Les médias peinent à appréhender le phénomène 35 heures
Ils sont 9,7 millions, soit 38 % des actifs, à appartenir à cette nouvelle population que l'on baptise déjà joliment les "RTTistes". Une population émergente, mais déjà scrutée de près par tous les acteurs de l'univers de la consommation. Tous ou presque. Côté médias, si on commence à cerner qui consomme quoi chez les "RTTistes", l'impact réel des 35 heures est encore à préciser.
Le monde des loisirs au sens le plus large du terme a les yeux de Chimène
pour les "RTTistes". Et les loisirs culturels, catégorie dans laquelle on peut
ranger les médias, n'échappent pas à la règle. « L'impact des 35 heures sur la
consommation des médias, c'est une vraie bonne question à laquelle on ne
connaît pas encore de réponse, indique, par exemple, Jean-Bernard Ichac,
directeur adjoint de TF1 Publicité. Cela ne concerne aujourd'hui qu'une trop
petite minorité de la population active. On y verra nettement plus clair l'an
prochain quand toutes les catégories professionnelles vivront au rythme des
RTT. En ce qui concerne la télévision, il y a d'ailleurs un projet d'étude
interprofessionnel prévu sur le sujet. » Du côté de l'affichage, un média
pourtant concerné par les déplacements de population, on est tout autant dans
l'expectative. « Nous en sommes essentiellement au stade de la veille, explique
Florence Bureau, directrice du marketing de Dauphin Affichage. C'est un
phénomène qui n'est pas facile à prendre en compte dans le calibrage de nos
produits car nous sommes sur des flux très globaux.
Jean-Bernard Ichac (TF1 Publicité)
: "on y verra nettement plus clair
l'an prochain quand toutes les catégories professionnelles vivront au rythme
des RTT".
Nous ne souhaitons pas faire quelque chose de totalement gratuit, qui ne
reposerait sur rien. » Chez France-Rail, autre société du groupe Clear Channel,
son directeur général Pierre-Yves Lecharny cite comme élément tangible
l'allongement du week-end, qui se traduit par un trafic grandes lignes SNCF
accru dès le jeudi. « Mais, comme l'affichage se déroule sur une période d'une
semaine, il n'y a pas de motivation supplémentaire de consommation, sauf de
légitimer encore plus une campagne de cette durée et d'aider encore plus à
vendre l'audience des gares. » Si le sujet RTT n'en est encore qu'à ses
balbutiements dans les médias, on dispose déjà de quelques données propres à
l'éclairer. L'étude menée en exclusivité pour Marketing Magazine par OMD, dans
le cadre du questionnaire Snapshots, permet de dégager un certain nombre
d'éléments intéressants entre les attentes des gens et la réalité du temps
qu'ils consacrent aux médias (voir en page 72). La dernière étude Simm 2001 de
Sécodip apporte également quelques éclairages. On y apprend, par exemple, que
la consommation d'Internet est plus importante chez les bénéficiaires des 35
heures : 39 % d'entre eux se connectent au moins une fois par mois, contre 30 %
pour les actifs non RTTistes. Un bémol toutefois : cette surconsommation peut
être due aux 35 heures, mais s'explique aussi par le profil des actifs
bénéficiant des 35 heures qui sont en majorité des hommes, des urbains, des
20-49 ans. Toujours dans le domaine de l'audiovisuel, l'étude Simm note une
consommation télévisuelle qui semble commencer plus tôt dans l'après-midi en
semaine, dans la tranche 18h/20h. Une tendance qui concerne surtout les
personnes bénéficiant exclusivement d'heures de RTT. D'après Sécodip, ils sont
72 % à être présents devant leur petit écran en semaine dans la tranche 19h/20h
(44 % dans la tranche 18h/19h, contre 40 % pour l'ensemble des actifs). Un
constat que relativise là encore Jean-Bernard Ichac. « La consommation globale
de télévision continue d'augmenter en 2001, comme c'était déjà le cas les
années précédentes, ce qui d'ailleurs nous étonne. Mais, si c'est un peu grâce
aux 35 heures, il est difficile de savoir dans quelle mesure par rapport à
d'autres facteurs. » Plus évident est le rapport des RTTistes au cinéma dont
ils s'avèrent surconsommateurs. 19 % d'entre eux fréquentent les salles
obscures au moins une fois par mois, contre 15 % de l'ensemble des actifs. Un
pourcentage qui est encore plus important chez ceux qui bénéficient de jours de
congés (21 %, soit un indice de 138 par rapport à l'ensemble des actifs). Une
tendance positive pour ce média qui a le vent en poupe depuis l'an passé. « Le
nombre d'entrées dans les salles était déjà en progression de 8 % l'an dernier
et la fréquentation cinématographique continue de progresser sur les trois
premiers trimestres, confirme Eric Merklen, directeur du marketing de
Médiavision. Mais il est difficile de savoir s'il y a un lien avec les 35
heures, dans le sens où la pénétration est en hausse sur toutes les cibles. »
« En promotion, je travaille à la journée et je n'ai pas vraiment constaté
d'évolution notable les lundis ou vendredis », ajoute, de son côté, Servanne
Fouyer, responsable du département événementiel Médiavision Plus. Pour les deux
responsables de régie, la programmation, qui a su rencontrer son public, mais
aussi l'ouverture croissante de multiplexes (10 nouveaux depuis le 1er janvier,
15 autres prévus entre fin 2001 et juillet 2002) expliquent cette bonne forme
du cinéma. Une forme sur laquelle Médiavision Plus surfe commercialement avec
de nouveaux produits promotionnels. La personnalisation des salles, étendue
cette année à la pose sur les fauteuils d'appuis-tête aux couleurs des marques,
sera prolongée l'an prochain par des possibilités de personnalisation sur les
gobelets de pop corn. « Après le hall, la salle, les marques pourront toucher
les bars à confiserie, ce qui permettra de rebondir sur les annonceurs désireux
de toucher les jeunes », explique Servanne Fouyer.
Florence Bureau (Dauphin Affichage)
: "Nous en sommes essentiellement au
stade de la veille. C'est un phénomène qui n'est pas facile à prendre en compte
dans le
calibrage de nos produits car nous sommes sur des flux très globaux".
La surconsommation de cinéma de la part des RTTistes fait-elle les beaux jours
de la presse dédiée à ce média ? Là encore, pas si simple. Selon l'étude Simm,
dans le type de presse surconsommée par les salariés bénéficiaires des 35
heures figurent effectivement les titres de presse centrés sur le cinéma, mais
aussi l'évasion, la télévision et les city magazines. Une surconsommation que
Sécodip constate plus particulièrement, hors la presse télévision, auprès des
personnes bénéficiant, là encore, non d'heures, mais de jours de congés
supplémentaires et plus particulièrement de la part des CSP + et des actifs
sans enfants. Les surconsommateurs RTTistes de presse télévision appartiennent
plutôt à la catégorie des CSP - et, de façon moins marquée, aux foyers avec
enfants. En ce qui concerne la presse cinéma, si l'on compare ces éléments aux
résultats d'audience de la dernière livraison AEPM, qui analyse l'ensemble du
lectorat de la presse magazine, on constate que Première accuse un recul
d'audience de 5,7 %, Studio Magazine de 0,5 %, tandis que Ciné Live est le seul
à progresser de 5,8 %. « Globalement, le marché des trois titres qui se sont
répartis ce secteur reste stable, alors qu'il aurait dû progresser avec son
public, confirme Patrick Mahé, directeur de la rédaction de Première. Même si
les gens peuvent être informés ailleurs, dans les quotidiens, les magazines, à
la télévision ou à la radio, il faut se poser la question de savoir pourquoi un
grand nombre de gens qui aiment le cinéma ne lisent pas les magazines qui lui
sont dédiés. » A la tête du titre depuis trois mois, Patrick Mahé planche sur
une orientation de Première vers « un journal de cinéma moins hermétique, plus
dans la vie, ouvert à des sujets de société, comme nous l'avons fait récemment
en traitant du terrorisme à Hollywood, par exemple », explique-t-il. Si les
titres de loisirs sont globalement en questionnement par rapport à l'impact des
35 heures sur leur audience, certains affirment surfer sur cette vague qu'ils
jugent porteuse. Idéat, lancé en 1999, est de ceux-là. Le bimestriel se
revendique comme un magazine "lifestyle", qui marie décoration, mode et culture
à destination des 30-40 ans, CSP + "qui ne se reconnaissent plus dans les
magazines art de vivre traditionnels" (sic). « Les 35 heures sont plus qu'une
incidence, nous avons créé Idéat pour répondre au développement des loisirs qui
en découle », affirme Laurent Blanc, directeur de la rédaction et créateur du
titre. Répondant à un lectorat « qui est assez piqué du magazine, même si nous
ne sommes pas à la hauteur des grands du secteur », dit-il, Idéat a évolué
depuis sa création vers plus d'actualité tourisme et culturelle. Il se prépare
déjà pour sa prochaine étape, le passage à la périodicité mensuelle, prévue
initialement début 2002 et reportée au dernier quadrimestre de l'an prochain, «
pour cause d'effet 11 septembre ». Parmi les autres titres de presse créés
pour coller au nouveau temps libre des Français, on peut également citer le
mensuel Bon Voyage d'Hachette Filippacchi, né en mai 2000. « C'est
effectivement autour de l'idée d'anticiper les besoins de la nouvelle
génération des 35 heures que j'ai proposé le concept au comité éditorial du
groupe, raconte Patrick Mahé, directeur de la rédaction. Un concept qui se veut
différent des autres magazines de voyages par sa ligne éditoriale axée sur la
description pratique de voyages réalisés "dans les conditions de Monsieur Tout
le monde", loin du catalogue où tout est toujours beau. » La base line du
magazine a d'ailleurs longtemps été "Génération temps libre". « Nous avons dû
en changer car des études de lectorat l'assimilaient étonnamment aux seniors »,
poursuit Patrick Mahé. Quoiqu'il en soit, Bon Voyage a visiblement rencontré
son public puisqu'il se vend aujourd'hui à 106 000 exemplaires. « Nous y
parlons à la fois des courts séjours, mais aussi des plus longs car, dans les
deux cas, si les gens ont plus de temps, ils ont toujours le même pouvoir
d'achat calculé au plus juste », précise-t-il. Une donnée budget que les
médias, comme les autres secteurs, auront effectivement à prendre en compte
lors de la généralisation des 35 heures. Comme le résume Pierre-Yves Lecharny,
« si effet 35 heures il y a, il est actuellement contrebalancé par l'effet
crise ».
RTTISTE, QUI ES-TU ?
Comme le note l'étude Simm 2001, menée par Sécodip en avril, mai et juin derniers, le profil des actifs aux 35 heures est avant tout masculin. Les hommes constituent, en effet, la majorité des RTTistes par rapport à l'ensemble de la population active, 62 %, soit un indice 115. On relève une surreprésentation des populations intermédiaires (24 % contre 19 % pour l'ensemble des actifs), des ouvriers (33 % contre 28 %) et une sous-représentation des employés. Ce sont essentiellement des urbains vivant dans des agglomérations de plus de 100 000 habitants (indice 118 pour l'agglomération parisienne). Si on les décortique par tranches d'âge, on constate en bonne logique une sous-représentation des tranches les plus âgées dans lesquelles se retrouvent les cadres dirigeants. A ce profil correspond en fait trois modes de réduction du temps de travail selon les négociations menées dans les entreprises. 3,4 millions de RTTistes bénéficient exclusivement d'heures en moins (35 % des actifs RTT). Ce sont en majorité des actifs CSP - (74 % d'entre eux sont des agriculteurs-exploitants, employés, ouvriers). 5,9 millions de personnes en RTT bénéficient exclusivement de jours de congés supplémentaires (61 % des actifs RTT). Dans cette catégorie figurent 52 % de CSP - et 48 % de CSP +. Enfin, 433 000 personnes bénéficient des deux systèmes (4 % des actifs RTT).