Les marchés font place Net
Comme tout village qui se respecte, le cybervillage planétaire a sa place de marché. Ou plutôt "ses" places de marché, car chaque semaine apporte son lot de créations, spécialement en B to B, où l'explosion de ces derniers mois augure d'une révolution des moeurs. Dominique Beaulieu, président fondateur d'Affiniteam, retrace le parcours de ces incontournables modes de fidélisation B to B.
Comment personnaliser la relation en B to B à une autre échelle que les
relations face à face ? Comment amplifier un phénomène de consommation en
tissant des liens communautaires entre ses clients ? Qu'est- ce qui pousse les
ennemis d'hier à s'allier pour mutualiser ce qui aurait paru névralgique, il y
a un an seulement ? Un nouveau mode d'intermédiation électronique redéfinit
les relations au-delà des clivages fournisseur-client. L'enjeu : mieux
contrôler ses achats pour mieux contrôler ses clients. Après avoir cultivé de
simples relations bi-directionnelles de vendeur à acheteur, les fournisseurs se
muent en partenaires de leurs clients, et organisent les transactions
interactives entre "n" acteurs.
Qu'est-ce qu'une place de marché ?
Bien sûr, il manque les bruissements, les senteurs, la gouaille
des commerçants ambulants des marchés provençaux. Mais, comme dans le monde
réel, il s'agit d'un espace, régi par une autorité reconnue, qui organise les
relations entre marchands et acheteurs potentiels. Des emplacements réservés
moyennant une redevance au placier, des places de stationnement communes, le
même papier d'emballage. L'analogie s'arrête là. Les catalogues sont
électroniques et l'audience planétaire. Une place de marché est une plate-forme
technologique régissant et supportant les relations commerciales entre
adhérents : sélection de fournisseurs, appels d'offres, gestion des commandes,
acheminement, facturation (avec groupage entre fournisseurs), paiement (avis de
crédit/débit, compensation bancaire), suivi statistique. Un EDI (Echange de
Données Informatisé) ouvert, universel et généralisé. En B to B souvent,
acheteurs comme vendeurs doivent montrer patte blanche avant d'y accéder, et
s'acquitter d'un pourcentage sur les transactions. On distingue : - les
places de marché verticales (type Chemconnect en chimie ou Néoforma en
fournitures médicales), lorsque des concurrents s'associent pour faire baisser
le coût de leurs approvisionnements. L'exigence croissante de réactivité face à
une demande très évolutive les pousse à contrôler toujours plus en amont leurs
fournisseurs ; - les places de marché horizontales (type France Télécom) : ce
sont des galeries marchandes génériques agrégeant l'offre de fournisseurs
certifiés, à prix prénégociés.
La nouvelle vague
On ne
sait plus comment orthographier boo.com tant le séisme provoqué par la faillite
de cette société a transformé son nom en interjection pour effrayer la
communauté des capitaux risqueurs. Ces derniers, après avoir fait les yeux doux
au B to C, n'ont désormais de regard que pour le B to B. Et les perspectives ne
leur donnent pas tort ! A lui seul, le commerce électronique B to B mondial
représentera, selon IDC, 1 600 milliards de francs en 2002, pour une activité
totale de 2 000 milliards de francs.
Pourquoi maintenant ?
En six mois, des dizaines de plates-formes électroniques ont
fédéré les géants du monde traditionnel, tous secteurs confondus. Les
fournisseurs prennent une envergure mondiale, sollicitent des partenaires
au-delà des frontières, servent désormais leurs clients à l'échelle planétaire.
Plusieurs motivations justifient leur empressement. - Les acheteurs Pour
certains, il s'agit de maîtriser le coût des approvisionnements. On différencie
les achats hors production (dits "e-procurement" : PC, crayons... Des commandes
de 1 000 francs en moyenne dont le traitement est estimé à 700 francs) des
achats stratégiques, lorsque le coût des matières premières a une répercussion
sur le prix du produit fini. Selon Jean-Jacques Triboulet, responsable
marketing B to B chez Oracle France, Ford se serait adjugé aux enchères, en
neuf heures, et pour 78 millions de dollars, un stock de pneus habituellement
évalué à 100 millions de dollars. Ces acteurs, sous observation de la
commission anti-trust américaine, se défendent de vouloir massifier leurs
achats pour écarter tout soupçon d'entente illicite. - Les communautés de
fidélisation Pour les banques, l'enjeu consiste à éviter la désintermédiation
sur les transactions financières. Attaqués sur leur créneau, les banquiers
étendent leurs prestations traditionnelles en organisant les relations entre
leurs entreprises clientes. La victoire appartiendra à celui qui, le premier,
maîtrisera les trois catégories de flux reliant acheteurs et fournisseurs :
informationnel, physique et financier. Les flux informationnels, numériques
donc téléchargeables, sont les plus menacés par les nouveaux entrants :
produits financiers, éditorial, musique, livres ou logiciels. Des réseaux
privés parallèles de compensation, les ECN (Electronic Compensation Network),
court-circuitent déjà le Nasdaq ou NYSE. Seule défense : comprendre que le
client représente un actif. Fool.com a pris le contre-pied des acteurs
traditionnels : cette communauté d'investisseurs privés revend les informations
comportementales globales de ses adhérents, justifiant 100 salariés servant des
clients qui accèdent à un service gratuit.
Les intégrateurs/facilitateurs
Les fournisseurs deviennent des
partenaires globaux et fédèrent l'ensemble des services ajoutés qui peuvent
concerner l'entreprise. « Pour un directeur marketing, les places de marché
permettent de dépasser la vision traditionnelle du marketing (segmentation,
ciblage), elles traduisent une nouvelle vision du marché et des modèles
économiques, précise Ivan Grenetier, associé de Valoris, directeur du marché
banque. On ne donne plus seulement son produit à distribuer, on partage son
savoir-faire, même avec ses concurrents. On associe dans une même structure
tous les acteurs d'un processus de vente, plutôt que de les laisser négocier en
cascade des marges successives qui seront répercutées au client final. Cela
oblige à remettre à plat toute la chaîne de valeur, à clarifier et quantifier
l'intérêt et la contribution de chacun : fabricants, distributeurs,
prescripteurs, partenaires, tous candidats à divers systèmes d'incitation au
succès. » Les bénéfices ? Olivier Houri, directeur du développement e-business
de Cap Gemini, voit un cercle vertueux pour le marketer : « La maîtrise des
coûts (process et produits), n'aura pas d'impact baissier sur les prix.
L'amélioration des marges, en libérant des capacités capitalistiques, procurera
une meilleure réactivité par rapport au marché. De leur côté, les fournisseurs
récupèreront la baisse de leurs tarifs par une chute de leurs propres coûts,
due à l'envergure des marchés et l'ancrage dans la durée des relations avec des
clients d'envergure mondiale. » CPG permettra, par exemple, à Nestlé et Danone
de gérer en commun un stock de pièces détachées pour leurs parcs respectifs de
machines à embouteiller. En mutualisant leurs achats, ils limitent leurs
sources d'approvisionnement à des contrats cadre négociés au niveau mondial.
Ils traquent les derniers coûts qui entravent la chaîne d'approvisionnement. Le
coût administratif d'une commande, qui oscille aujourd'hui entre 300 et 1 000
F, devrait passer à moins de 100 F. Daniel Bernard annonce des économies de 20
% sur l'ensemble des coûts liés aux achats sur GlobalNetExchange (GNX), ce qui
est crucial pour la distribution, qui affiche 20 à 40 % de son chiffre
d'affaires en achats de fonctionnement.
Et après ?
On
parle de B to X pour caractériser cette migration du commerce vers un échange
(Xchange) généralisé. Selon le Gartner Group, 20 milliards de dollars devraient
transiter par les "market makers" dès 2002. Les places de marché représentent
indéniablement une nouvelle donne pour les fournisseurs, condamnés à jouer le
jeu en s'acquittant d'un ticket d'entrée : mise aux normes des procédures,
prépondérance du prix par rapport au marketing. En bousculant les modes de
distribution, les nouveaux entrants poussent les distributeurs traditionnels à
adopter Internet. Mais le marché se cherche encore : beaucoup d'effets
d'annonce, des places en gestation qui, à peine créées, commencent à fusionner.
Les investissements se chiffrent en centaines de millions de francs, mais peu
d'élus surnageront. Chaque secteur vertical va s'organiser autour de quatre
places de marché mondiales, probablement fédérées par des places de marché
horizontales avec lesquelles elles cohabitent déjà (I2 concentre les appels
d'offres de plusieurs places de marché sur son portail). L'élément fondamental
d'aujourd'hui, la brique technologique, sera relégué au second plan pour faire
place à la relation et au service. Car si le mode d'achat et de distribution
est bel et bien bouleversé, Internet ne remplacera pas le besoin en relations
complémentaires par des canaux plus traditionnels : face à face, centres
d'appels.
Les market plaisent : principales initiatives
Les éditeurs de logiciels
- Commerce One (MarketSite), Ariba Network, I2, Microsoft, SAP (MySAP.com), Oracle (Xchange). Ces éditeurs de logiciels se sont transformés en opérateurs autour de leurs propres places de marchés.
Les consortiums bancaires
- la Dresdner Bank (Allago) compte regrouper, d'ici fin 2000, 10 000 PME-PMI enregistrées, pour un chiffre d'affaires mensuel de 3 millions de DM. A ce rythme, elle devrait atteindre son seuil de rentabilité en 8 semaines seulement. - Société Générale, BNP, Crédit Agricole avec Cap Gemini Ernst & Young. - Barclays (à destination des PME/PMI) avec Oracle. - BBVA (Banco de Bilbao) avec Ariba. - la Société Générale, BSCH, Royal Bank of Scotland, San Paolo et Commerzbank ont annoncé le 28 juillet "un magasin virtuel multicontributeur, multiproduit et multimarque" à destination des entreprises. - Deutsche Bank : concept grid (littéralement : le quadrillage) avec SAP. - projets en préparation dans d'autres grandes banques françaises.
Les Produits de Grande Consommation
- Danone, Nestlé et Heinkel (CPGmarket.com, avec SAP). Patrick Dewuls, directeur des Systèmes d'Information de Danone, confesse que « cette perspective n'était pas à l'ordre du jour, il y a un an seulement ».
La Grande distribution
- WWRE (Worldwide Retail Exchange) représente à ce jour la plus importante place de marché virtuelle du monde, totalisant 340 milliards d'euros, 100 000 fournisseurs potentiels, à destination de plus de 30 000 points de vente à cheval entre les Etats-Unis et l'Europe. Les 11 enseignes membres : Albertsons's, Auchan, Casino, CVS, Kingfisher, K-Mart, Marks & Spencer, Royal Ahold, Safeway, Target et Tesco, rejointes par le distributeur de produits pharmaceutiques américain, Walgreen, et Cora. - Carrefour et Sears (GlobalNetExchange), rejoints par Krugger, Metro et Sainsbury.
Les services au public
- General Electric a fait chuter de 70 % les coûts de traitement d'une commande, économisé 20 % sur le poste achat et réduit de 3 semaines à 10 jours le temps d'achat moyen.
Les constructeurs automobiles
- Ford avec Oracle (AutoXchange), General Motors avec I2 et commerce One (TradeXchange regroupe 30 000 fournisseurs) s'allient à Daimler-Chrysler. - Renault-Nissan et Volkswagen. - Fiat (FastBuyer).
La construction aéronautique
- Boeing, United Technologies, rejoints par EADS (ex-Airbus), avec Commerce One.
Les consortiums des télécommunications
- MCI Worldcom fédère 150 fournisseurs avec Ariba. - France Télécom, avec Télécommerce. - Cegetel et le groupe Banques Populaires lancent Puissance Net. - Nortel Networks (E2Open), avec IBM et Matsushita Electric Industrial, prévoit d'acheter 5 milliards de dollars par an fin 2000, en faisant chuter de 15 % leurs coûts logistiques.
Les transporteurs
- Air France travaille avec un consortium de compagnies aériennes à une place de marché B to B répondant au nom de code de AirNewco.
Les intégrateurs de services
- marketo, achatpro, e-questo ou mondus (PME/PMI) : on trouve aujourd'hui plus de portails de ce type (mise en relation) que de véritables places de marché (organisation de la transaction).