abécédaires pour permettre d'en changer au gré des saisons ou des demandes
des lectrices. Bimestriel appelé à devenir mensuel, il affiche des objectifs de
vente de 150 000 exemplaires.
« Nous n'avons
pas voulu nous situer, nous demander si nous voulions être haut de gamme,
populaire ou pratique, commente Brigitte Padellec, directrice générale de TPC
France, régie des Editions Bauer. Il s'agit d'une autre manière de parler aux
femmes avec une nouvelle génération de magazines. » Une génération pas tout à
fait spontanée car on ne peut s'empêcher de retrouver des points communs, dans
la forme comme dans le ton, entre Cocktail et Bien dans ma Vie, le mensuel
lancé l'an dernier par le groupe Axel Springer Presse. « L'approche
traditionnelle du marché féminin scinde les généralistes de masse et les
magazines ciblés autour de l'âge ou des segments de revenus, mais c'est une
approche sclérosante, estime Rémy Dessart, directeur général d'Axel Springer
Presse. Il faut rebattre les cartes, les femmes attendent ça, l'avenir est à
des titres qui abolissent les frontières. On peut très bien imaginer dans cinq
ans avoir d'un côté 50 % de grands titres classiques et 50 % de féminins qui
occuperont le terrain de manière différente. » Pour l'heure, Bien dans ma Vie
travaille déjà à des améliorations pour passer des 190 000-200 000 exemplaires
actuels à 250 000 exemplaires.
UN MÉLANGE DES GENRES
Les Cocktail, Bien dans ma Vie, Vivre au féminin ou Changer Tout, lancés l'an
dernier, créent, d'une certaine manière, un nouveau segment de presse féminine,
situé à la croisée des familles traditionnelles, mode-beauté, psycho et
pratique. Des familles qui ont elles-mêmes tendance à se décloisonner pour
répondre à un plus grand nombre d'attentes féminines. « Autant il y a dix ans,
les genres étaient bien définis entre la presse féminine populaire et la presse
haut de gamme, autant aujourd'hui, tout est dans tout, note Pierre Couvry,
directeur des médias chez BETC Euro RSCG. Les titres haut de gamme deviennent
de plus en plus pratiques et les pratiques/populaires plus haut de gamme. »
Même un titre spécialisé comme le mensuel Votre Beauté a fait évoluer sa copie
l'an dernier en traitant la beauté sous forme de pages people, de reportages et
en faisant une plus large place à la mode.
« Nous avons
effectivement accru la fonction magazine, en faisant toutefois attention de ne
pas basculer dans un magazine trop grand public, raconte Pierre Cosar,
directeur délégué. Mais, en presse féminine, il faut se garder des
segmentations tranchées qui ne correspondent pas forcément au lectorat. Chez
Votre Beauté, nous sommes bien placés pour savoir qu'une femme achète à la fois
ses produits chez Monoprix, Sephora et Guerlain. » Mais, dans le jeu de chaises
musicales qui se joue depuis quelque temps dans les féminins, tous ne gagnent
pas forcément, à commencer par les ex-nouveaux pratiques. Si un titre comme
Modes et Travaux peut s'en féliciter en regardant sa courbe de diffusion
monter, ce n'est pas le cas de Avantages, par exemple, qui avait atteint les
600 000 exemplaires en diffusion France payée et n'en diffuse plus aujourd'hui
"que" 475 181 exemplaires. Mais c'est le mensuel Prima qui enregistre la chute
la plus importante, passé de plus d'un million d'exemplaires en 1998 à 710 290
exemplaires aujourd'hui. « Le problème de la presse pratique est d'être
vraiment en phase avec son lectorat, et Prima était vraiment trop considéré
comme un magazine très axé sur le "faire soi-même", une notion qui est
dépassée, analyse Martine Haigh-Degueurce, directrice commerciale adjointe du
pôle féminin de Prisma Presse. Aujourd'hui, les femmes font les choses par
plaisir, et c'est sur cette notion du plaisir de faire, d'art de vivre au
quotidien qu'il faut insister. » Et Brigitte Padellec, dont la régie est
également en charge de Maxi, d'ajouter : « Les lectrices de ce segment de
presse veulent des informations et des conseils très pratiques, mais,
aujourd'hui, elles peuvent également les trouver de différentes manières, à la
télévision, sur Internet. Les sujets ont été banalisés, ils sont traités
partout. La presse pratique est aujourd'hui la plus compliquée et c'est en même
temps le plus gros challenge des années à venir. » L'équipe de Maxi a bien
essayé d'inverser la tendance en faisant évoluer le magazine en avril dernier,
en le relookant et en intégrant des nouvelles rubriques conso, tendances. «
Mais les résultats de diffusion n'ont pas été au rendez-vous, on tâtonne »,
reconnaît Brigitte Padellec. Notons que cette banalisation des sujets, tout
comme le "repiquage" systématique des thèmes porteurs des féminins par les
chaînes de télévision, voire par certains news, constituent pour la presse
féminine, en général, un véritable sujet d'inquiétude. Pour accompagner les
femmes, les médias peuvent cibler leurs centres d'intérêt respectifs, ils
peuvent également jouer la carte du chaînage, en suivant leurs étapes de vie au
fil des âges. Mais là aussi, les choses se compliquent. Décidément
contrariantes, les femmes brouillent les pistes, ne respectent plus les étapes
classiques et s'intéressent à des domaines, autrefois considérés comme pas de
leur âge. « Il y a un "floutage" des générations, confirme Valéry Camy,
directrice générale du pôle féminin d'Interdeco. On vit à une époque où les
femmes ont leur premier enfant à 28 ans et leur dernier à 42 ans, ce qui
bouleverse la donne dans la cible dite des 20-40 ans. » Ce "floutage" a très
tôt des répercussions sur les titres. Citant l'exemple de magazines gérés par
Interdeco, Valéry Camy note, par exemple, que 20 ans, dont le coeur de cible
était auparavant les 18-20 ans, s'adresse maintenant aux 15-25 ans, « car il
faut à la fois tenir compte des filles de 15 ans, qui font leur premier stage
en entreprises et s'habillent comme maman, et des post-ados ». Idem plus tard.
« Les moins de 35 ans, comme on dit en médiaplanning, sont une notion qui ne
correspond plus à la réalité professionnelle ou personnelle, ajoute Valéry
Camy. Des titres comme Biba ou Cosmopolitan repoussent les frontières à 42 ans,
et même un titre comme Isa, qui était positionné sur les 20-35 ans, s'ouvre en
empiétant sur cette population de femmes. » S'il est toutefois un titre qui
s'accroche bel et bien à son positionnement autour d'une tranche d'âge précise,
c'est Marie France. Les 40 ans et plus sont plus que jamais le coeur de cible
du mensuel du groupe Marie-Claire. « A l'époque où nous avons repris le titre,
ce créneau était vide, les féminins préféraient s'adresser aux femmes plus
jeunes », analyse Vincent Soulier, directeur marketing du groupe Marie-Claire.
Une campagne d'affichage enfonçait le clou en 1998 sur le thème "A 20 ans, je
voulais être quelqu'un, à 30 ans, quelqu'un d'autre, aujourd'hui, je suis moi".
Cinq ans après, le groupe s'apprête à communiquer de nouveau « pour renforcer
le territoire du titre sur la cible des 40 ans et aussi pour se repositionner
par rapport aux succès des titres centrés sur l'équilibre personnel, une
tendance que Marie France a initiée en étant le premier féminin généraliste à
avoir systématiquement un dossier et des rubriques orientés sur ce thème »,
souligne Vincent Soulier.
PRISMA MISE SUR LES HORS-SÉRIE
"10 ans d'émotions", tel est le titre du premier hors-série commercialisé sous la marque "Gala" par le groupe Prisma Presse depuis le 5 mars dernier au prix de 5 E. Destiné à célébrer les 10 ans du magazine, lancé en février 1993, il est préfacé par Patrick Poivre d'Arvor et retrace en photos les événements politiques et médiatiques les plus marquants de ces dix dernières années. Il met plus particulièrement l'accent sur cinq sagas très people : Céline Dion, Diana, Johnny Hallyday, les années 90 et la mode et Monaco. Tiré à 300 000 exemplaires, il a une pagination totale de 180 pages, dont 23 de publicité, largement issues des marques du sélectif. Sa vente a été soutenue par une campagne d'affichage, de radio et d'interpromotion dans les magazines du groupe. Ce lancement intervient sur un des titres du pôle féminin de Prisma qui se porte le mieux. En 2002, "Gala" a enregistré une performance publicitaire en progression de 8,9 %, avec 1 352 pages vendues. Selon l'éditeur, l'OJD prévisionnel 2002 devrait se solder par une diffusion France payée en hausse de 9,9 % par rapport à 2001 avec une moyenne de 272 000 exemplaires. S'il s'agit là du premier hors-série de "Gala", ce n'est pas le cas pour le pôle féminin du groupe. Comme l'explique Martine Haigh-Degueurce, directrice commerciale adjointe du pôle féminin de Prisma Presse, « compte tenu de la grande variété de l'offre, les femmes font des allers-retours entre les titres. Une des manières que nous avons de réagir est de décliner les marques de façon à ce qu'elles les aient le plus souvent possible à l'esprit. » Entre 1997 et l'an dernier, le nombre des hors-série consacrés à "Femme Actuelle", par exemple, est passé de 2 à 7, et il devrait être porté à 9 cette année. "Prima" n'a, pour sa part, été décliné qu'une fois en 2001 et 2002 et rien n'est prévu pour 2003. « A la différence de "Femme Actuelle", qui s'est bien stabilisé en tant que produit, "Prima" a besoin de retrouver des bases solides avant d'envisager des déclinaisons », estime Martine Haigh-Degueurce.