Les clairs-obscurs de la passion et de l'hyperlumière
Entre froideur et ardeur, nous traversons plusieurs mondes. Deux expositions nous invitent à ces confrontations d'univers. L'une "Les Mondes Lumière" nous entraîne dans les fièvres frigides et électriques de l'informatique, de la science et des technologies. L'autre, "Figures de la passion", nous emmène entre colère et terreur, entre rire et plaisir lascif, entre pénitence et extase dans les méandres des émotions et des passions de l'âge baroque. Deux sources d'inspiration et de réflexion qui vont très bien ensemble.
Les artistes des "Mondes Lumière" se revendiquent comme Hyperluministes.
Ils conçoivent ainsi à l'aide de la lumière des installations qui s'appuient
sur des découvertes scientifiques et techniques les plus récentes. Ils
cherchent à représenter la quatrième dimension dans un merveilleux un peu
inquiétant, énigmatique, loin de toute sensualité ou débordement de la chair.
Ils s'inspirent des hyperespaces des physiciens. Ils exposent des constructions
du monde actuel où s'interpénètrent artificiel et naturel, virtuel et réel, Art
Ordinateur, vidéo, photographie, jeux avec l'espace et les dimensions. Serge
Salat et Françoise Labbé avec leurs "labyrinthes d'éternité" jonglent avec les
décalages temporels, les fractales et leurs dimensions décimales. Grâce à
l'inversion des symétries, ils créent des structures qui nous font croire selon
Borgès « à un réseau croissant et vertigineux de temps divergents, convergents
et parallèles. A une trame de temps qui s'approchent, bifurquent, se coupent,
vous ignorent pendant des siècles, à un réseau embrassant toutes les
possibilités. Dans la majorité de ces temps, nous n'existons pas ; dans
quelques uns, vous existez et moi pas ; dans d'autres, moi, et pas vous ; dans
d'autres, tous les deux. » Lorsque le visiteur pénètre dans l'étourdissante
installation de ces artistes, son corps est reproduit à l'infini dans toutes
les directions. Entre réel et virtuel, il en vient à douter de la réalité de
son existence. C'est dire si ces sensations sont fortes, l'accès à
l'installation a été limité car certains spectateurs ont été pris de vertiges.
C'est un risque que l'on ne court pas avec l'exposition "Figures de la
passion". Pour la première fois, le musée de la Musique s'ouvre aux arts
figurés pour laisser dialoguer entre elles, musique, peinture, sculpture à la
période baroque. "Figures de la passion" tourne autour de trois grandes
sections qui abordent chacune un des grands domaines de la représentation des
passions : le religieux, l'histoire et le portrait. En contrepoint, un cabinet
d'arts graphiques permet de mieux appréhender, à travers manuscrits, esquisses,
ouvrages théoriques, la réflexion des artistes sur les moyens à mettre en
oeuvre pour traduire et exprimer les passions. Un cabinet de musique, grâce à
un casque, permet d'effectuer une balade sonore dans les inflexions des
passions. Cette sélection d'oeuvres de Charpentier, Lully, Rameau, Marais ou
Couperin s'écoute en regardant des peintures de le Brun, Blanchard, Mignard,
Champaigne, Santerre ou des sculptures de Tuby, Anguier ou Sarrazin.
Compassion, repentir, extase qui donneront à entendre les courants
italianisants dans la musique française. L'expression des passions religieuses
suscitées par le Christ occupe le premier espace. La deuxième salle illustre,
par contraste, les "passions profanes" à travers les grandes figures de la
littérature et de la mythologie. La lamentation de deuil, la colère et la
terreur conduisent dans le monde de l'opéra et de la démesure avec ses
allégories de la haine, ses scènes d'enfers et ses tempêtes. Puis viennent les
"passions triviales" représentées par la comédie et l'air à boire. La dernière
salle est consacrée aux portraits et aux caractères. Le pouvoir d'évocation de
la musique instrumentale prend son essor. « Le thème de la passion, qu'elle
soit religieuse ou amoureuse, est fondateur de l'esthétique classique
française. De Racine à Lebrun, de Descartes à Marc-Antoine Charpentier, les
plus grands artistes et théoriciens du temps cherchèrent à percer le secret de
l'origine des passions humaines. Mais, pour ce voyage dans les représentations
de l'ineffable et de l'inexprimable, la vie de l'âme et de ses mouvements, je
ne voulais pas que les visiteurs se sentent prisonniers d'un ordre et d'un
parcours. L'idée est d'arracher le voile du temps en faisant vibrer la fibre
sensible de chacun. J'ai donc cherché une façon agréable et intelligente de
présenter les relations complexes qui se tissent entre le symbolique et
l'abstraction. Cette manifestation constitue le premier volet d'un diptyque
dont le second "L'invention du sentiment" sera consacré à la naissance du
mouvement romantique », explique Frédéric Dassas, commissaire de l'exposition.
Ce monde des passions nous interroge sur cette inlassable quête de l'être
humain pour les codifier, les maîtriser. Ainsi, tant les différences de
sensibilité qui nous tiennent éloignés des subtils raffinements de l'âge
baroque que les mondes de la nouvelle esthétique contemporaine ne font que
traduire l'universalité de la condition humaine à travers son histoire. C'est
ce que révèlent les arts et les sciences dans la multiplicité de leurs
déploiements. "Mondes Lumière" Espace EDF Electra Jusqu'au 17 février 2002 6,
rue Récamier 75007 Paris "Figures de la passion" Jusqu'au 20 janvier 2002 Cité
de la Musique. Catalogue aux éditions de la Réunion des Musées Nationaux.