Les services consommateurs plus près de la marque
D'une logique de gestion des réclamations à une logique de relation entre la marque et son client, telle est la difficulté à laquelle sont confrontés les services consommateurs. Ils s'en sortent plutôt bien.
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Bien cuite, Madame Martin, comme d'habitude ? » En matière de service
consommateurs, difficile de faire mieux que le boulanger, le boucher ou
l'épicier qui connaît sur le bout des doigts ses quelque centaines de clients.
Cette aptitude à répondre aux demandes, sans même qu'il faille les formuler,
apanage des petits commerçants, peut être considérée comme la forme la plus
aboutie du service.Mais voilà qu'aujourd'hui, les marques veulent en faire
autant. Elles aussi souhaitent développer une relation plus étroite, quasi
charnelle avec le consommateur. C'est une préoccupation légitime. La
différenciation par les produits devenant de plus en plus difficile, c'est la
capacité de la marque à en offrir plus qui fera la différence. Plus de
service, une meilleure intégration des attentes du consommateur, une réponse
personnalisée, etc. C'est dans cette réflexion globale que s'inscrivent
désormais les services consommateurs. A savoir : comment participer à la
relation entre la marque et son client ? Et comment en être l'élément principal
? Sacré changement par rapport à une époque, pas si lointaine, où le service
consommateurs, géré par quelques secrétaires, avait pour seule fonction d'être
le défouloir des clients bougons dont la marque se serait bien passée. Au fur
et à mesure que les canaux se sont ouverts, les marques ont réalisé que les
services consommateurs pouvaient être bien plus que cela. Que leurs clients
avaient beaucoup de choses à dire et qu'ils ne s'en privaient pas. Le résultat
ne s'est pas fait attendre : en quelques années seulement, le service
consommateurs a changé de place dans l'entreprise. De temps à autre, rattaché
au service qualité, quelquefois à la direction générale (15 à 20 % des
entreprises), le service consommateurs est le plus souvent rattaché au service
marketing vente. Une tendance de fond qui n'a rien d'étonnant dans la mesure
où, dans cette vision “moderne”, le service consommateurs est un outil à part
entière du marketing relationnel. Malgré quelques nuances.Changé d'outils. Le
métier s'est fortement instrumentalisé, évolution indispensable même si elle a
pu provoquer quelques malentendus. La “sacralisation de l'outil”, à laquelle on
a parfois assisté, a pu pousser des entreprises à mettre la charrue avant les
bœufs. C'est-à-dire l'outil avant le stratégie. A l'image du CRM, dont on a
souvent fait passer le contenu technique avant la finalité. Mauvaise publicité
! Mais tout cela n'a guère entamé la marche en avant technologique.Le service
consommateurs a changé, surtout, au niveau des mentalités. On le perçoit
désormais comme utile par rapport à la marque. « La “simple réclamation” fait
partie du passé, affirme Denis Reynaud-Lacroze, directeur des services
marketing d'Unilever, dont le service consommateurs couvre l'ensemble des
marques alimentaires en ambiant, frais et surgelé. Nous nous orientons vers un
outil de conseil et de communication, outil d'une grande richesse en matière de
remontées d'information. »
Richesse
Les informations
marketing demandées par le client, 75 à 85 % des requêtes, constituent un
formidable outil d'identification des tendances. Aussi utiles au marketing qu'à
la communication ou à la R & D, elles aident à comprendre comment les produits
“vivent” sur leur marché, comment les faire évoluer, comment en sortir de
nouveaux… Richesse, également, des “informations négatives”, à savoir des
fameuses réclamations, auxquelles on a trop souvent et trop longtemps cantonné
le service consommateurs. Pourtant, celles-ci ne pèsent guère que 15 à 25 % des
requêtes. Parce qu'elles sont rares (4 % seulement des consommateurs qui
rencontrent un problème avec une marque franchissent le pas), parce qu'elles
mettent le doigt sur un défaut d'information, un dysfonctionnement… bref, sur
un problème, elles sont, peut-être, encore plus précieuses que les autres.« Le
service consommateurs, c'est une sorte de stéthoscope branché sur le marché »,
résume Jean-Yves Hepp, directeur général de MRM (McCann Relationship
Marketing), agence conseil en marketing relationnel intégrant toutes les
compétences nécessaires à la création et à l'animation de relations
marques/consommateurs. Vocation numéro un des services consommateurs : traiter
les requêtes des clients. Le service consommateurs implique une logique de
transversalité. Il doit imprégner toute l'entreprise pour toucher le bon
interlocuteur en fonction de la demande : service qualité pour un problème de
qualité produit, marketing pour une question relative à une offre
promotionnelle… Les démarches pour parvenir à un tel résultat sont de moins en
moins empiriques. La tendance est à la mise en place de véritables process,
tout au moins dans les grandes entreprises, pour définir les circuits empruntés
par l'information, les délais de réponse des différents services, etc. «
L'exploitation de l'information est très formalisée chez Nestlé, explique
Sylvie Chaniolleau. Nous avons mis en place des règles, des bonnes pratiques
déterminant le circuit de l'information, les délais de réponses, etc. Plus
l'entreprise anticipe et formalise la démarche, plus le traitement de
l'information est fluide. » Quant à l'exploitation des informations remontées
par le service consommateurs, elle s'est, elle aussi, rationalisée au fil des
ans. Chez Nestlé (voir encadré en p. 78), chez Unilever et dans la majorité des
grandes entreprises, rien n'est laissé au hasard. « La prise en compte est
systématique, affirme Denis Reynaud-Lacroze. Pour chacune de nos catégories de
produits, des rapports mensuels nous permettent de suivre l'opinion de nos
consommateurs. C'est un outil de progrès important. » Une telle démarche n'est
pas l'apanage des grandes sociétés. « Bien au contraire, estime Frédéric
Lorimy, directeur Assurance qualité de Harry's, en charge du service
consommateurs. Etre une PME très attentive sur le sujet nous permet de suivre
d'encore plus près les remarques de nos clients. » (voir encadré en p. 81)
Des élèves de tous niveaux
De tout ce potentiel des
services consommateurs, les entreprises prennent donc, peu à peu, conscience.
Attention, toutefois : l'évolution n'est ni générale, ni aboutie. Force est
même de constater que la majorité des entreprises ont encore des progrès à
faire. « Un service consommateurs, c'est une richesse inestimable que les
entreprises sous-évaluent encore, regrette Jean-Yves Hepp. Elles investissent
des fortunes en études pour savoir ce que les clients pensent de leurs
produits, ou en MD pour développer la fidélisation, alors qu'elles ont à portée
de main un outil formidable. » L'hétérogénéité est telle qu'il est, toutefois,
difficile de dresser un tableau. Grande conso, distribution, banques &
assurances, services…, dans chaque secteur, on trouve à la fois de bons élèves
et de moins bons. De la même façon, la taille de l'entreprise n'est en rien une
garantie. Tout juste se bornera-t-on à constater que les “grandes marques”
peuvent difficilement faire l'économie d'un service consommateurs performant,
malgré des différences importantes. Petit exemple sur le marché du DPH, entre
un Lever à la démarche très aboutie, intégrée dans une relation globale, et un
Colgate Palmolive qui admet une démarche moins tournée vers la relation client.
« Certains font du service consommateurs un vrai outil de MD alors que nous
sommes restés dans un mode de fonctionnement plus classique, reconnaît-on chez
Colgate, dont le service consommateurs regroupe toutes les marques au niveau
européen. Actuellement, nos priorités sont plutôt tournées vers une prise en
compte optimale d'Internet. »L'âge du service consommateurs est, par ailleurs,
un assez bon indice du niveau de culture des entreprises en la matière. Or, que
constate-t-on ? Que 50 à 60 % des services consommateurs en place ont moins de
10 ans ! A l'autre bout de l'échelle, on peut attribuer une mention spéciale à
Procter, dont la création du service consommateurs date de 1955…, même si l'on
fait remarquer chez Nestlé qu'Henri Nestlé, dès la commercialisation de ses
toutes premières farines infantiles, indiquait ses coordonnées sur ce qui ne
s'appelait pas encore un packaging !Osons enfin une comparaison : les
entreprises évoquées jusqu'ici se sont construites sur une logique “produit”
traditionnelle, à l'inverse de sociétés beaucoup plus jeunes. « Dell Computers
ou Amazon ont véritablement placé le consommateur au cœur de leur logique et de
leur fonctionnement, estime Jean-Yves Hepp. Ils ont su inventer un nouveau mode
de relation avec le consommateur, ce qui explique en partie leurs remarquables
résultats. C'est la voie de l'avenir. » Mais on déborde ici du cadre du simple
service consommateurs.
Fusion ou confusion ?
Bouteille
à moitié vide ou à moitié pleine ? Faut-il déplorer le fait que, dans la
majorité des entreprises, le potentiel des services consommateurs soit encore
mal exploité, ou au contraire se féliciter du chemin parcouru en si peu de
temps ? Quelle que soit la réponse, les services consommateurs gagnent en
maturité et s'inscrivent de plus en plus dans un processus de relation du
consommateur avec la marque. Se pose dès lors une autre question : celle du
lien entre le service consommateurs et les autres outils de la relation
client. On constate en effet que, de plus en plus, les uns et les autres se
fondent et se confondent. Ils se confondent dans la forme, au niveau d'un site
web par exemple. « Le consommateur ne fait pas la différence entre les éléments
d'information “préformatés” sur la marque (informations diverses, FAQ), et le
service consommateurs proprement dit, qui implique un traitement humain,
explique Frédéric Lorimy. Il navigue, de l'un à l'autre, de façon totalement
transparente en fonction de ses demandes. »Autre exemple, les consumer
magazines. Il existe très clairement des différences de forme et de nature
entre le service consommateurs d'Unilever et “Pour tout vous dire”. Mais il
existe au moins autant de points communs : « La volonté de créer une
interactivité, d'établir un contact direct, des consommateurs privilégiés,soit
parce qu'ils reçoivent le magazine, soit parce qu'ils se donnent la peine de
nous contacter, détaille Denis Reynaud-Lacroze. On peut encore ajouter la
transversalité de l'un et de l'autre, et bien sûr, la gestion au niveau du
marketing. »Outil présenté comme étant au service des consommateurs, comme son
nom l'indique, le service consommateurs ne serait-il pas davantage un outil au
service des marques ? Qu'importe, finalement, puisque, sur ce terrain tout au
moins, les intérêts des uns et des autres se rejoignent.
Sylvie Chaniolleau, Directeur Département Marketing et Communications, en charge des services consommateurs à l'international, de Nestlé : « Comprendre la relation que les consommateurs veulent établir avec la marque »
MM : Quels sont les canaux de contacts les plus utilisés par les consommateurs chez Nestlé ? SC : Globalement, les contacts se répartissent de la façon suivante : téléphone 64 %, lettres 28 %, e-mails 6 %. Et, pour la France, nous sommes respectivement à 60 %, 22 % et 18 %. Sur la durée, le téléphone évolue peu. Les e-mails progressent, soit au détriment du courrier, soit en contacts additionnels sur de nouvelles cibles (jeunes adultes, jeunes étudiants ou seniors). Quant au contenu, environ 70 % des demandent portent sur des informations diététiques, nutritionnelles, sur des recettes, 20 % portent sur la vie des produits (promotions, activité des marques), et le reste regroupe les réclamations. MM : De qui dépendent ces services dans l'entreprise ? SC : Même s'il n'en pas toujours été ainsi, la majorité des services consommateurs dépend maintenant du marketing (directeur marketing et ventes, directeur marketing consommateurs) ou de la communication (directeur communication, Corporate Affairs). Voire de chefs de marché dans les plus petits pays. Le service consommateurs a gagné un rôle évident dans le marketing de Nestlé, dans la diffusion des valeurs de nos différentes marques comme de la marque corporate. MM : Que faites-vous des informations remontées et comment sont- elles exploitées ? SC : Nous avons une démarche, “Voice of the Consumer”, par laquelle nous apportons le plus grand soin à la formation des conseillers en contact direct avec les consommateurs, afin que les contacts soient saisis de façon efficace (informations sur les consommateurs, raisons du contact, verbatim du consommateur). Ensuite, des “knowledge managers” mettent ces informations en perspective, les analysent et les restituent, en interne, (qualité, usines, marketing, corporate, R & D) afin qu'elles puissent donner des résultats sur l'amélioration, voire sur l'innovation des produits. C'est un processus constant de flux d'information, de groupes de projets et de réunions de travail. MM : Qu'en est-il de l'outil par rapport à l'humain ? SC : Les conseillers en contact avec les consommateurs sont notre ressource la plus précieuse (environ 75 % du budget). Il faut compter entre 6 000 et 8 000 contacts par personne et par an (tous médias), cela dépend essentiellement du nombre total de contacts à gérer, et de la qualité de relations que l'on souhaite. Par exemple, le temps passé en moyenne avec chaque consommateur se situe aux alentours de 4 minutes, mais les variations sont énormes d'une marque à l'autre (Babyfood par rapport à Nescafé, par exemple) et d'un pays à l'autre (au Japon, la moyenne est de 6 minutes). La technologie est importante pour faciliter l'accès, libérer des tâches afin que les conseillers puissent consacrer le plus de temps possible aux consommateurs. MM : Comment positionnez-vous le CRM par rapport à votre démarche globale ? SC : Le CRM est, pour nous, la façon de reconnaître les consommateurs fidèles à nos marques. Il va nous permettre de bâtir des programmes relationnels spécifiques pour ces consommateurs, d'investir un peu plus avec eux et de récompenser leur fidélité. Mais notre démarche consiste d'abord à communiquer avec tous ceux qui le souhaitent, et à comprendre la relation qu'ils veulent établir avec la marque.
Canaux d'information : les grandes règles
Pas vraiment de surprises au niveau des canaux utilisés par les consommateurs. Le téléphone est toujours largement en tête avec environ 50 % des contacts. Le courrier génère environ 5 à 10 % des contacts. Quant au Web, il est, bien sûr, le grand gagnant, avec 5 à 35 % des contacts, selon la maturité des entreprises. Le poids respectif des canaux ne modifie en rien les grandes règles qu'il convient de respecter en la matière. Privilégier l'approche multicanal 10 000 contacts ou 5 millions, peu importe le nombre. Il faut être multicanal. Courrier, téléphone, voire e-mail… le consommateur doit avoir différents points d'accès à l'entreprise. Négliger un canal majeur, c'est se couper d'une partie d'entre eux. Adapter le message Chaque canal a sa spécificité. Et devient en lui-même un indicateur du niveau d'attente du consommateur. Le téléphone va générer une attente de convivialité, le courrier, de reconnaissance, le mail ou le fax, d'hyperréactivité. Toute la difficulté va consister à proposer des messages de forme différente en fonction du canal, mais dont la réponse à la question posée et dont le discours par rapport à la marque seront identiques. Gérer de concert les différents canaux Les différents canaux doivent être intégrés et regroupés. Mieux vaut éviter de traiter le Web, le téléphone, le courrier en des lieux différents. Il s'agit du même consommateur, avec les mêmes questions, simplement formulées différemment.
A prévoir dans les années à venir…
Association regroupant au niveau international des responsables relation client et services consommateurs, Socap* a tenu sa conférence internationale à Miami en octobre dernier. En synthèse, voici quelques tendances qui se sont dégagées. Développement du "self service" Le consommateur a de plus en plus besoin d'une information immédiatement disponible, parallèlement au besoin d'échanger. D'où le développement du "self service" sur le Web, en complément de la relation plus "émotionnelle" et interactive avec les services consommateurs. Mesure du retour sur investissement Vaste programme que la mesure du retour sur investissement des services consommateurs. Les entreprises commencent pourtant à s'intéresser. Parmi les pistes possibles : quantifier les progressions de vente imputables aux services consommateurs (via les modifications engendrées par les remontées d'information), ou encore, observer l'attitude du client par rapport à la marque après qu'il soit passé par le service consommateur : devient-il plus fidèle, surconsommateur, etc. Technologie : présente et invisible La course à la technologie continue, donnant toujours plus d'efficacité aux services consommateurs et à la relation clients. Avec un impératif : que cette technologie reste totalement invisible aux yeux du consommateur. Globalisation A l'intérieur des entreprises dans une logique de transversalité, entre plusieurs marques, entre plusieurs pays, la tendance à la globalisation des services consommateurs se poursuit. * www.socap.org
Frédéric Lorimy, directeur Assurance qualité de Harry's :« Pas un désavantage d'être une PME… au contraire »
« Chez Harry's, le service consommateurs est rattaché au service Qualité. Celui-ci constitue une porte d'entrée unique, derrière laquelle l'information est naturellement dispatchée vers les interlocuteurs concernés : chef de produit marketing, directeur d'usine, responsable qualité, R & D. Ce rattachement à la Qualité nous paraît naturel. On nous interroge toujours plus sur des problèmes qui touchent directement la qualité. Compositions produits, OGM, problèmes allergènes… représentent 80 % des requêtes que nous traitons. Les questions relatives, par exemple, à une promotion, sont à la fois moins nombreuses et d'un traitement plus simple. En outre, le rattachement à la Qualité entre dans une notion de veille de marché et de surveillance de crise. Nous essayons de répondre dans les meilleurs délais (une semaine nous paraît raisonnable), mais sans formalisme poussé. Une ou plusieurs personnes s'occupent du service consommateurs, et en parallèle, les collaborateurs sont fortement impliqués, à tous les niveaux. Notamment celui de la direction générale, avec un reporting mensuel. Les informations sont classées par catégories (santé, référencement, réclamation/mécontentement…). Elles nous permettent à la fois d'établir des tendances et de faire preuve d'une forte réactivité par rapport à des structures externalisées ou à de grands groupes multimarques. Ceux-ci gèrent tellement d'appels qu'ils doivent utiliser des outils préconçus et des modes de fonctionnement plus rigides. Nous ne sommes pas entrés dans la logique de l'outil-roi. »