Les régles d'or de la challenger attitude
Une marque challenger peut-elle bâtir une success-story face à des leaders du marché qui ont davantage de ressources ? La réponse est bien sûr affirmative. Et les pistes ne manquent pas, tant il est clair que créer la différence ne s'obtient pas toujours à coups de millions.
Je m'abonne
La prime appartient au leader. L'antienne est connue. Dans ces conditions,
les marques challengers doivent-elles persister pour se frayer un chemin dans
des marchés surencombrés ? La réponse est trois fois “oui”, à condition d'opter
pour une stratégie axée sur la finesse et la détermination. Pour sortir de
l'ombre, il faut créer, jouer la carte de la complémentarité (et non la
déstabilisation du leader) et y croire. Telles sont, en substance, les
principales conclusions de la première édition du Challenger Day organisé, au
printemps dernier, par l'agence Challenger House, en collaboration avec
l'institut BVA et XTC. Et dont le parrain était Franck Riboud, P-dg de Danone.
Un choix étonnant, puisque, dans l'Hexagone, le groupe est le leader incontesté
de nombreux marchés. Mais le monde est vaste et Franck Riboud aime à rappeler
que Danone est « toujours le plus petit de quelqu'un ». Et d'ajouter: « Etre
challenger, c'est un état d'esprit qui dépasse largement l'innovation. » Avant
d'être un statut, le challenger est donc une posture. « Un challenger doit
savoir développer des stratégies propres », estime ainsi Franck Riboud. Pas
question de viser frontalement le plus gros acteur du secteur, car la technique
pourrait le réveiller. Contrairement aux leaders qui disposent d'un large
avantage sur le terrain et des ressources conséquentes, être challenger est un
état d'esprit mêlé à la nécessité d'innover. D'autant que, désormais, « on peut
être challenger un jour et leader le lendemain », comme aime à le penser Eric
David, directeur général en charge des ventes de Crayola. Un avis que partage
Nicolas Zunz, vice-président de Publicis Dialog : « Aujourd'hui, toutes les
entreprises devraient avoir une mentalité de challenger. Des marques, que l'on
pensait indétrônables, ont vu arriver des Ovni qui leur ont pris leur place. »
Pour avoir accompagné des challengers mais également des leaders dans leur
communication, Nicolas Zunz est formel : « Un leader n'est jamais à l'abri, car
un challenger est toujours à l'affût ». Il n'y a qu'à se pencher sur le cas des
Zara ou H&M qui ont taillé des croupières aux Promod et autres Camaïeu, ou
encore à Apple. Donnée pour morte il y a quelques années, Apple a retravaillé
ses fondamentaux, l'innovation, redéfini son marché pour donner naissance à la
marque emblématique du XXIe siècle naissant : l'iPod. « Les exemples de
challengers qui redéfinissent les codes et paniquent le marché ne manquent pas,
explique Nicolas Zunz. Créer les conditions d'une émergence quelle qu'elle soit
est vitale pour ces entreprises. » Et là encore, les exemples sont légion. Jet
Tours, qui subissait les assauts des voyagistes en ligne, a ainsi décidé de
créer la rupture, en jouant sur la sécurité via un nouveau claim, “On peut tout
rater, mais pas ses vacances”.
Bousculer le marché
« Pour s'approprier un espace sur le marché, le challenger doit tout mettre en œuvre pour bousculer cet état de fait et désorganiser l'activité du leader. Dans ce combat qui fait partie de son système génétique, l'innovation est son arme principale », souligne Patrick Mercier, fondateur de Challenger House et Dg du Groupe Leo Burnett France. Une doctrine à laquelle s'est ralliée Crayola. Leader outre-Atlantique, challenger dans l'Hexagone, la marque, si familière aux têtes blondes, s'est ainsi heurtée en 1990 aux leaders du secteur de la papeterie. Pour les contourner, elle s'est intéressée non plus aux attentes des jeunes utilisateurs, mais à celles de leurs mères. Après les avoir identifiées, elle lançait le concept de la “lavabilité”, avec des crayons de couleur effaçables ou des feutres s'éliminant à l'eau. « Il nous a fallu choisir un positionnement différent de celui que nous avons aux Etats-Unis. Cette mentalité de challenger nous a évité de nous engager dans une démarche de suiveur », explique Eric David. Poussant la logique à son terme, la marque a également redéfini son réseau de distribution et, plutôt que venir chatouiller les Conté et Caran d'Ache dans les papeteries, elle a opté pour le marché du jouet. Outre ses nombreuses innovations (“lavabilité” et crayons “tampon”), Crayola a misé sur les partenariats pour installer sa notoriété. De la restauration, avec Hippopotamus et McDonald's, à la maroquinerie, avec Lamarthe, ou encore l'automobile avec Michelin, Crayola a multiplié les opérations avec des marques fortes pour mettre en main ses produits. « Les partenariats font clairement partie de la visibilité de la marque», reconnaît Eric David, qui va même plus loin : « Le partenariat est l'assurance-vie de notre marque. »
Jouer sur les ruptures
Si ces partenariats sont un passage obligé, la rupture reste, pour les principaux challengers, l'arme la plus efficace pour faire la différence. « Un challenger qui ferait pareil qu'un leader, en moins cher, est un perdant, note Bruno Lacoste, fondateur de l'agence de publicité Brune. Un mauvais challenger est un complexé par rapport au leader, tandis qu'un challenger innovant a naturellement la volonté de bâtir un modèle différent. » Ce publicitaire sait de quoi il parle. « En créant Brune en 2003, nous avons justement eu cette ambition. Nous voulions nous démarquer. Les blondes étant la séduction, nous avons pris le contre-pied », explique-t-il. Challenger sur le marché français très encombré des pâtes fraîches, Rana a ainsi choisi d'exprimer ses différences via une publicité comparative et des innovations produits, telles que des tagliatelles rugueuses retenant mieux la sauce ou une offre de pâtes et sauces à faire revenir à la poêle. « Nous sommes arrivés sur le marché français il y a sept ans, avec une communication qui ne correspondait absolument pas au marché local. Résultat, la marque ne perçait pas. Il y a trois ans, nous avons revu toute notre stratégie », explique Philippe Martinez, directeur général de Rana France. De l'innovation produit (pâte de 0,4 mm d'épaisseur, contre 0,9 mm en général) à la communication décalée (publicité comparative où Giovanni Rana communique sur ses valeurs et la qualité de ses produits) en passant par le packaging, ces changements ont permis au challenger des pâtes fraîches d'ancrer sa notoriété et de grignoter des parts de marché. « Nous avons toujours voulu percer le marché français. Nos innovations et notre communication décalée nous ont permis de passer de 15 % de notoriété en 2001 à 60 % en 2005 », se félicite Philippe Martinez, qui reconnaît tout de même que le fait d'être leader en Italie a incontestablement avantagé la marque.
Déstabiliser avec la simplicité
Autre rupture, le packaging (à l'image de la brique Daddy sucre ou encore des viandes Charal…), voire le positionnement citoyen adopté en son temps par un Ben & Jerry qui redonnait du sens à l'acte d'achat. La rupture du prix a également fait ses preuves : offrir mieux pour moins cher est une stratégie efficace face à un consommateur de plus en plus opportuniste. Et là encore, les exemples ne manquent pas. Direct Energie, le fournisseur d'électricité, ou Télé 2 en sont des illustrations. Les deux sociétés se sont appuyées sur un même principe de base : être l'alternative à l'opérateur historique en proposant un bon prix, un bon réseau et une bonne offre. Créée en mars 2003, la société Direct Energie commercialise ainsi depuis le 1er juillet 2004 le kWh d'électricité à un coût inférieur de 10 % à celui facturé par EDF, soit l'électri- cité la moins chère du marché. « Nous avons décidé de ne pas affronter l'opérateur historique avec les mêmes armes et les mêmes outils, indique Thierry Roussel, en charge du marketing. Notre différence n'est que sur le prix. » Aimant à rappeler que les clients paient l'électricité, et non la publicité, Direct Energie investit davantage sur son offre tarifaire que sur son image pour attirer les clients. « Nous avons décidé de miser davantage sur le bouche-à-oreille que sur les médias », poursuit le responsable marketing. Pour ce faire, Direct Energie possède une autre corde à son arc : la simplicité. « Pourquoi embêter les clients avec des contrats ? Ces derniers peuvent entrer et nous quitter en toute liberté sans frais de résiliation. » A l'instar d'autres challengers, Direct Energie a également opté, dès son arrivée sur le marché, pour les partenariats, un moyen peu onéreux et simple pour faire progresser sa notoriété. « Nous voulons déstabiliser avec la simplicité », martèle Thierry Roussel, qui admet qu'en tant que challenger chaque coût est calculé et réfléchi à deux fois, comme les factures qui sont imprimables et non envoyées par La Poste. « Quand on est petit, il est primordial d'innover en permanence et d'avoir une logique d'optimisation des coûts », admet Thierry Roussel. Une démarche adoptée par un autre challenger, mais cette fois de la téléphonie : Télé 2. « Nous nous sommes positionnés sur la différence. Notre spécialité, chez Télé 2, c'est de nous attaquer aux monopoles avec deux armes : la simplicité et les bas prix », explique Olivier Anstett, directeur général adjoint. La marque de téléphonie s'est fixé comme ligne de conduite de rester concentrée sur son business. « Quand on est challenger, il faut être persistant et ne pas se laisser dériver », assure Olivier Anstett, qui est allé au bout de cette logique pour faire augmenter son portefeuille de clients (3,5 millions de clients cette année, contre 300 000 en 1999). « Créer un choc émotionnel devient impératif pour se démarquer », ajoute enfin Patrick Mercier. The Body Shop en est l'illustration, mais également les Cafés Malongo ou Le Petit Marseillais, sans oublier Swatch ou Lorina. Cette marque challenger a su transformer sa particularité en atout. Limonade artisanale, Lorina est devenue une marque culte du patrimoine français. « En 1996, nous avons fait le pari de miser sur l'authenticité et de développer un merchandising innovant pour les distributeurs », souligne Jean-Pierre Barjon, P-dg de Lorina Geyer. Avant d'ajouter : « Nous avons surfé sur la tendance qui consiste à répéter à l'envi “Avant c'était mieux”. Du coup, d'un produit plutôt destiné aux enfants, nous avons élargi la cible aux parents et aux grands-parents.» De l'innovation de rupture à la complémentarité, les pistes ne manquent pas pour asseoir une marque, même challenger. Il suffit de penser en challenger, de ne jamais essayer d'imiter les autres. Bref, de faire des choix. Un état d'esprit valable aussi pour les leaders qui sont, à l'unanimité, de plus en plus fragilisés. Face à ces challengers de plus en plus innovants.
Communication : cultiver la différence
« La notoriété est un accélérateur de vieillissement. » Pour Bruno Lacoste, fondateur de l'agence Brune, la publicité est un passage obligé, à condition qu'elle contienne de l'imaginaire et qu'elle affiche une rupture. « Nous étions conscients qu'en tant que jeune agence, il fallait rapidement communiquer sur notre marque pour gagner de nouveaux clients », assure-t-il. Pour ce dernier qui croît à l'imaginaire, « d'autant que cela ne coûte pas cher », le secret est clairement dans la différence. Pour assurer son développement, l'agence a dû rapidement se faire connaître via une communication décalée, drôle, mettant en avant la différence. Un avis que partage Jérôme Carouge, directeur du développement de l'agence Robinson : « Il ne suffit pas d'aligner des millions d'euros. Il faut un discours pertinent et surfer sur les attentes émergentes. » Pour ce dernier, gagner en visibilité est primordial : « Un challenger doit davantage porter son attention sur l'intelligence du plan plutôt que sur le plan médias ». Ainsi, pour l'agence Robinson, « on va plus loin quand on sait où on va et l'on émerge plus vite à partir d'une idée forte et originale ». Et là les exemples ne manquent pas : Rana et sa publicité comparative, Brune et sa communication caustique, mais également Longchamp et ses affiches au parti pris esthétique ou encore Hygena et son discours décalé. Que du bonheur…