Les nouveaux imaginaires du gratte-ciel
La figure du gratte-ciel fut longtemps - et à juste titre - associée aux
Etats-Unis, et plus particulièrement à New York. C'est là-bas, qu'au début du
xxe siècle, a été inventée cette nouvelle forme d'habitat dense. Nouvelle forme
car, au-delà de la superposition de logements, la grande révolution des
gratte-ciel new-yorkais fut l'invention de l'immeuble service. Chaque habitant
se devait de trouver, au sein du bâtiment, l'ensemble des services quotidiens
qu'il était en droit d'attendre d'une ville. Les premiers gratte-ciel
comptaient une salle de sport, une laverie collective, un service de cuisine et
un important personnel totalement dédié aux habitants. L'organisation était
directement inspirée des grands hôtels, et, plus particulièrement du Waldorf
Astoria, nouvellement construit. C'est d'ailleurs à la suite de la visite de
ces programmes new-yorkais, que Le Corbusier “inventa”, dans les années
quarante, ses fameuses unités d'habitations, avec école, épicerie et bureau de
Poste intégrés. Mais aujourd'hui, c'est dans une autre ville, à Hong-Kong très
précisément, qu'il faut chercher les nouvelles figures du gratte-ciel du xxie
siècle. En effet, face à la croissance démographique très forte que connaît
l'ancienne colonie anglaise, les promoteurs et les architectes du territoire
sont entrain d'inventer un nouveau type de bâtiment associant densité, hauteur
et services, mais avec des formes originales. Chacun des nouveaux programmes de
gratte-ciel compte, en général, huit tours, de 40 à 50 étages (soit 3 500
logements), réunies à la base par “un podium” de deux hectares, regroupant, sur
trois ou quatre étages, aussi bien des terrains de sport, qu'une piscine avec
plage, un centre commercial, des parkings et des connexions directes avec le
métro, les tramways, voire les ferries si le bâtiment est au bord de la mer.
Des “châteaux forts” autarciques et totalement privés. L'originalité des
nouveaux gratte-ciel est à chercher dans la multitude des services offerts aux
habitants et dans le discours marketing qui accompagne leur commercialisation.
Les promoteurs ne vendent, en effet, pas tant des logements qu'un mode de vie
inspiré soit par les palaces anglais, le château de Versailles ou les Caraïbes
(voir photos). L'habitant est donc abordé, avant tout, comme un consommateur de
services, la valeur de l'appartement étant directement annexée aux services et
aux activités proposées au niveau du “podium”. Cette logique aboutit à une
guerre des “signes” assez surréaliste entre les différents programmes, chacun
des ensembles devant être porteur d'une thématique forte pour séduire les
populations à fort pouvoir d'achat. Qu'importe que les logements de 70 m2
abritent outre la famille, les grands-parents et les domestiques. Ce qui compte
pour les “nouveaux riches”, c'est la piscine, le centre médical, le
gardiennage…Bref, la “ville totale” au pied de l'immeuble. Si aujourd'hui, ce
type de programme paraît difficilement transposable en Europe, sous une telle
forme, il y a fort à parier, que d'ici quelques années, certains programmes de
logements seront vendus, en France, avec un discours pas forcément très éloigné
de celui développé au sud de la Chine.