Les gratuits à l'épreuve du quotidien
Levée de boucliers, déclarations enflammées. L'arrivée des quotidiens gratuits est devenue une affaire d'état. Une bataille entre anciens et modernes qui, au final, sera arbitrée par le marché publicitaire. Pour l'heure, attentiste.
Je m'abonne
Pays de l'exception culturelle, la France ne déroge pas à sa réputation.
Qui aurait pu imaginer que le lancement des quotidiens gratuits, pourtant
annoncé, allait mettre le feu au marché ? Un marché qui, jusqu'à présent, a
laissé peu de place aux gratuits et à une information mâchée. « L'histoire
récente, et notamment l'arrêt prématuré d'Infos Matin, a montré que les
quotidiens dont le contrat de lecture est essentiellement axé sur une lecture
rapide et peu impliquante n'ont pas trouvé leur place sur le marché », note
Virginie Jambry, directrice du département presse Media Planning de MPG. Et de
rappeler que les Français n'ont toujours pas acquis une vraie culture de la
presse quotidienne. Et pour cause, son coût d'accès, et plus particulièrement
celui de la PQN, reste élevé. Résultat : les jeunes et les femmes boudent les
quotidiens. Or ces deux cibles sont précisément celles du Suédois Métro et du
Norvégien 20 Minutes. Visées communes donc, mais méthodes et moyens différents.
Parti à la conquête du marché hexagonal après avoir conclu un accord
d'impression avec France Soir, Métro, qui a reçu à Marseille l'autorisation
d'installer des présentoirs, doit à Paris se contenter d'une distribution par
colportage. Un système qui pèche sérieusement dès qu'il s'agit de qualifier
l'audience. « Outre la faiblesse du contenu, nous n'avons aucune certitude sur
l'audience du titre, poursuit Virginie Jambry. Par ailleurs, on nous dit que le
coeur de cible sont les 18-35 ans, qui sont effectivement des habitués des
transports en commun, mais Métro est distribué sur la voie publique et non pas
dans le métro. » Pour contourner cet obstacle, 20 Minutes a conclu dans la
capitale un accord de distribution avec France Rail Publicité. Le titre, dont
le lancement officiel n'a pas encore eu lieu à l'heure où nous mettons sous
presse, sera mis à disposition du public dans les gares franciliennes qui
accueillent chaque jour quelque 2 millions de voyageurs. « L'accord que nous
avons conclu avec 20 Minutes ne porte que sur une partie de la diffusion. 200
000 exemplaires seront distribués dans les gares, l'autre moitié dans la rue,
indique Daniel Cukierman, président de France Rail Publicité. Nous allons bien
sûr partager avec le titre notre batterie d'études de trafic, de qualification
de l'audience, mais les résultats ne porteront bien évidemment que sur la
moitié de la diffusion totale. »
La crainte du dumping
Ce partenariat commercial avec France Rail Publicité
complète les engagements pris en France par le groupe norvégien. Alors que
Metro International s'est lancé dans une bataille sans autre soutien que celui
de France Soir, lui-même en danger sur le marché, Schibsted/20 Minutes Holding
s'est associé pour cette aventure à Spir Communication et à son actionnaire de
référence Sofiouest. Ensemble, ils ont donné naissance à 20 Minutes France,
société dotée d'un capital de 35 M€. Ce qui devrait lui permettre de prendre le
temps d'installer le concept. Et d'éviter le recours à des pratiques
commerciales qui risquent de fragiliser un marché publicitaire déjà malmené.
Distribués gratuitement, ces quotidiens, qui supportent des frais fixes de
structure, n'ont en effet qu'une source de revenus : la publicité. La tentation
peut être grande d'avoir recours au dumping publicitaire. « Metro nous a
présenté des tarifs standards. Il y a peu de négociations à la page, en
revanche, l'espace acheté donne droit à de l'additionnel gratuit. Cela étant,
en phase de lancement, cette pratique est courante. D'autant que le prix ne
fait pas à lui seul la décision, nous ne sommes pas là pour acheter au kilo »,
explique Virginie Jambry. Si dans les agences conseil, l'heure est donc au
"wait and see", côté supports, l'entrée dans la bataille se fait en ordre
dispersé. A Marseille, le groupe La Provence a allumé avec Marseille Plus un
contre-feu, tandis que dans la capitale, l'hebdo A Nous Paris, la Comareg et Le
Parisien mettent en place des couplages destinés au marché de l'emploi. «
Parallèlement, nous travaillons avec Le Parisien au lancement de packages très
marketés, destinés à notre coeur de cibles, les jeunes urbains mobiles »,
explique Carine Barelle, directrice commercial et marketing d'A Nous Paris. Qui
avoue que l'arrivée des gratuits, tout en créant une véritable émulation,
pousse à la vigilance. « Depuis le début de l'année, le marché publicitaire est
plus difficile. Mais A Nous Paris dispose de réelles différenciations vis-à-vis
de ses nouveaux concurrents. Son positionnement, son taux de reprise en main et
d'emport. Nous savons que 9 journaux sur 10 sortent du métro. » Si la presse,
dans son ensemble, craint un affaiblissement de ses positions déjà fragiles,
l'arrivée des gratuits est également suivie de près par les autres médias. A
commencer par l'affichage et la radio, fortement impliqués sur le marché de la
publicité locale. « Les gratuits veulent développer un vrai marché local. A eux
de le prouver ! », commente Daniel Cukierman.