Les forces de ventes supplétives gagnent du terrain
Longtemps freiné par la frilosité des entreprises françaises, le recours à des viviers commerciaux externes connaît depuis cinq ans un net essor. Historiquement construit sur des prestations “commando”, le marché répond de plus en plus à des besoins stratégiques d'organisation.
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Augmenter le taux de pénétration sur un parc de magasins, attaquer des
marchés à l'étranger, concentrer les ressources internes sur les plus forts
potentiels de business, gérer les pics d'activité imputables aux rythmes
saisonniers ou aux impondérables, surmonter les crises…
Les motifs d'un recours
à des forces de ventes supplétives sont multiples. Avec des croissances
annuelles de l'ordre de 10 % depuis cinq ans, le marché des forces de ventes
externalisées génère un chiffre d'affaires d'environ 150 millions d'euros.
Soit, selon le Sorap, syndicat professionnel de l'action commerciale terrain,
un tiers du marché global du “marketing terrain”.
Il ne fait plus de doute que
l'outsourcing commercial a le vent en poupe. La formule a l'avantage de la
flexibilité et permet de transformer des coûts fixes en coûts variables. « Les
PME qui cherchent simplement à limiter leurs dépenses ne font pas le marché.
Notre business se nourrit bien davantage de la volonté stratégique des grands
comptes de faire de l'externalisation une voie alternative à leur approche
commerciale », remarque Luc Denis, président de CPM.
Quoi qu'il en soit,
l'essor du marché des forces de ventes supplétives trouve plusieurs facteurs
explicatifs. L'imperméabilité atavique du management français aux démarches
d'externalisation offre au marché un potentiel énorme de croissance.
Conséquence logique?: les entreprises, longtemps refroidies par l'opacité qui
affectait le marché il y a encore quelques années, se laissent peu à peu
convaincre.
Ensuite, nombre d'industriels ayant agrégé des activités nouvelles
et ne souhaitant pas pour autant multiplier les risques se montrent intéressés
par des formules leur garantissant une “variabilisation” des coûts fixes.
D'autres, venus d'Europe, d'Asie ou des Etats-Unis pour développer en France
des offres de produits ou de services, notamment dans le secteur des nouvelles
technologies, craignent les lourdeurs et les complexités des pratiques
hexagonales de distribution.
Autre facteur d'explication à l'augmentation de la
demande des entreprises, les conséquences de la loi Galland?: l'abaissement
drastique du seuil de revente à perte présage une guerre des prix orchestrée
par les distributeurs qui devrait
pousser les industriels à dépêcher des bataillons de commerciaux qui auront
pour mission de contrôler les tarifs en
magasins.
Lancement de produit ou réassort
Le recours à une force de vente extérieure est très
répandu dans les industries de la grande consommation, PME ou grandes
entreprises. Il y a quinze ans, un chef de secteur négociait magasin par
magasin avec le chef de rayon. Depuis 1995 et la centralisation des
négociations, le rôle d'un commercial consiste davantage à vendre de la
promotion que du produit. Dès lors, il devient moins pertinent d'entretenir une
équipe commerciale.
De plus en plus d'entreprises ont réduit leurs ressources
commerciales internes et recourent à une force de vente extérieure de manière
ponctuelle, pour lancer un produit ou pour des commandes de réassort. « On
estime que le nombre d'entreprises en France disposant d'une force de vente
interne calibrée pour couvrir les 10 000 grandes surfaces du territoire ne
dépasse pas la vingtaine », note Bruno Rechard, directeur commercial et
marketing de BW. Or, visiter 3 500 magasins dans l'Hexagone en dix jours avec
l'aide de trente-cinq personnes, un prestataire extérieur peut y parvenir.
Quelle que soit la nature de la cible ou du réseau impliqué, le besoin de
couverture figure au premier rang des motifs d'externalisation. Pour épauler sa
propre force de vente de trois personnes, l'éditeur de solutions de sécurité
informatique Symantec a récemment doublé sa présence commerciale terrain en
ayant recours à des équipes sélectionnées via la société Vertigo, avec laquelle
il travaille depuis trois ans.
« Notre objectif est de comprendre ce qui se
passe chez les revendeurs et de faire remonter l'information, précise
Anne-Sophie Clémot, directeur marketing de Symantec. Or, nos propres équipes ne
nous permettent pas de couvrir l'ensemble du réseau. »
Autre secteur
d'activité, autre cas de figure. Moët Hennessy Diageo dispose d'une quarantaine
de commerciaux en interne pour couvrir l'ensemble du territoire. Lors de
campagnes ponctuelles, le fournisseur de vins et spiritueux a recours aux
forces de vente supplétives. Il a ainsi récemment sollicité la société MGS, qui
a dépêché onze commerciaux chargés de visiter durant trois mois les
supermarchés et hypermarchés afin de promouvoir les produits de la marque, mais
aussi de valoriser leur visibilité.
Toutes les informations relatives aux
commandes, aux stocks et aux emplacements de l'offre Moët Hennessy ont ainsi
fait l'objet d'une saisie sur des terminaux remis aux onze vendeurs externes,
avant d'être transmises via GPRS au siège de MGS. Le terme générique de forces
de vente additionnelles regroupe deux prestations distinctes. L'accompagnement
d'un industriel sur une période donnée pour un lancement de produit, une
opération promotionnelle ou une activité saisonnière. On parle alors de force
de vente commando ou ponctuelle.
L'externalisation pure et simple de la
structure commerciale, qui consiste à déléguer tout ou partie de sa force de
vente à un prestataire. On parle alors de force de vente externalisée ou
structurelle. Ces dernières prestations gagnent du terrain sur les actions
ponctuelles qui ne représenteraient plus qu'un quart du marché. Les clauses de
sortie de contrat prévoyant des préavis de trois à neuf mois selon la durée
initiale du partenariat, ainsi que des indemnités de rupture.
165 prestataires sur le marché
Qu'il s'agisse de PME ou de grands
comptes, les commanditaires sont de plus en plus demandeurs de prestations
complètes, agrégeant autour de la force de vente terrain des actions de
télévente et de marketing direct. D'où la multiplication chez les prestataires
de cellules de phoning, qui peuvent compter jusqu'à 150 positions de travail.
De même, les sociétés spécialisées dans l'externalisation des forces
commerciales se dotent d'outils d'expertise amont et aval, depuis les bases
d'informations jusqu'à la collecte et à l'analyse de données. « Notre base de
données recense 420 000 informations sur 10 000 points de vente. Un tiers de
nos clients y ont aujourd'hui recours », indique Bruno Rechard.
Combien de
sociétés spécialisées se partagent le marché ? « Au sein du Sorap, nous avons
identifié 165 prestataires. Un distributeur en a recensé 235 ! », remarque
Georges Beaux, président de Service Innovation Group France. On chiffre
régulièrement le “manque” de commerciaux en France à 30 000. Parallèlement,
l'ANPE recense 40 000 offres d'emploi de vendeurs non honorées. Pas plus que
leurs clients, les sociétés spécialisées dans l'externalisation n'échappent à
la tension du marché. Elles disposent en revanche de process de recrutement
rodés, qui font précisément leur valeur ajoutée.
« La réussite d'un projet
repose à 70 % sur le sourcing », lance Thomas Martin, directeur du département
forces de vente d'Ajilon. Le prestataire, qui emploie 120 CDI, comptabilise
entre 400 et 500 entretiens par an. Chez CPM, la cellule sourcing réalise de 20
à 30 entretiens quotidiens. Les recettes peuvent varier, mais les ingrédients
restent inchangés : achat de services auprès d'agences de chasse, présence sur
les campus, introduction dans les réseaux d'anciens des écoles, pêche dans les
fichiers des enseignes d'intérim. Et, surtout, recours aux petites annonces,
avec une forte prégnance des supports on line. Pour les prestataires, il
s'avère nécessaire de protéger leurs ressources par toutes les garanties
contractuelles.
« Lorsqu'un client débauche l'un de nos collaborateurs, il doit
payer deux ans de prestation », explique Sandra Bibas, directrice commerciale
et marketing de FDVE. Quant aux commerciaux dépêchés sur le terrain, ils se
différencient par le statut. Certains sont intérimaires, d'autres sont employés
par une société d'externalisation commerciale, certains travailleront en
indépendants, à l'image des agents commerciaux, dont la profession est régie
par les articles 134 et suivants du code du commerce.
« Les agents commerciaux
sont des chefs d'entreprise, qui disposent d'un carnet d'adresses et ont leurs
entrées au sein de réseaux identifiés et délimités », commente Jean-François
Ferrando, président de LDDP, société spécialisée dans les prestations
externalisées et propriétaire de Laniac, l'annuaire des agents commerciaux
commercialisé depuis 2001 (www.laniac.org). Les effectifs mis à la disposition
des industriels peuvent être nombreux, mais les structures de management et de
décision sont en général courtes : vendeurs ou merchandiseurs, chefs de secteur
ou chefs d'équipe qui encadrent ces vendeurs, responsable au siège servant
“d'interface globale” avec le client.
Parallèlement, des structures
transversales gèrent les ressources humaines, le recrutement, la formation,
l'informatisation, la paie… bref, tout ce qui permet aux équipes de fonctionner
sur le terrain. Autant d'éléments qui, bien sûr, doivent être pris en ligne de
compte au niveau des coûts. Ainsi, la prestation purement commerciale n'est pas
forcément très économique, mais elle le devient si l'on ajoute ces différents
coûts que l'industriel devra acquitter pour une force de vente interne.
« Un
vendeur externe est généralement rémunéré 25 % de moins que son homologue en
interne », souligne Thomas Martin. Le salaire des commerciaux est adapté aux
pratiques propres à chaque secteur d'activité. Ainsi, un vendeur gagnera
davantage dans la sphère pharmaceutique que dans la grande consommation. Si la
marge moyenne du marché avoisine les 10 %, les écarts de prix peuvent atteindre
30 % d'un prestataire à l'autre. La généralisation du variable et des
engagements aux résultats ne facilite pas la lisibilité des politiques
tarifaires.
« La variabilisation génère le risque d'une formalisation a priori
pas compatible avec une prestation qui repose sur de l'humain », remarque
Thomas Martin. Créée en mars 2004, FDVE a d'emblée développé un modèle de
garanties aux résultats, soit sur la base du nombre de rendez-vous qualifiés
obtenus, soit - pour les prestations englobant l'ensemble du processus, vente
comprise - sur le chiffre d'affaires généré. « Il nous est arrivé de rembourser
un client intégralement », affirme Sandra Bibas. Le prestataire propose à ses
clients des formules forfaitaires mensualisées recouvrant une prestation
globale autour de quatre postes différenciés : qualification de la base, prise
de rendez-vous, force de vente terrain, closing.
Pour un package vendu 3 990
euros, le prestataire va investir 5 000 euros. « Un premier contrat avec un
nouveau client est pour nous le gage d'une relation de confiance. Nous
proposons un intéressement à hauteur de 7 % du CA généré. Ce n'est que lorsque
nous atteignons 15 000 euros de revenus pour le client que nous commençons à
gagner de l'argent », souligne Sandra Bibas.
Un syndicat monolithique
Créé en 1982, le Sorap, syndicat professionnel de l'action commerciale terrain, réunit les principales sociétés, nationales ou européennes, de l'action commerciale terrain. Les 38 membres du syndicat représentant plus de 75 % du chiffre d'affaires global du marketing terrain en France. Sur le seul mois de décembre, 500 industriels et
2 000 marques ont fait appel à 25 000 intervenants terrain, dans plus de 3 000 points de vente en France. A lui seul, le mois de décembre représente plus de
50 millions d'euros
de chiffre d'affaires. 25 % des Français auront été en contact avec l'un des membres du syndicat, sans le savoir.
Combien coûte un commercial externalisé ?
Animateur de ventes : de 4 500 à
5 000 euros hors taxes les vingt jours ouvrés. Technico-commercial : de 5 000 à
6 000 euros les vingt jours ouvrés. Chef des ventes : 8 000 euros les vingt jours ouvrés. Cadre commercial international : de
8 000 à 10 000 euros les vingt jours ouvrés.
Un pionnier : le visiteur médical
Au regard de la loi, les visiteurs médicaux ne sont pas des commerciaux. Officiellement, leurs prérogatives se limitent à “informer et conseiller” les médecins. Dans la réalité, ils prennent d'assaut les cabinets de généralistes ou de spécialistes avec des vues directement commerciales?: convaincre les praticiens de prescrire telle ou telle marque de médicaments. Depuis les années 1960, les grands laboratoires ont recours à des bataillons de “VM” pour soutenir les ventes. Le lancement d'un anti-inflammatoire peut mobiliser des milliers de démarcheurs. Pour les trouver, l'industrie se tourne vers des sociétés de sous-traitance (Cider Santé, MBO, GTF, Innovex, Promothera, Ventiv Health...) qui emploient un cinquième de la profession des visiteurs.
Les réticences du management français
C'est autour des fonctions tournées vers les clients ou le marché que les entreprises demeurent les plus rétives à l'externalisation. Selon le baromètre Ernst & Young sur l'outsourcing, la vente et le marketing arrivaient en queue des fonctions confiées à des prestataires?: seules 28 % des entreprises approchées ont recours à des services extérieurs alors que les services généraux font l'objet d'externalisation dans 95 % des cas, la distribution, la logistique et les transports dans 83 % des entreprises et l'informatique dans 73 % d'entre elles. Par ailleurs, 7 % seulement des entreprises déclarant avoir recours à l'outsourcing envisagent l'externalisation de ressources com-merciales ou marketing dans les deux ans (en 2005, 18 % voulaient le faire)
30 000 agents commerciaux
L'agent commercial est un mandataire chargé à titre de profession indépendante de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services au nom et pour le compte de tiers : producteurs, industriels, commerçants ou autres agents commerciaux (article 1er de la loi du 25 juin 1991).
30 000 professionnels sont inscrits sous le code NAF 511. L'agent commercial: dirige une agence commerciale (entreprise indépendante); constitue une force de vente externalisée; agit en qualité de mandataire, pour le compte de plusieurs mandants; est le plus souvent payé à la commission; travaille plus spécifiquement sur une zone géographique et/ou sur un secteur d'activité; peut engager des employés et utiliser des représentants salariés ou non; exerce soit en personne physique (non-commerçant), soit en société (commerciale
ou civile)