Les larmes d'Eros et le rire de Thanatos
Sous couvert de modernité, un marketing des perversions s'est-il mis en oeuvre ? Et si les débauches actuelles de voyeurisme et d'exhibitionnisme, en témoignaient ? Le choix se partage entre suivre le sens du courant et se condamner à une surenchère morbide ou imaginer d'autres voies plus érotiques. La lutte entre Eros et Thanatos bat son plein. Petit catalogue des symptômes à succès.
Les délectations moroses sont à la mode. "La Vie sexuelle de Catherine M.",
le livre de son mari Jacques Henric, où elle est photographiée nue dans des
espaces publics ; les vidéos de l'artiste Pierrick Sorin qui révèlent les
détails intimes de sa vie quotidienne à la Fondation Cartier... Mais,
pourrait-on objecter, ces manifestations ne touchent pas un public de masse. Il
faut faire une démarche volontaire pour y accéder. Ce qui n'est pas le cas de
certaines campagnes publicitaires, et notamment celles des marques de luxe. Des
marques qui, pour faire voler en éclat leur image bourgeoise, donnent à voir
des fantasmes échappés d'une psychopathologie sexuelle. Cambouis et ecchymoses
pour Dior, sadomasochisme pour Gucci et Ungaro. Sans compter certains défilés
de mode qui arborent des mannequins entravés parés de maquillages inspirés d'un
service des urgences. Ces représentations vont-elles devenir les fleurons d'une
esthétique mise à mal ? Comme si un parfum de mort flottait sur l'univers de la
consommation essoufflé par ses frénésies. Mais, comme l'expliquait Jean
Baudrillard (1), « L'inverse de l'intime n'est pas le public, c'est le
publicitaire. Dans ce monde refait "à l'image de", il y a des images mais pas
d'imaginaire ; le secret et la scène sont perdus. Nous sommes là en pleine
hallucination des choses. » Et ces images, pour maintenir l'hallucination,
exposent leurs signes de refus de l'intériorité. Les codes de la pornographie
infiltrent l'ensemble de la société. Le marché du sexe et le commerce des
affects sont florissants. Le chiffre d'affaires de l'industrie pornographique
est sous-estimé à 2 milliards de francs minimum. Chaque année, quatre millions
et demi de cassettes pornos sont vendues. Elles représentent 27 % des locations
des vidéoclubs. Et la télévision, toutes chaînes confondues (2), diffuse
quatre-vingt-dix films porno chaque mois. Plus inquiétant encore, Denise
Stagnara auteur de "Aimer à l'adolescence" (3) a découvert que la moitié des
garçons d'une classe de CM2 (10-11 ans) avaient déjà regardé un film porno et
qu'ils en connaissaient bien les actrices. La conquête de parts de marché
va-t-elle devoir passer par l'utilisation des codes du porno comme le fait déjà
une certaine publicité ? Dans le monde ripoliné des médias, la réalité est
parfois difficile à accepter. Aujourd'hui, les femmes deviennent de plus en
plus exigeantes sur la qualité de leurs relations avec les hommes et veulent
choisir leur sexualité, comme l'explique le psychiatre Antoine Malarewicz dans
"Repenser le couple" (4). L'étalage de la pulsion de mort et de la misogynie
ont fait long feu. En se posant la question "qu'est-ce qu'être un homme ?
qu'est-ce qu'être une femme aujourd'hui ?", il serait urgent de réérotiser la
société pour éviter les errances actuelles. Déjà certaines approches marketing
qui s'attachent à la multisensorialité sont prometteuses. (1) In L'Intime.
Editions Autrement. (2) Voir Le triomphe du voyeurisme in L'Express n° 2600, du
3 au 9 mai 2001. (3) Editions Dunod. (4). Editions Robert Laffont.