Les médias pour enfants en pleine crise de croissance
Les médias destinés aux enfants se heurtent à deux grands problèmes les restrictions publicitaires, destinées à lutter contre l'obésité, et les débats sur la relation des petits aux écrans. Pourtant, l'offre n'en continue pas moins de s'étoffer.
Je m'abonneAvec 816500 bébés mis au monde l'an dernier, les Françaises détiennent le record de naissances en Europe. Ce chiffre, fourni par l'Insee, réjouira une nouvelle fois les professionnels de l'enfance en général, et des médias en particulier. Le bon renouvellement de cette jeune cible est, en effet, un gage pour l'avenir des titres, chaînes de TV, sites et autres médias qui sont de plus en plus nombreux à s'adresser à elle. «La vue d'un rayon en kiosque peut désarçonner, tant l'offre est large mais aussi disparate entre les magazines de qualité et ce qui ressemble parfois davantage à des filets garnis qu'à de la presse» constate Jean-Charles Lajouanie, directeur des rédactions de Disney Hachette Presse.
Les derniers-nés des magazines pour enfants se classent dans la première catégorie, car bien décidés à occuper une place pérenne sur le marché. Ils sont pour beaucoup issus du giron de Fleurus Presse. «Il n'y a pas un groupe qui ait lancé autant de nouveaux titres ces huit dernières années. Non seulement, Us existent toujours, mais sont des succès, indique Hervé De Langre, dg de l'éditeur jeunesse du groupe Le Monde. Ce sont à chaque fois des lancements à partir de concepts originaux, et non des renouvellements de gamme.» C'est le cas des P'tites Filles à la vanille, mensuel destiné aux 3-5 ans qui est venu compléter la collection pour filles déjà composée des titres Les P'tites Princesses (5-8 ans) et Les P'tites Sorcières (8-12 ans), diffusés chacun à 60000 exemplaires. C'est aussi le cas du bimestriel Les Zouzous, décliné de la série animée Debout les Zouzous programmée sur France 5. Diffusé à 60000 exemplaires, il vient de faire l'objet d'un hors-série à colorier consacré aux héros de Didou. «Cela va dans le sens de notre volonté d'intégrer des personnages forts, soit dans nos magazines comme nous l'avons fait avec Fred et Jamie de C'est pas Sorcier dans le Monde des Ados, soit dans des magazines dédiés», explique Hervé De Langre. Le prochain pourrait bien être consacré aux aventures de Oui-Oui, présent en kiosque sous forme de fascicule et qui, comme les Zouzous ou C'est pas Sorcier, est géré par France
Télévisions Distribution. «Nous souhaitons devenir un acteur du publishing avec des propriétés qui nous permettent d'affiner les coeurs de cible, confirme Franck Cymes, directeur des droits dérivés et des événements de France Télévisions Distribution. Nous réfléchissons ainsi au lancement d'un hors-série thématique autour de l'émission La cuisine est un jeu d'enfant.»
Hervé De Langre (Fleurus Presse):
«Nous voulons intégrer des personnages forts, soit dans nos magazines, soit dans des magazines dédiés.»
Jetix couronne... Jetix
- C'est Jetix qui a ouvert le bal des études cette année, en publiant mi-janvier son baromètre des tendances de consommation et style de vie des 7-12 ans. Cette cinquième vague a été conduite en novembre 2007 sur le site de la chaîne auprès de 620 filles et garçons abonnés et non abonnés. Dans la partie médias, la chaîne du groupe Disney tire une nouvelle fois son épingle du jeu en se classant numéro un des trois chaînes préférées des enfants, avec 62 % des voix, devant TF1 (32%) et Canal J (29%). Au-delà du tiercé gagnant figurent M6 (24%) et Disney Channel (23%). «Nous en avions listé 17 - généralistes et thématiques - et l'écart se révèle assez faible entre les deux tranches d'âge des 7-10 ans et des 11-12 ans qui sont segmentées dans l'étude», précise Delphine Du Crest, responsable des études de Jetix France. Le palmarès diffère, en revanche, selon le sexe. Le top 4 des garçons se compose, en effet, de Jetix (71%), Canal J (33%), TF1 (28%) et Cartoon Network (21%). Celui des filles de Jetix (43%), TF1 (39%), M6 (37%) et de Disney Channel (31%). Il diffère aussi entre les abonnés et les non abonnés à Jetix, et donc aux thématiques. Ces derniers, accros aux chaînes jeunesse, optent pour Jetix (87%), Canal J (33%), Disney Channel (29%) et Cartoon Network (23%). Numéro un des chaînes préférées, Jetix classe également, en toute logique, cinq de ses programmes en tête des 10 préférés des enfants interrogés (Pokémon, Totally Spies, Power Rangers, Pucca et Team Galaxy). A cette question ouverte, les enfants ont cité rien moins que 215 programmes 1 différents. Disney a décidément la cote auprès du jeune public sondé par Jetix, car à la question «parmi les journaux suivants, lesquels lis-tu?» 45% ont ( répondu le Journal de Mickey et 29% Picsou Magazine. Viennent ensuite Manga Kids (23%), Kid Paddle (21%), ou encore Mon Quotidien et Nintendo Mag (20% chacun).
Emmanuelle Guilbart (Lagardère Active):
«Le développement de programmes à destination de la famille devrait nous ouvrir de nouveaux débouchés.»
Dominique Ducasse (Jetix):
«Nous renforçons la présence de la chaîne sur Internet, via la VOD.»
«La réglementation aura un fort impact sur les chaînes enfants»
Interview croisée Les multiples restrictions en matière de publicité alimentaire mettent en péril l'équilibre des chaînes jeunesse. Comment y faire face? Les avis d'Emmanuelle Guilbart, présidente du pôle jeunesse de Lagardère Active et Dominique Ducasse, directrice générale adjointe de Jetix.
Marketing Magazine: Le 11 décembre, 11 poids lourds de l'agroalimentaire européens se sont engagés à ne plus diffuser de publicités en TV, presse écrite et sur le Web auprès des moins de 12 ans. Que pensez-vous des réglementations restrictives à la publicité pour l'alimentation des enfants?
E. Guilbart: C'est une solution totalement hypocrite dont on sait qu'elle ne réglera pas à elle seule le problème de l'obésité infantile. Cette question nécessite la mobilisation de tous les acteurs: des marques qui doivent fabriquer des produits moins gras, des médias qui doivent informer sur la nutrition comme nous le faisons déjà sur nos chaînes mais aussi des parents, des éducateurs, des mairies jusqu'aux commerçants qui peuvent développer les dégustations de fruits et légumes. Sans parler du fait qu'en diabolisant la nourriture, on fait le lit de problèmes comme l'anorexie. L'alimentation est à la fois un besoin et un moment de plaisir.
D. Ducasse: L'obésité infantile est un problème majeur auquel, bien sûr, nous ne pouvons pas rester insensibles. Mais cette réglementation l'aborde par le petit bout de la lorgnette, car les enfants sont sollicités par bien d'autres choses que la seule publicité dans leur environnement quotidien. Et il en va d abord de la responsabilité des parents.
Quelles en sont déjà les conséquences pour vos chaînes?
E.G.: Elles sont inquiétantes dans la mesure où cette interdiction peut remettre en cause le modèle économique d'une chaîne qui, comme Gulli, repose intégralement sur la publicité. Des annonceurs nous ont déjà quittés alors que cette chaîne est encore très jeune sur le marché. Notre chance est de ne pas être une chaîne enfants mais autour de l'enfance, qui s'adresse également aux parents. Mais ce qu'on oublie souvent de dire, c'est que les conséquences de cette réglementation touchent en fait toute une filière, car nos chaînes investissent énormément dans la production de séries d'animation françaises, un secteur en pleine évolution qui peut aussi être fragilisé.
D.D.: Nous subissons une forte réduction de nos revenus publicitaires car certains annonceurs ont renoncé à investir sur les tranches enfant. En effet, le problème ne se pose pas dans les mêmes termes pour les chaînes généralistes qui intègrent des cases jeunesse et les thématiques comme nous. Les généralistes contournent le problème en déplaçant les publicités sur d'autres créneaux d'audience à destination des seuls parents. Si la publicité reste, le message se transforme.
Comment comptez-vous pallier ce manque à gagner?
D.D.: Nous cherchons à développer d'autres marchés comme la distribution qui s'est ouverte à la publicité TV l'an dernier. Nous menons actuellement un certain nombre de réflexions. Mais nous nous concentrons d'abord sur le développement de la chaîne, en continuant d'être un acteur important de la production et en renforçant notre présence sur le Web, via la VOD.
E.G.: L'alimentaire représente environ 40% de notre chiffre d'affaires et, heureusement, seuls les produits gras sont visés par la réglementation. Nous nous appuierons aussi sur des secteurs comme le jouet - saisonnier mais fort - ou l'édition au sens large. Le développement de programmes à destination de la famille, qui sera encore plus visible dans la grille de septembre de Gulli, devrait aussi nous ouvrir de ^h nouveaux débouchés.
Presse: prudence sur le Net
Si le groupe Fleurus Presse marque sa différence par sa stratégie de lancements, il la montre aussi par sa réticence à s'étendre sur Internet.
«Le Web est pour nous un outil commercial d'aide à la décision pour les parents qui peuvent feuilleter nos titres, note Hervé De Langre. Mais nos magazines n'ont pas de sites de contenu, car il n'y a pas, à nos yeux, de modèles économiques dans la catégorie jeunesse où le marché publicitaire est extrêmement faible.» Le groupe devrait, en revanche, bientôt mettre en ligne des blogs destinés à créer un lien avec les rédactions. Chez Disney Hachette Presse, le département jeunesse s'apprête, de son côté, à passer à la seconde étape avec Witch. Le mensuel pour les filles, qui dispose déjà d'un blog, va lancer son site, le premier du pôle presse jeunesse de Disney et Lagardère Active. «Nous avons commencé par Witch, car il y a une interactivité évidente, notamment pour tout ce qui touche à une problématique «girly», déclare Jean-Charles Lajouanie. Il serait logique que Le Journal de Mickey soit le second titre à lancer son site, mais nous sommes encore circonspects.» Jusqu'à présent, le vaisseau amiral du pôle - 158500 numéros vendus chaque semaine et 95000 abonnés - s'est surtout concentré sur son contenu ainsi que sur les opérations spéciales destinées à développer sa visibilité. Il est ainsi partenaire de la Sécurité routière lors des départs en vacances, de la caravane du Tour de France, et organisateur d'un grand prix des lecteurs, «autant d'événements qui permettent d'allumer des contre-feux au départ de gros annonceurs de l'alimentaire», estime Jean-Charles Lajouanie. Car voilà, les restrictions réglementaires des publicités de marques alimentaires ne prédisposent pas les médias jeunesse à jouer les aventuriers du Net ou d'ailleurs. Bayard Presse, qui a mis du temps à se remettre des échecs passés, repart ainsi prudemment sur de nouvelles bases. «Nous sommes allés trop vite avec des ambitions trop fortes, glisse Pascal Ruffnach, directeur de Bayard Jeunesse. Notre nouveau programme concerne aujourd'hui la petite et toute petite enfance, une population que nous connaissons bien. Il s'agira surtout de sites payants basés sur la relation parents-enfants. Ils seront effectifs à la rentrée.» Cette cible des très jeunes est aussi regardée de près par les chaînes jeunesse, à l'instar de Tiji qui a lancé, en janvier, la nouvelle version de Tiji.fr. Le site de Lagardère Active est divisé en trois parties pour s'adapter à la fois aux petits jusqu'à 3 ans avec Tout P'Tiji, aux 4-7 ans avec Tout Tiji ainsi qu'aux parents avec une partie dédiée aux informations sur la petite enfance. Il intègre un service de vidéos à la demande. Les tout petits sont aussi choyés par TFou.fr, premier site jeunesse qui coiffe l'offre de TF1 et vient d'être complété par une web TV. Mais cet intérêt des médias audiovisuels est toutefois polémique. «Enfants, écrans, qui dévore qui?» s'interrogeaient, fin 2007, les participants à un colloque initié par Gulli en partenariat avec l'Unaf, Europe 1 et Télérama. Une question déjà posée à l'arrivée de BabyTV, et relancée avec la mise à l'antenne de la version française de la chaîne américaine Baby First. Diffusée sur CanalSat, celle-ci, s'adresse aux enfants de 6 mois à 3 ans. Elle leur propose des programmes courts destinés à participer à leur éveil. Dans une tribune publiée par Le Monde, fin octobre, trois pédopsychiatres et psychanalystes estiment qu'«il est urgent de se mobiliser pour la création d'un moratoire interdisant à de telles chaînes d'exister, avant que nous n'en sachions un peu plus sur les relations du jeune enfant et des écrans».
Pascal Ruffnach (Bayard Jeunesse):
«A la rentrée, nous allons lancer des sites payants basés sur la relation parents-enfants.»
Jean-Charles Lajouanie (Disney Hachette Presse):
«Nous allumons des contre-feux au départ de gros annonceurs de l'alimentaire.»
Elargir le champ des cibles potentielles
Cette mise en cause repose indirectement la question de la consommation TV par les enfants, ajoutée à la limitation du marché publicitaire. Elle amène donc les groupes audiovisuels à affiner leur offre pour élargir le champ des cibles potentielles. Disney propose ainsi, depuis la rentrée 2007, Disney Cinemagic, présentée comme la chaîne des grands succès Disney, complétée par Disney Cinemagic+ 1, qui permet de suivre les programmes avec une heure de décalage. Les familles peuvent y retrouver les grands films et séries d'animation du catalogue Disney et Disney Pixar.
Lagardère Active a, de son côté, repositionné Filles TV pour la dédier aux 15-24 ans et prioritairement aux 18-22 ans. «La population initiale des filles de 11- 14 ans est, en fait, moins bien identifiée par le marché, explique Michel Mimran, directeur marketing et commercial du pôle TV jeunesse de Lagardère Active. Les 18-22 ans sont, en revanche, une cible précieuse qui offre plus de possibilités aux annonceurs.» Le groupe a, par ailleurs, accentué le positionnement de Gulli, sa chaîne de l'enfance. Gérée en partenariat avec France Télévisions, celle-ci propose, depuis janvier, une offre élargie à des programmes dits «intergénérationnels». Elle a ainsi choisi de commencer par une carte maîtresse, celle de Plus belle la vie, série diffusée tous les jours depuis janvier. «Gulli montre désormais un double visage, axé sur les enfants dans la journée et familial à partir de 18h50, note Michel Mimran. La grille de fin de journée a été conçue pour avoir un fort impact sur cette nouvelle cible.» Un impact mis en avant, début février, par une campagne publicitaire en radio et en presse et dont les responsables de Gulli espèrent bien qu'il résonnera aussi aux oreilles des annonceurs.
Les médias font salon a Kid expo
- Rencontrer des sportifs et s'initier à certaines disciplines sous l'égide de l'Equipe Junior, retrouver l'ambiance des clubs de plage en plein automne avec le Journal de Mickey, participer au forum des métiers avec Okapi et Phosphore, ou encore à des émissions de Teletoon en direct... Les médias pour la jeunesse seront très présents lors de la 2e édition de Kid expo qui se tiendra du 31 octobre au 2 novembre prochains à Paris Expo, porte de Versailles. «Nous voulons refaire, sous une forme nouvelle, ce qu'était le Salon de l'enfance il y a dix ans, explique Sophie Desmazières, commissaire général. La première édition a accueilli 2y 000 visiteurs, nous en attendons 50 000 cette année.»