Le retail à la croisée des chemins
Il symbolisait à lui seul le prestige et l'hybris des Champs-Elysées. Le Virgin Megastore est pourtant sur le point de fermer. Comme la Fnac, qui a vu son bénéfice fondre de moitié en 2011, Virgin est victime du recul des ventes de musique et de la concurrence du on line.
L'achat en ligne est en effet devenu un réflexe: neuf Français sur dix y ont eu recours en 2011 (étude Ipsos / Generix). La culture n'est pas la seule concernée par l'explosion de l'e-commerce, qui s'étend désormais à des secteurs que l'on imaginait pourtant incompatibles avec le virtuel, comme les chaussures ou la banque.
Difficile de ne pas voir dans cette fermeture un symptôme de la chute du retail sous les coups du on line. Mais ne crions pas pour autant à la mort du lieu de vente. En réalité, le magasin connaît de profondes mutations.
Yves Siméon (Reload):
« Pourquoi acheter en magasin et s'encombrer quand, grâce au digital, on peut faire ses emplettes n'importe où et n'importe quand? »
Acheter n'importe où et n'importe quand
Tout d'abord, ses frontières s'estompent au contact du digital: d'un côté, l'usage des QR codes se développe, de l'autre, le drive explose. La tendance est à la convergence du on et du off line. Signe des temps, eBay a même ouvert de véritables boutiques... à ceci près que l'on ne peut rien acheter sur place! Pourquoi, en effet, acheter en magasin et s'encombrer quand, grâce au digital, on peut faire ses emplettes n'importe où et n'importe quand? C'est là la seconde mutation que connaît le retail: débarrassés des contraintes de temps et d'espace, les consommateurs passent moins à la caisse en boutique. L'acte d'achat s'est désacralisé et peut intervenir à tout moment. Se pose dès lors une question: et si, demain, les magasins ne servaient plus vraiment à vendre?
Une redéfinition fondée sur l'expérience de marque
Certaines marques semblent déjà avoir adopté cette logique. Par exemple, les Apple Stores ont drainé plus de 85 millions de visiteurs au premier trimestre 2012. Combien achètent réellement un produit Apple? Les 300 magasins de la Pomme ne sont pas déficitaires, mais leur rôle va au-delà du point de vente. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si l'entreprise en a breveté l'aménagement intérieur: ici l'expérience de marque prime sur l'achat; et qu'importe si le client ne craque sur place, il le fera probablement plus tard. Une logique qui rappelle celle des flagships des marques de luxe. Pour les grandes maisons, le magasin est depuis longtemps un support de communication avant d'être un canal de distribution.
Nous sommes face à un double phénomène de convergence entre on line et off line et de complexification du parcours consommateur. Les marques grand public devront s'y adapter et développer des points de vente connectés et davantage tournés vers l'expérience de marque. Ce sont alors quatre nouveaux rôles qui apparaîtront pour les magasins.
- Ambassade de marque. Si vendre un produit n'est plus la priorité du magasin, vendre la marque le deviendra. La boutique pourrait alors devenir un espace de mise en scène et de valorisation de la marque sous tous ses aspects: histoire, valeurs, savoir-faire mais aussi responsabilité sociale.
- Lieu de réassurance. Le magasin continuera d'offrir à la marque une présence physique et symbolique pour entretenir la confiance des consommateurs. De même, les magasins devraient se faire de plus en plus showrooms: les produits y seront tous testables. Une fois convaincu, le consommateur pourra les commander en ligne, depuis la boutique ou chez lui.
- Lieu de culte. Les marques les plus populaires sont au coeur de communautés très actives, tant et si bien que l'on a pu les comparer à de véritables religions. La boutique de demain pourrait ainsi se faire lieu de rassemblement et offrir à tous les aficionados de la marque un point de rencontre, d'échange.
- Lieu de vie. A l'image des marques, appelées à s'inscrire davantage dans la vie de la cité (mécénat), les boutiques deviendront de véritables repères dans la ville, en ajoutant à leur nature commerciale d'autres fonctions: restaurants, galeries...
Enfin, si vendre n'est plus l'objectif premier de la boutique, il faudra réfléchir à de nouvelles manières de mesurer son efficacité: impact sur l'image de marque, capacité à susciter des conversations, etc. C'est une véritable révolution que va connaître le retail, la plus importante depuis l'arrivée de la grande distribution.
Yves Siméon, fondateur de Reload