Les sept visages de "l'euroconsommateur"
L'Observatoire Thalys dresse le portrait de sept "euroconsommateurs" qui, s'ils partagent désormais la même monnaie, sont loin de vouloir tout partager. Une galerie contrastée entre optimisme français et scepticisme britannique mais aussi entre espoir économique ou linguistique et malentendu culturel voire crainte de l'inconnu.
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Aussi sûr que la Bourse ne traduit pas l'état des économies mais la
psychologie des investisseurs. L'euro n'est pas qu'un instrument économique
mais le catalyseur du lien européen. Un lien ancien, contradictoire mais solide
que l'Observatoire Thalys tente d'analyser. La monnaie unique va-t-elle nous
rapprocher ? Ferons-nous entrer plus fortement les autres langues dans notre
quotidien ? Et sur quelle base de proximité culturelle l'euro tentera-t-il de
s'imposer ? Des questions sur lesquelles l'Ob-servatoire Thalys, structure
européenne d'études et de recherche sur le quotidien des Européens, apporte un
diagnostic. Au premier chef duquel une divergence de vision sur les liens de
proximité entre pays. « On constate ainsi que la France, malgré ses
singularités souvent dénoncées à l'étranger, est considérée comme le pays
culturellement le plus proche », commente Gérard Mermet, sociologue, conseil
d'entreprise et auteur notamment de Francoscopie et d'Euroscopie. Seuls les
Allemands et les Espagnols se disent plus proches d'un autre pays :
respectivement l'Autriche et l'Italie. «Ce statut français privilégié tient
sans doute à la situation géographique de l'Hexagone qui en fait "l'empire du
milieu européen". Mais aussi à ses valeurs protestantes du Nord, fondées sur
l'autonomie de l'individu, l'économie de marché, l'éthique ou la
décentralisation», poursuit Gérard Mermet. Etrange Europe où les peuples
ressentent des proximités avec certains pays sans que cela soit partagé par les
autres protagonistes. Ainsi les Belges, les Italiens, les Néerlandais et les
Britanniques se sentent plus proches de la France que ne le sont les Français à
leur égard. Même phénomène pour les Allemands ou les Espagnols qui nourrissent
envers les Italiens un sentiment de proximité fort (33 %), contre seulement 24
% en retour. Décalage également entre Belges et Espagnols. Ou entre les
Néerlandais et six autres pays qui ne lui rendent pas à l'exception des
Britanniques. Quant à la fameuse complicité anglo-saxonne entre Allemands et
Britanniques, elle est plus exprimée par les Germaniques que les Britanniques
qui lui préfèrent la France (19 % de réponses) voire l'Espagne. Deux pays qui
ne lui rendent d'ailleurs pas forcément puisque les Français ne se sentent
proches des Anglais qu'à 5 % et les Espagnols qu'à 3 %.
Francoptimisme
Cela n'empêche pas plus d'un Européen
sur trois de voir dans l'euro une opportunité de rapprochement. Même s'ils
pensent plus volontiers à un rapprochement économique sous l'impulsion des
échanges entre pays (39 %), qu'à la création d'une culture européenne (20 %).
Mais, encore une fois, sur toutes ces questions les divergences de point de vue
demeurent. Les Français s'avèrent de loin les plus optimistes. Non seulement
parce qu'ils pensent que la monnaie unique va rapprocher les peuples (54 %) et
favoriser les échanges économiques (64 %) mais également parce qu'ils croient
que cela permettra d'engendrer une culture commune (36 %). « Selon eux, la
comparaison des prix, les achats, les voyages, le contrôle des dépenses, les
transferts d'argent et le développement des achats sur Internet devraient même
être dopés », souligne Gérard Mermet. Un "francoptimisme" à opposer au
pessimisme des Britanniques qui, non seulement ne sont pas concernés par
l'échéance de janvier 2002, mais voient davantage dans l'euro une source de
problèmes (40 %) que de développement économique (25 %). L'ébauche d'une
culture européenne ne retenant que 7 % de leur suffrage. Quant aux Allemands,
ce sont de loin les plus inquiets sur les conséquences de la réforme sur
l'économie (43 %). On le voit, si l'Européen considère d'un bon oeil les effets
positifs de l'euro sur les échanges économiques, ses déclarations sont en fait
peu consensuelles. Ce qui tendrait à prouver que "l'euroconsommateur" est
encore balbutiant. Une personne sur cinq seulement estime qu'elle achètera plus
de produits qu'avant dans les autres pays de l'Union. Et, même si la moitié des
interviewés s'accorde sur le bénéfice théorique de comparaison des prix entre
pays, un quart seulement estime que la monnaie unique aura une véritable
incidence sur les achats dans l'Euroland. A l'exception toutefois des Français,
éternels optimistes qui, eux, en sont convaincus à 60 %. Quant aux effets
bénéfiques sur les déplacements, là encore les avis sont partagés. Un peu plus
du tiers des interviewés considèrent que l'euro aura une incidence positive sur
les départs à l'improviste ou une meilleure estimation des dépenses à
l'étranger. A l'exception des Français qui en sont convaincus à 72 % ! Etranges
Français qui, quoique moins internautes que leurs voisins (environ 30 % d'entre
eux disposent d'une connexion contre 44 % pour l'ensemble des pays interrogés),
sont néanmoins les plus acquis à l'idée que la monnaie unique développera les
achats en ligne, 39 % contre 16 % de citations de l'ensemble. A noter également
les Hollandais et les Belges qui, habitués à se déplacer fréquemment, croient
que l'euro va multiplier les départs à l'improviste. Quand les Allemands
espèrent qu'il va leur faciliter les déplacements et leur permettre de mieux
contrôler leurs dépenses. Restent les Espagnols, sédentaires et sceptiques qui,
quelle que soit la question posée, recueillent des scores systématiquement
inférieurs à 30 %. Interrogés sur ce qu'ils perçoivent comme la prochaine étape
du rapprochement des pays membres, c'est l'optimisation des connaissances
linguistiques qui arrive en premier (38 %) suivie de considérations plus
culturelles pour 28 %. En revanche, pas question de toucher aux frontières. Un
Européen seulement sur cinq y est favorable. Pas plus que l'idée d'un président
commun. Les Européens y sont pour l'heure unanimement contre. « Avant de s'en
remettre aux décisions d'un individu isolé, fut-il président, les Européens
sentent bien que l'apparition d'une réelle identité européenne passe par une
meilleure connaissance de ses alter ego. Le politique reste en arrière plan au
profit du culturel », conclut Gérard Mermet.
L'EUROPÉEN, CE GRAND PANTOUFLARD
Difficile à croire tant les lignes aériennes sont encombrées et les routes saturées par les kilomètres d'embouteillages impressionnants aux moments des vacances. Mais 43 % des Européens ne se déplacent jamais à l'étranger. Et 49 % seulement ne le font qu'occasionnellement, c'est-à-dire une à trois fois par an. Et ce, que ce soit pour des raisons professionnelles ou personnelles. Les plus sédentaires sont les Espagnols et les Italiens qui sont respectivement 68 % et 64 % à déclarer ne jamais quitter leur sol natal et 51 % des Français. Par tradition et pour des raisons historiques, voire climatiques, les globe-trotters de l'Europe sont les Néerlandais dont 19 % voyagent régulièrement devant les Belges (11,5 %) et les Britanniques (11 %). Le pourcentage d'hommes est nettement supérieur à celui des femmes dans chacun de ces trois pays. Démontrant, si besoin était, que ce sont les hommes qui tiennent encore les rênes de la vie économique. Quant à la corrélation entre voyages et revenus, elle existe bel et bien dans la plupart des pays puisque les plus de 35 ans voyagent davantage que les plus jeunes. Mais, ce qui est vrai pour les Britanniques dont la traversée du Channel reste onéreuse, ne l'est pas pour les Belges ou les Néerlandais qui voyagent d'autant plus que leurs revenus sont modestes. Sans doute par besoin d'explorer de plus vastes horizons que leurs territoires nationaux. Mais l'étude Thalys semble indiquer que l'euro pourrait inciter les plus pantouflards à bouger et ceux qui voyagent déjà à le faire plus souvent.
MÉTHODOLOGIE
Cette étude a été réalisée dans 7 pays de la Commu-nauté. Les interviews téléphoniques ont été réalisées du 5 au 16 mai 2001 sur un échantillon global de 3 403 personnes âgées de 18 ans et plus, représentatif de chaque pays. France : 527 personnes, Allemagne : 462 personnes, Belgique : 485 personnes (dont : Néerlandophones 254 Francophones 231), Espagne : 502 personnes, Italie : 497 personnes, Pays-Bas : 437 personnes, Royaume-Uni : 493 personnes. Une pondération a été effectuée de manière à réaffecter à chacun des pays son poids socio-démographique par rapport à l'ensemble des pays interrogés.