Les grandes agences mourront de leur arrogance
Vous quittez la tête de Proximity, agence de marketing services, pour prendre la présidence d'un groupe de communication. Cette nomination traduit-elle un changement dans le business de la communication ?
JB Au-delà des circonstances liées aux hommes, et à leur
réussite manageuriale, cela traduit la réalité du business. Chez BBDO Paris, la
pub représente un tiers des revenus, le marketing services un autre tiers, et
l'ensemble des autres disciplines, le dernier tiers. Nous ne sommes plus dans
une dominante économique publicitaire. Les annonceurs demandent aujourd'hui aux
groupes de communication de mettre à leur disposition des équipes de
communication intégrée et de construire des équipes qui vont au-delà des
frontières naturelles de telle ou telle discipline. C'est déjà une réalité chez
BBDO. C'est également, au niveau européen et sous l'impulsion de Jean-Michel
Goudard, une volonté stratégique que de développer d'une manière plus formelle
des lignes de business internationales. Il devient donc nécessaire d'avoir à
la tête des pays des managers qui sachent opérer ces mutations. Or, on se rend
compte, quoi qu'en disent les publicitaires, ou d'origine publicitaire, que
c'est très compliqué pour eux. Ils ont été mono métier, du moins dans la
discipline qui était considérée comme directrice. C'est plus compliqué pour eux
de comprendre, de connaître, de faire muter des business.
Est-ce que cela veut aussi dire que le marketing services a enfin acquis ses lettres de noblesse ?
JB C'est un changement d'époque, la preuve que le
marketing services peut donner accès à la voie royale. Je considère que c'est
plutôt un signe positif qu'un signe négatif. Après, il est nécessaire de
solidifier ce métier du marketing services qui est encore trop fragile. On ne
retrouve pas cette fragilité dans les agences de pub. Regardez les acteurs
importants du marché : Groupe D !, Kenya ou plutôt K. Agency, WCJ, ou Piment…
Ils disparaissent ou on ne sait plus où ils sont.
Mais pourquoi disparaissent-ils ? En raison du marché, de la méconnaissance du métier ?
JB Sur les deux dernières générations, de deux fois cinq ans,
nous avons encore vécu dans une vision entrepreneuriale de l'entreprise. Il y a
encore 10 ans, le marché était essentiellement composé de petites agences.
Depuis cinq ans, elles ont été intégrées dans des groupes ou sont devenues de
grosses agences. Mais toute cette génération continue de vivre sur un principe
entrepreneurial. Le moteur des gens de la pub, c'est la reconnaissance et la
qualité du produit fini. La fierté de ce produit. Le moteur des gens du
marketing services demeure la croissance et, pour les patrons, leur rôle
entrepreneurial. Je crée une petite boîte et je la revends. Au final, c'est
plutôt une bonne chose que cette génération quitte les rênes et qu'apparaisse
une génération de managers, de patrons d'agence qui défendent leur métier avant
d'être des entrepreneurs.
Après les grands mouvements d'intégration, et les cures d'amaigrissement qui ont suivi, on voit actuellement renaître une série de petites agences. Que pensez-vous de ce mouvement ?
JB Je n'ai rien contre, mais ce n'est pas cela dont le
secteur a besoin. Les petites agences qui fleurissent actuellement, le font sur
le même principe que par le passé, et avec la même génération de gens qui vont
faire trois ans avant de revendre. Ce dont le secteur a besoin, ce sont des
agences fortes, pérennes, avec des positionnements forts qui continuent de
construire et de défendre le métier.
Les groupes de communication sont-ils formatés pour accomplir ce travail ?
JB Il faut prendre
le temps de former, d'intégrer, de structurer. Mais cela va venir. C'est vrai
que, pour les groupes de communication, le marketing services a d'abord été
vécu comme une source de croissance et de profit plus que comme des sources
d'apports stratégiques auprès des clients ou d'image. Il n'y a donc jamais eu
de pression des groupes pour, finalement, structurer ces métiers comme ils
devaient l'être. C'est-à-dire embaucher des gens de qualité, les former, les
promouvoir, avoir des méthodologies, etc. Le problème, il est là. Ce travail de
fond, de structuration qui fait que les individus peuvent partir sans mettre en
danger l'avenir, n'a pas été fait partout. Proximity va continuer d'exister
au-delà de ma personne. Et Tequila\ est toujours là parce que nous avons
accompli ce travail de structuration. Le vrai sujet de ces métiers, et des
groupes, c'est monter le niveau d'exigence, non seulement sur la croissance et
les résultats, mais aussi sur la qualité du produit fini, l'organisation, la
formation des gens.
Quelle est la place de BBDO Paris dans le réseau ?
JB BBDO Paris est le troisième marché européen, derrière
l'Angleterre et l'Allemagne. C'est le cinquième derrière la zone Amérique Nord.
En termes de résultats, BBDO Paris a le même poids que toute la zone Asie ou
Amérique Latine. BBDO restant le premier réseau à l'intérieur d'Omnicom. Par
ailleurs, nous préparons un plan d'accélération de l'européanisation de BBDO.
C'est aujourd'hui évident sur la publicité, où les budgets internationaux
représentent entre 35 et 40 % des revenus de CLM. Les budgets internationaux de
BBDO, c'est déjà 35 %. Si l'on y ajoute les budgets français à taille
internationale, du type Total, Wanadoo, c'est plus de 70 %. CLM est donc déjà
fortement engagée dans l'international, et je salue le projet initial de
Christophe Lambert (ex-président de BBDO et CLM/BBDO, aujourd'hui patron de
Publicis Conseil, ndlr) qui s'est fortement concrétisé et matérialisé.
Proximity est également très engagée à l'international puisque ses budgets
internationaux représentent un tiers de son activité.
Ce qui tendrait à prouver que le marketing services peut aussi être international ?
JB Nous allons clairement vers cette internationalisation. Les
annonceurs cherchent essentiellement deux choses. Sur le marketing services,
ils cherchent d'abord de l'expérience. Cela commence toujours par de l'échange
d'expérience, pour finalement dupliquer, en Europe, ce qui a bien marché dans
un pays. Ensuite, dans 90 % des cas, on en est aujourd'hui au stade de la
création de plates-formes internationales. Donc, une agence lead définit des
plates-formes stratégiques et créatives, qui sont mises à la disposition des
pays pour de l'adaptation locale, de la mise en marché local. Qu'est- ce qui
est fait localement ? La gestion de l'opération, l'adaptation de la création et
des mécaniques, en fonction du circuit de distribution et des législations
locales. On sent encore une réticence des annonceurs à acheter un réseau dans
sa totalité. Cette étape a été passée en pub, ce n'est pas encore le cas en
marketing services. Aujourd'hui, on va dire que 90 % des budgets internationaux
de Proximity, qu'ils soient basés à Paris ou ailleurs, et nous en comptons une
bonne dizaine, sont sur cette base.
Quels sont vos grands chantiers pour BBDO Paris ?
JB Le new business, voire le new biz
groupe. Il ne faut pas se cacher que, depuis deux ans, CLM n'a pas fait deux
choses : elle n'a pas joué son rôle de moteur du groupe et elle n'a pas été
moteur en new biz. Le deuxième chantier, c'est une meilleure rationalisation du
groupe. Aujourd'hui, nous avons une douzaine d'agences. J'en veux moins, plus
grosses, plus fortes, plus créatives, plus internationales.
Qu'attendez-vous de l'arrivée de Pascal Grégoire à la tête de CLM ?
JB Je suis très enthousiaste parce que l'on sent déjà un vent
d'émulation. Il y a une grande envie chez Pascal Grégoire, et dans les équipes
de BBDO, d'ouvrir le champ de la créativité publicitaire avec la même exigence
de qualité. L'un des grands chantiers va être de savoir comment on arrive à
construire des équipes de travail, notamment en création, entre l'agence
principale et les agences autour, que ce soit Corporate, Proximity, pour faire
en sorte d'avoir des idées de communication qui soient aussi brillantes que des
idées de 30 secondes sans que, justement, cela soit des 30 secondes. Et des
idées qui viennent s'inscrire dans des dispositifs de complément. Nous sommes
dans ce mariage des médias, et nous sommes très loin de la déclinaison et de la
conception traditionnelle de l'intégration, qui est “on a une image créée par
les publicitaires, on fait une charte graphique, et on retrouve cette
déclinaison partout”. C'est le sujet qui va beaucoup nous occuper. Et qui est
déjà en place. Lorsque vous regardez les films “foot” ou “musique” de Pepsi, ce
sont, à la base, des plates-formes promotionnelles qui sont devenues dans le
monde entier des éléments moteurs de l'image. De la même façon que les
opérations commerciales d'Auchan sont aussi importantes dans la composante
générale de son image que les campagnes d'image pure, aussi bien en termes
d'investissement que de perception client. C'est ce que nous avons mis en
place, d'une manière empirique, auprès de nos clients. Tout mon travail, et
celui des équipes, c'est, aujourd'hui, de savoir comment on transforme cette
expérience réussie et empirique en une méthodologie que l'on est capable de
faire comprendre en prospection aux annonceurs.
Le champ des possibles, en termes de choix médias, s'est considérablement élargi, sans pour autant que les budgets soient, eux, extensibles. Comment êtes-vous structuré pour prendre en compte cette donne ?
JB Nous sommes BBDO. Nous
mettrons donc davantage l'accent sur la créativité médias. D'ores et déjà, il y
a une grande pratique et une grande expérience sur l'adéquation du message avec
son média et son contact. Ensuite, ce qui ne nous aide pas, et nous devons y
travailler parce que le mouvement s'amplifie, c'est la différenciation totale
qui s'est opérée sur le marché entre les agences de communication et les
agences d'achat d'espace. Globalement, les annonceurs ne se posent même plus la
question de la synergie. Ils veulent tout simplement la meilleure centrale
d'achat d'espace. Si elle est dans le même groupe, tant mieux. Sinon, tant pis.
D'une certaine façon, cette situation a pénalisé l'effet de fluidité et de
créativité. Si les centrales étaient des pros de la communication et des idées,
on le saurait. D'autant qu'on ne leur demande pas de l'être ; ce qu'on leur
demande, c'est de la rationalité. Mais, en même temps, on ne peut pas faire de
la créativité médias dans l'absolu. Toute forme de nouvelle idée médias a
besoin de s'inscrire dans un plan de communication ; elle a besoin d'être
chiffrée immédiatement, elle a besoin d'être validée. Nous allons donc nous
attacher à monter, sans ou avec OMD, une cellule de réflexion sur le conseil
médias. On ne peut pas y échapper.
Aux côtés des budgets internationaux tels que Total, Pepsi…, on trouve dans votre portefeuille, Nicolas. Est-ce important d'avoir Nicolas ?
JB C'est fondamental.
Et la première raison, c'est que cela nous évite de prendre la grosse tête. Les
grandes agences, et CLM a frisé cela, mourront de leur arrogance. Le premier
grand danger des grandes agences, c'est l'arrogance par rapport à leurs
clients, au marché, etc. Une agence ne vit bien que si elle sait se remettre en
cause tous les jours. Elle doit aussi vivre avec des convictions et des doutes
sur son métier et la manière dont elle le fait. Le rôle de budgets comme
Nicolas, c'est de servir à garder les pieds sur terre. Ça sert à démontrer que
l'on peut avoir de vraies idées avec des petits budgets. Après, pourquoi
Nicolas reste chez nous ? Simplement parce que, au-delà de la qualité du
travail, nous lui avons trouvé des idées pour redrainer son business.
BBDO Paris(Omnicom)
Date de création 1972. MB 2001 : 91,3 ME. Filiales et annexes : CLM BBDO (pub), Proximity BBDO (marketing services dont B2L, pour l'interactif), BBDO Corporate, BBDO Corp & Biz (conseil en B to B et communication interactive), Creapress (communication écrite), Fabricator & Epsilon (édition), Cybernetworks (conseil en solution Intranet/Extranet), Robinson (pub), OMD (conseil et achat médias). Principaux budgets : Auchan, DaimlerChrysler, EDF, Masterfoods, Midas, Pepsi, Total, Wanadoo.