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Les trend-setters sortent de la boule de Crystal

Ils sont “anti-cool”, fiers de leur quartier, fétichistes ou “lo-fi”. Faiseurs de tendances, avant-gardistes, ils sont le quotidien de demain. Tous différents, ils ont un point commun : l'anti-marketing.

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“La plupart des études portent essentiellement sur la culture des jeunes mais, pour le marketing, elles ne servent souvent à rien. Au moment où la recherche traditionnelle détecte les tendances, elles se sont déjà généralisées et ont donc perdu une bonne partie de leur capacité à pouvoir hisser la marque au sommet du marché. Nous avons aussi constaté que l'avant-garde n'est plus la chasse gardée des jeunes. Les personnes qui lancent ces tendances sont souvent bien plus âgées que celles qui les suivent », énonce Benoît de Fleurian, directeur des stratégies d'Ogilvy & Mather France. Face à ce constat, et au niveau mondial, le groupe de communication a mis en chantier une étude, réalisée en collaboration avec un réseau de 160 correspondants culturels recrutés aux quatre coins de la planète, et administré depuis New York et Londres. La mission de ces observateurs : identifier les trend-setters, rendre compte des mouvements émergents, des frémissements de la société et livrer des rapports pointant les signes plus ou moins faibles. De ces rapports, patchwork ésotérique d'un monde parfois souterrain, est né le rapport Crystal. « Crystal n'est pas un cahier de tendances. C'est de la matière brute improbable. Un instantané significatif de la culture contemporaine. Une incitation à prendre des risques, un outil à fabriquer des idées nouvelles », insiste Marc-Antoine Jarry, directeur du planning stratégique d'Ogilvy France. De la lecture et l'analyse de cet instantané, les équipes mondiales d'Ogilvy ont repéré quatre grandes tendances. Ou plutôt quatre familles d'avant-gardistes.

Les nouvelles identités

Construire son identité hors des sentiers balisés par les normes d'un monde globalisé, tel pourrait être le credo de la première famille, “Identity”, qui s'invente son propre développement personnel. Qu'ils s'agissent des freaks, des anti-cool, ou encore des tenants de neighborhood pride et des kidults, tous ont en commun de vouloir emprunter des chemins alternatifs pour s'exprimer. « On assiste à une recomposition du spectacle de l'identité », commente Marc-Antoine Jarry. Ainsi, le freak, monstre loser, devient le héros d'une nouvelle génération qui a grandi dans l'exigence de conformité. « C'est le culte de la marginalité. Dans la culture populaire, c'est “La ferme des Célébrités” ou encore la chroniqueuse transsexuelle Brigitte Boréale sur Pink TV. Les freaks, c'est le ridicule que l'on respecte », ajoute Marc-Antoine Jarry. Le succès d'Emily Strange, marque emblématique des néo-gothiques, de Marilyn Manson ou encore de la famille Ozzbourne attestent de cette attirance pour la différence, voire pour le “border line”. Si l'excentricité est au cœur de la démarche des freaks, la quête de l'authenticité dicte les choix des anti-cool. Une famille qui globalement rejette tous les symboles de la mode, de l'establishment, du marketing pour se construire un monde qui se lit au moins au troisième degré. Il y a du white-trash dans cette famille qui rejette le superficiel et hisse au rang de “must have” ce qui était hier encore le sommet de la ringardise. « Derrière l'anti-cool, on trouve clairement une remise en cause de la marque et du marketing. Ils se réapproprient les marques traditionnelles, comme aux Etats-Unis, la marque de vêtement de travail “Dickies” », commente Marc-Antoine Jarry. Adeptes du karaoké, de la pêche, du camping, ces héritiers des Deschiens se bricolent une culture dont l'ironie distanciée est le pivot.

Les nouveaux extrémistes

Aux côtés de ces individus qui, globalement, sont en marge de la société normalisée, le rapport identifie un groupe qui en explore les limites. Baptisée “Extrémisme“, cette famille qui s'ennuie dans une société au risque zéro va puiser son ressourcement dans des valeurs jugées décadentes par les bienséances et donne vie à ses fantasmes. Le côté obscur attire ; fétichisme, vice, violence en sont ses principaux caractères. La montée d'adrénaline est le moteur de la vie. On s'en doute, le diable et toutes les sciences occultes sont des références incontournables. Et la frontière entre le bien et le mal est plus que floue. Mr Hyde a définitivement mis KO le docteur Jekill. Dans les milieux d'avant-garde, cette tendance sulfureuse est bien évidemment entourée d'une bonne dose d'ironie ; en revanche, la culture populaire l'interprète au premier degré. « On est dans une société paradoxale attirée par le conservatisme et la sécurité d'un côté et par le risque et l'interdit de l'autre », note Marc-Antoine Jarry.

La culture du “DIY”

Plus connue, mieux explorée, la culture du “do it yourself” (DIY) tend à devenir une vraie vague de fond et traduit l'avènement d'une société de participation où les individus reprennent le pouvoir. Au-delà du retour du tricot, de la broderie ou plus globalement de la customisation, qui sont autant de signes de créativité personnelle, la “DIY” culture est la manifestation d'une véritable rébellion contre la toute-puissance technologique. Pour preuve, l'émergence des “lo-fi”, traduction des “low-fidelity”. Nés en réaction à la hi-tech ou la “hi-fidelity”, ils militent pour une création qui serait moins dépendante d'une technologie qui standardise et uniformise tout ce qu'elle touche. Certains artistes annoncent clairement la couleur. « Aucun ordinateur n'a été utilisé pour écrire, enregistrer, mixer et masteriser ce disque », dit Jack White, leader du groupe de rock de Detroit “The White.Stripes”, au sujet de l'album “Elephant”. « La “DIY culture” est la contrepartie de la globalisation. Il y a une véritable volonté de retrouver une échelle humaine », précise Marc-Antoine Jarry. Echelle humaine que recherchent aussi les avant-gardistes de la dernière famille, nommée “Global Eye ”.

Le versant positif du monde global

Pour les représentants de cette famille, la globalisation, c'est d'abord la possibilité d'être connecté avec le monde entier, de connaître et d'apprécier les cultures locales pour mieux les diffuser. Berlin, Tokyo, mais aussi Séoul et plus globalement le continent africain, la “Global Eye” joue le métissage des cultures et la quête de nouvelles sources d'inspiration, d'espaces et de lieux vierges de manipulations marketing. « L'enseignement fondamental de cette étude est que nous vivons dans un monde qui veut se libérer du marketing. Il y a donc une nécessité pour tous, agences, annonceurs, de réapprendre à faire du marketing sur de nouvelles bases. Nous pensions naïvement que le marketing était invisible, il n'en est rien. Il doit devenir transparent », conclut Marc-Antoine Jarry. Joli challenge.

Rita Mazzoli

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