Les démons et merveilles de Méliès l'enchanteur
En ces temps de néo-naturalisme et de télé-réalité, une exposition permet d'aller se ressourcer les idées et démontre que les technologies peuvent être mises au service d'un imaginaire transcendé. "Méliès, magie et cinéma" nous invite à renouer avec les charmes définitifs de la fiction, de la poésie et de l'humour.
Le célèbre "Voyage dans la lune" de Georges Méliès fut offert au public
voici un siècle. Cet anniversaire nous vaut une exceptionnelle flânerie
poétique dans l'univers du pionnier français du cinéma. A l'Espace EDF-Electra
se tient l'exposition "Méliès, magie et cinéma"*. La Fondation Electricité de
France y poursuit sa collaboration avec la Cinémathèque Française pour la
connaissance de l'histoire du cinéma. La dernière grande exposition consacrée à
Georges Méliès (1861-1938) remonte à 1961. De cette date à aujourd'hui, les
études sur l'oeuvre cinématographique de Méliès ont considérablement progressé
et bien des films que l'on croyait disparus ont été retrouvés. Le titre de
"l'Homme-orchestre", tourné en 1900, recouvre bien l'étendue des talents de
Georges Méliès qui fut à la fois dessinateur, peintre, décorateur,
caricaturiste, magicien, directeur du théâtre Robert-Houdin, écrivain, acteur,
technicien, réalisateur. Il maîtrisa seul l'entière production de son oeuvre
cinématographique de la conception jusqu'à la vente des copies. Il finance ses
films, en dessine les maquettes de décors, les réalise, les interprète, assure
la direction d'acteurs. Et c'est encore lui qui trace les plans de son studio,
décide des emplacements de la caméra, écrit ses scénarios. Pendant quelque
vingt ans, il sera le grand maître des féeries et des trucages
cinématographiques. Toute son oeuvre célèbre les jubilations de l'imagination.
Trompe-l'oeil, diableries, illusions d'optique, fumées, vapeurs et flammes
coloriées au pinceau suscitent le ravissement. Avec ses machineries théâtrales,
ses pyrotechnies, effets d'optique, déroulants horizontaux et verticaux, arrêts
de caméra, fondus enchaînés, surimpressions, prestidigitations et escamotages,
effets de montage et de pellicule, il a ouvert la voie aux actuels George Lucas
et Steven Spielberg. Et ses films traversent le temps en continuant d'exercer
une fascination amusée.
La technologie au service de l'imagination
L'exposition de l'Espace EDF-Electra propose un
parcours à la fois chronologique et thématique. La première partie évoque le
monde industriel de la famille du jeune Méliès entre 1860 et 1880. Par
contraste, le visiteur accède par une entrée truquée à l'univers de la magie
dans lequel Méliès s'engagea durant sa vie. Le premier étage est consacré au
magicien et illusionniste Robert-Houdin dont Méliès rachète le théâtre et
collectionne les automates. Après une visite virtuelle du théâtre
Robert-Houdin, une salle est réservée aux débuts cinématographiques de Méliès.
Puis vient un espace consacré à la fantasmagorie avec dessins et projections.
On découvre ensuite deux thèmes chers à Méliès : "le corps disloqué" et "la
femme" avec "Après le bal" ou "la femme volante". Le visiteur peut alors
s'engager dans une salle vouée aux voyages fantastiques. Avec la projection de
"la Chrysalide et le papillon d'or" et des "Miracles du Brahmine", c'est encore
une partie poétique et merveilleuse du travail de Méliès qui est donnée à voir.
L'exposition nous invite aussi à visiter le studio vitré de Montreuil, réalisé
dans les moindres détails, selon les plans de Méliès. Il fut en partie détruit
en 1945 et personne ne se soucia des recommandations ultérieures d'Henri
Langlois pour le restaurer. Mais à la fin de sa vie, Méliès ne connut plus le
succès. Avec la concurrence, déjà des majors américaines et françaises, le
pillage des contrefacteurs, il se retrouva criblé de dettes. Le public
l'oublia. Il vivota en vendant des jouets et des confiseries dans une échoppe à
la gare Montparnasse. En 1929, un journaliste le reconnaît et un gala est
organisé en sa faveur. Il se retire au château d'Orly, une maison de retraite
réservée aux gens du cinéma. Et celui qui avait illuminé la vie quotidienne de
tant de gens ordinaires mourut dans l'ingratitude. Pour parodier la devise
d'une major américaine : "Ars non gratia artis" où quand l'art ne dit pas merci
à ses artistes. Le public peut enfin remercier la Fondation Electricité de
France, la Cinémathèque Française et la Cinémathèque Méliès pour la rare
qualité de l'exposition "Méliès, magie et cinéma". N.B. Soulignons une fois
encore l'incomparable délicatesse, gentillesse et disponibilité du personnel
d'accueil de l'Espace Electra. "Méliès, magie et cinéma". Jusqu'au 1er
septembre, Espace EDF-Electra, 6, rue Récamier 75007 Paris. Tél. : 01 53 63 23
45.