Les masculins ont convaincu le marché
La chasse à l'homme est ouverte depuis pas mal de temps sur bon nombre de marchés. Mais la nouveauté est que ce dernier se laisse de plus en plus volontiers attraper. Une évolution qui profite à la presse magazine qui surfe sur la vague de la “nouvelle masculinité”.
Je m'abonne
«Il y a quatre ans, on attendait ces magazines comme le Messie. Il y a
trois ans, on leur prédisait un échec total. Aujourd'hui, on peut dire que la
presse masculine s'est installée et entre dans une vitesse de croisière »,
analyse Annie-Paule Quéré, directrice des études marketing chez Interdeco
Expert. S'il est tout de même beaucoup trop tôt pour parler d'un marché
installé dans la maturité, on ne peut, en effet, nier le dynamisme de ce
segment de presse qui affichait une progression de diffusion de 11,5 % sur la
dernière période OJD. « C'est le fruit d'un vrai travail d'éducation, estime
Véronique Pican, directrice commerciale de Men'sHealth chez Axel Springer. En
1999, on avait un peu tous survendu des concepts de me too déclinés des marchés
anglo-saxons, alors que la France est un marché atypique. Aujourd'hui, les
hommes ont évolué, tant dans l'approche qu'ils ont de leur apparence
personnelle que dans leur rapport au travail et aux loisirs. » C'est cette
évolution qui a d'ailleurs amené cette famille à se baptiser un peu
pompeusement “presse de la nouvelle masculinité”. Sachant toutefois, comme le
reconnaît Anouk Diamantopoulos, directrice du groupe commercial du pôle
masculin d'Interdeco, « qu'il s'agit des mêmes hommes, mais qui se sont
simplement enrichis en sortant des valeurs d'émotion qu'ils avaient en eux. »
Des titres condamnés à évoluer
Quoi qu'il en soit, la
déclinaison de ces concepts différents des masculins traditionnels n'a pas
profité de la même manière à tous les titres. Avec plus d'un million de
lecteurs et une hausse régulière de sa diffusion, FHM est sans conteste le
grand vainqueur de la catégorie, si l'on met à part le cas Entrevue (encadré
p.39). Comme le résume Jean-Paul Lubot, directeur délégué d'Emap Attitude,
« FHM est non seulement leader des nouveaux masculins, mais c'est maintenant
un titre qui s'autofinance ». Selon Alexandre Dutreil, directeur d'édition, la
recette du succès tient à la connivence que le titre a su créer avec son
lectorat. « Nous avons déjà toiletté la maquette en 2002 et en 2003, et nous
apportons des changements chaque mois. Nous avons un lectorat jeune qu'il faut
constamment surprendre, car il se lasse très vite. »
Fort de son installation
sur le marché, FHM a également modifié son accroche publicitaire du didactique
“Un magazine typiquement masculin” au plus clin d'œil “FHM, le meilleur ami de
l'homme”. Une accroche jusqu'ici déclinée en affichage et radio et que l'on
retrouvera prochainement en TV. Le groupe Emap compte, par ailleurs, faire
profiter Max, tombé dans son escarcelle avec le rachat d'Excelsior, de la
puissance de FHM. « Nous allons développer des synergies entre les deux, non
pas des couplages qui tuent les prix, mais des actions conjointes qui
permettront de se positionner comme les experts des jeunes hommes », explique
Jean-Paul Lubot.
Le pôle Emap Attitude va également s'atteler à réaffirmer le
positionnement de “news sexy décrypteur de tendances” de Max. Effet d'annonce
ou pas, le groupe trouvera sur sa route Maximal dont l'éditeur Gérard Ponson
n'hésite pas à dire que « l'objectif est de battre FHM. On est dans un système
de clonage, sur deux créneaux identiques. J'espère atteindre 160 000
exemplaires vendus cette année et être numéro un du marché ensuite. » Le
mensuel a commencé par changer sa formule il y a un an. « C'est très dur
d'adapter un magazine américain, reconnaît Gérard Ponson. On a d'abord voulu
jouer le côté exception culturelle à la Française, mais on est revenu à du
“copier-coller” en investissant beaucoup sur l'écriture. » Selon Philippe
Bourbeillon, rédacteur en chef, le Maximal nouveau « doit persévérer sur la
voie de l'entertaintment, du sexy glamour et de l'info.»
Dans cet univers, où
les couvertures de magazines rivalisent de femmes plus dénudées et aguichantes
les unes que les autres, Men'sHealth fait un peu figure d'exception. Pas de
femme en Une, comme pas de publicité non plus pour les boissons alcoolisées
dans le magazine de la forme et du bien-être d'Axel Springer. Les hommes aux
tablettes de chocolat des couvertures de la première mouture ont toutefois été
remplacés par des people type Emmanuel Chain ou Jean Reno dans un souci de
proximité avec les lecteurs. Haut la pub Si tous expliquent que les Unes et
les sujets sexy sont incontournables quand on s'adresse aux hommes, ils
s'insurgent tout autant quand ces titres sont comparés à la presse de charme. «
C'est un combat d'arrière-garde », résume Alexandre Dutreil chez FHM. Il
n'empêche que cette référence ne facilite pas le travail des équipes
commerciales qui voient certaines marques du sélectif, par exemple, rechigner à
investir dans ces titres.
« Cette presse souffre toujours d'un certain nombre
d'a priori, reconnaît Anouk Diamantopoulos, qui gère notamment Entrevue et
Maximal. Entrevue, par exemple, est reconnu pour sa puissance, mais une partie
du marché fait encore un blocage d'image à son égard. Or, j'estime que c'est
presque une faute dans le sens où, pour bâtir un plan efficace destiné à
toucher les jeunes hommes, on doit pouvoir aller au-delà de cela. » Avec un
chiffre d'affaires en hausse de 11,40 % l'an dernier (53 094 millions d'euros)
et une pagination en croissance de 10,50 % (3 599,46 pages ), ces titres ont
toutefois de quoi faire des envieux parmi les membres de la famille presse
magazine qui voit sa pagination reculer de 2 %. « Même si nous ne sommes pas
sur des volumes comparables du fait de la jeunesse de ces masculins, c'est
réellement un marché très dynamique, confirme Eric Trousset, directeur
marketing du pôle investissements publicitaires de TNS Media Intelligence. Le
nombre d'annonceurs est également en hausse de 16 %, à 569 annonceurs, ce qui
tend à confirmer que la cible homme est devenue un véritable marché. »
L'univers de l'habillement et de la beauté sont ceux qui y investissent le
plus. Il sont encouragés en cela par l'évolution des comportements des hommes.
Selon l'étude Simm 2003, 39 % des hommes investissent aujourd'hui dans leur
apparence personnelle contre 18 % en 1995, et 65 % prennent soin de leur peau
contre 40 %. D'où le développement de rubriques beauté dans FHM ou la création
du Grand prix de la beauté masculine de Maximal, par exemple.
D'où également
l'étude quali que vient de lancer Interdeco Expert sur les marchés de
l'apparence personnelle au masculin. « Nous avons accueilli cette presse comme
un vecteur de communication supplémentaire qui nous aide à mieux cibler notre
plan plurimédia avance, par exemple, Alexis Vaganay, chef de marque Axe chez
Lever Fabergé. Dès le départ, la marque a fait le choix de s'adresser aux
jeunes hommes et n'avait pas forcément les supports pour les toucher. »
La
marque d'hygiène corporelle a eu d'autant moins de réticences à communiquer
dans cette presse que, comme le note Alexis Vaganay, « on a d'autant plus joué
le jeu que nous avions dès le départ préempté le territoire de l'humour et de
la sensualité. » Chez Beiersdorf, Agnès Aubert, responsable des achats médias,
reconnaît toutefois que si Nivea For Men investit dans ces titres, «nous
gardons toujours un œil sur la manière dont ils traitent les femmes, car Nivea
est d'abord une marque féminine et certains sont un peu sur la ligne jaune». Il
n'empêche que la marque, qui a investi l'an dernier 1,6 million d'euros brut en
presse (5,4 M E en TV), fait partie de celles de plus en plus nombreuses, qui
considèrent ces titres comme incontournables pour toucher leur cœur de
cible.
Qui sont les lecteurs de la presse masculine ?
Leur point commun est d'être en quête d'identité et à la recherche de repères propres à leur genre. Il s'exprime ensuite différemment selon les titres, comme le montre l'analyse sémiométrique dressée par le Panorama des Medias de TNS Sofres.
l Les lecteurs de FHM se caractérisent principalement par des valeurs de plaisir et de détachement. Ils sont en quête de plaisir sensoriel, ce qui passe par une sensualité omniprésente principalement exprimée dans la sexualité et vécue de manière, et une envie d'ouverture et de découverte associée au plaisir de prendre des risques.
Ce lectorat d'hommes jeunes fait, par ailleurs, preuve d'un sentiment de révolte et même de rébellion face aux règles qui régissent la société. Les valeurs d'ordre social et moral sont sous-notées, la famille ne fait pas rêver, qu'elle soit institutionnelle ou protectrice. Le travail, la productivité ne les séduisent pas, pas plus que la culture et la raison plus rejetées encore que chez l'ensemble de lecteurs de presse masculine. Cette posture globale de révolte s'accompagne d'un besoin de mettre en avant sa virilité. Elle peut induire un comportement agressif toutefois moins marqué que sur l'ensemble des lecteurs de ce type de presse.
Les lecteurs de Men'sHealth sont essentiellement tournés vers des valeurs de plaisir. Dans leur recherche de bien-être qui passe par les relations intimes, la sensualité et la sexualité sont au centre de leurs préoccupations et sont vécues avec légèreté. Ce sont des individus volontaires et ambitieux qui font montre d'un attrait pour la possession matérielle qui permet d'acquérir une certaine puissance. Ils ont la volonté d'aller de l'avant et de vivre des aventures, avec la part de risque que cela comporte. Ils ont, en revanche, une vision très critique de la société et surtout de ses valeurs traditionnelles et ont un comportement qui peut devenir conflictuel et entraîner un certain mal-être.
Les lecteurs de Max ont pour leur part des valeurs qui se situent à mi-chemin entre le plaisir et le détachement. Ils sont très fortement attirés par le plaisir sensuel accompagné d'une dimension émotionnelle et frivole. Opposé à tout raisonnement, ce lectorat refuse les valeurs de travail et surtout de pragmatisme, ainsi que le plaisir intellectuel. Il montre une forte opposition à l'ordre social, un rejet très fort des valeurs familiales et maternelles, une absence de compassion qui vont de pair avec un esprit révolté et un comportement agressif indissociable d'un sentiment de mal-être profond doublé d'un risque de repli sur soi.
Les lecteurs d'Entrevue se caractérisent quasi-exclusivement par des valeurs de plaisir. Comme les lecteurs des autres magazines masculins, le lectorat d'Entrevue a un penchant très affirmé pour la sensualité, non dénuée d'émotions et d'hédonisme. Cependant, la recherche de bien-être n'est pas au centre des préoccupations. En revanche, ils se différencient des autres lectorats par la recherche de lien social, lié à l'aspect people du magazine.
Bien que davantage tournés vers autrui que les lecteurs des autres masculins, les lecteurs d'Entrevue s'opposent autant aux règles sociales, religieuses et à toutes formes d'autorité. Ils sont en effet dans la révolte. Les valeurs concrètes de travail et de productivité sont rejetées, car celles-ci n'apportent pas de plaisir immédiat et sont vécues comme une entrave de plus à la liberté. Le monde des idées ne les séduit pas davantage. Le mal-être qui découle de cette posture d'opposition est cependant peu agressif.
Une autre manière de parler aux hommes
Les lecteurs de FHM se caractérisent principalement par des valeurs de plaisir et de détachement. Ils sont en quête de plaisir sensoriel, ce qui passe par une sensualité omniprésente principalement exprimée dans la sexualité et vécue de manière, et une envie d'ouverture et de découverte associée au plaisir de prendre des risques. Ce lectorat d'hommes jeunes fait, par ailleurs, preuve d'un sentiment de révolte et même de rébellion face aux règles qui régissent la société. Les valeurs d'ordre social et moral sont sous-notées, la famille ne fait pas rêver, qu'elle soit institutionnelle ou protectrice. Le travail, la productivité ne les séduisent pas, pas plus que la culture et la raison plus rejetées encore que chez l'ensemble de lecteurs de presse masculine.
Cette posture globale de révolte s'accompagne d'un besoin de mettre en avant sa virilité. Elle peut induire un comportement agressif toutefois moins marqué que sur l'ensemble des lecteurs de ce type de presse. Les lecteurs de Men'sHealth sont essentiellement tournés vers des valeurs de plaisir. Dans leur recherche de bien-être qui passe par les relations intimes, la sensualité et la sexualité sont au centre de leurs préoccupations et sont vécues avec légèreté. Ce sont des individus volontaires et ambitieux qui font montre d'un attrait pour la possession matérielle qui permet d'acquérir une certaine puissance. Ils ont la volonté d'aller de l'avant et de vivre des aventures, avec la part de risque que cela comporte.
Ils ont, en revanche, une vision très critique de la société et surtout de ses valeurs traditionnelles et ont un comportement qui peut devenir conflictuel et entraîner un certain mal-être.
Les lecteurs de Max ont pour leur part des valeurs qui se situent à mi-chemin entre le plaisir et le détachement. Ils sont très fortement attirés par le plaisir sensuel accompagné d'une dimension émotionnelle et frivole. Opposé à tout raisonnement, ce lectorat refuse les valeurs de travail et surtout de pragmatisme, ainsi que le plaisir intellectuel. Il montre une forte opposition à l'ordre social, un rejet très fort des valeurs familiales et maternelles, une absence de compassion qui vont de pair avec un esprit révolté et un comportement agressif indissociable d'un sentiment de mal-être profond doublé d'un risque de repli sur soi.
Les lecteurs d'Entrevue se caractérisent quasi-exclusivement par des valeurs de plaisir. Comme les lecteurs des autres magazines masculins, le lectorat d'Entrevue a un penchant très affirmé pour la sensualité, non dénuée d'émotions et d'hédonisme. Cependant, la recherche de bien-être n'est pas au centre des préoccupations. En revanche, ils se différencient des autres lectorats par la recherche de lien social, lié à l'aspect people du magazine.
Bien que davantage tournés vers autrui que les lecteurs des autres masculins, les lecteurs d'Entrevue s'opposent autant aux règles sociales, religieuses et à toutes formes d'autorité. Ils sont en effet dans la révolte. Les valeurs concrètes de travail et de productivité sont rejetées, car celles-ci n'apportent pas de plaisir immédiat et sont vécues comme une entrave de plus à la liberté. Le monde des idées ne les séduit pas davantage. Le mal-être qui découle de cette posture d'opposition est cependant peu agressif.
Le cas Entrevue
l « Ce serait dommage que l'on ne croit pas à la télévision étant donné que l'on vit de la télévision », lance Gérard Ponson, éditeur d'Entrevue. Rien d'étonnant donc à ce que le magazine de “décryptage de la TV” ait fait sa pub du 22 janvier au 8 février dernier sur les écrans de TF1 et Canal +. Un investissement de 371 000 E brut pour 22 spots destinés à soutenir une autre première, celle de la vente de 750 000 exemplaires d'Entrevue à son prix normal (3,30 E) et de 150 000 exemplaires vendus 9,90 E avec en prime le DVD de La vérité si je mens 2. « Si ça marche, c'est-à-dire si on vend un minimum de 100 000 exemplaires, on recommencera l'opération en mars en la soutenant de la même manière », déclare, Gérard Ponson.
Cette campagne TV avait également pour objectif de soutenir le changement de maquette du titre qui s'est hissé à la première place des ventes de mensuel. A la fois à part et totalement ancré dans l'univers des masculins, salué par les Etoiles de l'OJD 2003, Entrevue engrange, en effet, régulièrement les succès d'audience et de diffusion. Le lancement de la “DVDtéque Entrevue” est dans la droite ligne de la stratégie entamée avec les hors-séries l'an dernier. « Nous nous sommes aperçus que nous étions une marque forte et que nous pouvions la décliner », note, amusé, Gérard Ponson.
Dominique Lévy, directrice du département TNS Sofres Média : Une notoriété qui reste à construire
On parle de presse masculine ou de la “nouvelle masculinité”. Comment cette catégorie de presse est-elle ressentie par les hommes ?
D.L. : C'est un discours d'éditeurs, mais les hommes ne perçoivent pas les choses de la même manière. Quand on les interroge sur ce qu'ils mettent dans cette catégorie de presse magazine, ils parlent avant tout de ce qu'ils aiment lire, de titres à centres d'intérêt comme l'automobile, la photo/ciné/son, le sport, mais intègrent aussi Entrevue et l'Echo des Savanes. Cela donne, en fait, une mosaïque qui finit par constituer un vrai réservoir de lecture masculine. Concernant les titres dits de la nouvelle masculinité qui sont apparus il y a trois-quatre ans, on est sur une notoriété qui reste à construire, même auprès des jeunes hommes. Les études d'image montrent également que c'est une lecture que les hommes assument peu en public, ce qui n'est pas le cas d'Entrevue dont la force est de passer pour un magazine de décryptage. En revanche, cette presse a su se rendre quasi incontournable sur le marché publicitaire.
Ces titres ont–ils pris des lecteurs aux masculins classiques ?
D.L. : Non, on est encore sur du potentiel, pas sur de la cannibalisation. Il s'agit plus d'un nouveau lectorat d'hommes jeunes qui sont venus à la presse magazine à travers ces titres. Ce type de presse correspond à un moment de vie particulier où ils se posent des questions sur la manière d'exprimer leur identité d'homme, de développer leur séduction, de vivre leur sexualité, etc. L'enjeu est d'en faire un réflexe de lecture, d'évoluer comme l'a fait la presse féminine en basculant d'une offre de services à une offre de divertissement.
Les demandes que vous font les éditeurs vont-elles dans ce sens ?
D.L. : Elles sont significatives d'une maturité plus grande des titres, car on est dans un discours de valorisation et non plus d'explication. C'est vrai pour l'éditorial où les demandes sont plus dans une logique d'affinement des positionnements que dans le fait de savoir qui sont les lecteurs. C'est également vrai au niveau publicitaire où l'objectif est de démontrer une expertise sur des comportements ou des marchés masculins.
Comment voyez-vous évoluer ce marché ?
D.L. : Le souci de cette presse est d'être constituée d'un certain nombre de titres axés sur la même promesse avec ensuite une ligne éditoriale plus ou moins robuste. Je pense qu'il manque une offre qui ne soit ni de la presse à centres d'intérêt, ni de la presse de charme, une presse axée sur les questions que se posent une cible d'hommes plus âgés, une sorte de Psychologies au masculin.