Le thé en quête de qualité
En France, pays de bouche et de dégustateurs, on méconnaît le thé et ses
différents "jardins", comparables aux châteaux du Bordelais. « Dans l'Hexagone,
le thé est considéré comme une boisson féminine, snob et plutôt vieille,
s'étonne Jean Montseren, l'un des rares "tea-tasters" que compte la planète.
Or, des tests récents montrent que c'est au contraire une boisson plutôt
masculine, jeune et bue dans des univers assez créatifs. Il n'y a qu'en France
que l'on a cette image. » Le marché français est assez paradoxal. Nous sommes
les plus faibles consommateurs du monde mais c'est en France que les initiés
trouvent le plus de choix et la meilleure qualité. On boirait 200 g de thé par
an contre 4 kg annuels en Angleterre. Mais les Anglais se contenteraient d'un
thé de qualité médiocre. Les tentatives ne manquent pas pour inciter à un plus
grand intérêt. Même en grande distribution où l'on redécouvre depuis peu le thé
vert, une variété que les Français ont bu très fréquemment jusqu'au milieu du
XIXe siècle. Pour le rendre plus attrayant et séduire un public féminin en
perpétuelle quête de minceur, on a inventé qu'il faisait maigrir. L'évolution
du marché est en fait comparable à l'attitude vis-à-vis du vin. « La
consommation est stable en termes quantitatifs, voire en légère régression mais
on constate un grand boom du point de vue qualitatif », explique le tea-taster.
Chefs cuisiniers, barmans, oenologues, sommeliers, managers de grands hôtels
s'intéressent de plus en plus souvent aux subtilités de ce breuvage, pour
reconsidérer leur pratique et leur offre. On assiste à la création de club de
thés ; une épreuve "thé" vient d'être créée dans une grande école hôtelière
européenne. Initié en Inde à sa dégustation, Jean Montseren ouvre aux curieux
de nouveaux horizons gustatifs. « Le thé est un produit éminemment asiatique.
On le goûte selon une méthode ancestrale mais aussi avec sa propre culture.
Avec Rabelais sous le bras droit pour le verbe et l'expressivité. Et Montaigne
sous le bras gauche pour la recherche introspective. »
Un "thé de Ceylan", l'équivalent d'un "vin de France"
Jean Montseren se
félicite que de plus en plus de sociétés conseillent la grande distribution sur
la sélection des produits. « La grande vogue consiste à sélectionner les
produits en fonction de leur saveur et de leur goût. C'est un créneau porteur
mais qui risque de se galvauder car le milieu du goût est un milieu de mode,
foncièrement inconstant », poursuit-il. Le Lapsang Souchong, ce thé noir
chinois fumé, au goût si particulier, était par exemple très en vogue avant la
guerre. Epoque à laquelle on appréciait particulièrement l'amer et où le
Saint-Raphaël et le Quinquina étaient rois. L'arrivée des Américains, avec le
chewing-gum et le Coca, a initié une époque sucrée. Selon Jean Montseren, cette
période se termine. La jeune génération n'est ni salé, ni sucré mais acide. «
Il y a une revalorisation de termes assez négatifs pour des personnes plus
âgées. C'est l'ère de l'acid jazz, du rap, des nouvelles drogues, la recherche
de couleurs acidulées. Tout cela est évidemment un perpétuel recommencement
mais il semble que ce soit une période de purge nécessaire pour sortir du
sucré. » Rayon tendance, le thé n'a pas échappé à la vague bio. « Pour
l'instant, cela ne veut pas dire grand-chose. La notion n'est même pas reconnue
par les instances européennes. On a toutefois compris que ce que l'on incorpore
fait partie de nous. Faire du thé bio aujourd'hui, cela veut dire faire pousser
un théier sans engrais, ni pesticide avec un rendement satisfaisant, ce qui
suppose des manipulations génétique... » Un choix peut satisfaisant qui, selon
lui, va faire perdre du crédit à la notion de bio. En outre, le thé bio n'est
pas bon. Pourquoi ce qui est bon pour notre corps ne serait pas aussi bon au
goût ? « L'inverse est une conception machiniste du corps. Le syndrome de la
voiture sans essence qu'il faut remplir. Le bio aujourd'hui ne prend en compte
que la physiologie, ce qui n'est pas très crédible à terme. » Quant aux
innovations, l'expert se désespère. « Soit on fait du neuf avec du vieux, en
relançant le thé vert par exemple, ou des cocktails thé et fruits qui n'ont pas
grand intérêt. Les thés parfumés chimiquement servent souvent à masquer des
thés pauvres. Il n'y a là aucune limite, à part celle du bon goût. Il existe
même des thés à la choucroute, à la cacahuète et au Coca ! La vraie nouveauté
serait de faire du qualitatif grand public. » Une idée qui lui semble viable du
fait du fort potentiel de sympathie du produit. * Auteur du guide L'amateur de
thé. Editions Solar.