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Le pricing euro en quête de règles

Quatre mois après le passage à l'euro, les stratégies de prix se cherchent de nouveaux repères. Bousculé dans sa perception du prix, le consommateur se réfère encore essentiellement à des valeurs en francs. Faire évoluer sa politique de pricing s'avère être un indispensable mais délicat challenge.

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Dès l'annonce de mariage entre l'euro et la consommation, le casse-tête a commencé. Le pourcentage de conversion, impossible à assimiler spontanément, laissait présager d'un nécessaire temps d'adaptation à la monnaie unique. Les règles officielles d'arrondis ont compliqué la donne : 100 francs donnent 15,24 euros qui, reconvertis en francs, donnent 99,97 francs... Ces arithmétiques compliquées ont aussitôt fait craindre de la part des consommateurs un dérapage généralisé des prix. Quatre mois après le passage à l'euro, les véritables enjeux en termes de pricing se dessinent. Car la période de stabilité glo-bale des prix, issue d'un accord entre les entreprises de la distribution, vient de se terminer.

Renaud Dédéyan (IOD)

: " La variable prix est souvent délaissée. Les responsables euro des grands groupes se sont focalisés sur les pertes éventuelles liées à la conversion et sur les changements logistiques des tarifs".



L'engagement avait été conclu du 1er novembre 2001 au 31 mars 2002. Les premiers retours d'expérience d'utilisation de l'euro permettent de comprendre peu à peu le comportement des consommateurs. De quoi donner des indications concrètes aux responsables marketing pour préparer leurs nouvelles structures tarifaires. Le bon prix, au bon endroit, pour le bon consommateur : l'objectif recherché par toute politique de fixation des prix s'avère souvent fort délicat à atteindre. Pour être efficace, une stratégie de pricing repose sur une segmentation de la clientèle. L'établissement de catégories de consommateurs, en fonction de la valeur que chaque type de clientèle attache au produit, permet de concevoir une palette de tarifs adaptés à ses cibles. L'influence également des prix types pratiqués par ses concurrents directs ainsi, bien sûr, que sa structure de coûts pèsent lourds dans les choix de pricing. C'est un savant équilibre qui se met en place. Mais imaginons que l'on ajoute en plus dans la balance marketing un élément nouveau, prévisible, mais difficile à contrôler... Une partie des scénarios prix envisagés pourraient bien devenir obsolètes ou du moins perdre de leur pertinence. C'est exactement ce qui est en train de se produire avec l'euro. En quoi la nouvelle monnaie européenne va-t-elle se répercuter sur les stratégies de pricing ? Le consommateur va-t-il progressivement changer son comportement d'achat ? Autant de questions qui commencent à être testées dans les laboratoires des services marketing.

La fin du prix psychologique ?


Les marques, qui avaient anticipé le passage à l'euro, s'étaient déjà heurtées au point essentiel du prix psychologique. Comment recréer en euros un référentiel de prix inconscient, comment reproduire le réflexe du 99 F ou du 149 F ? La référence spontanée au "pas cher" ou "adapté à mon budget" est une des grandes inconnues de l'euro, encore aujourd'hui. Car les stratégies, élaborées avant l'arrivée de la nouvelle monnaie, ont obéi à des règles différentes. « De nombreuses réflexions ont eu lieu en amont, avant la période de stabilité des prix, explique Etienne Basse, consultant à la Cegos. Des scénarios divers ont été choisis. Un produit coûtant 6,50 francs auparavant ne s'est pas forcément transformé en 1 euro. Certains ont préféré baisser le prix à 0,95 euro, par exemple, anticipant des effets de seuils psychologiques. D'autres, au contraire, ont préféré choisir un prix de 1,02 ou 1,05 euro, afin de pouvoir ensuite redescendre leur prix car ils estimaient ne pas avoir suffisamment de garantie quant à la notion de prix psychologiques en euros. » Dans les linéaires, aujourd'hui, ces trois types de prix se retrouvent. « Depuis le début de l'année, on voit tout de même de nombreux prix ronds apparaître. Mais je pense que ce type de prix va être abandonné au profit de prix psychologiques juste inférieurs », note Renaud Dédéyan, P-dg de l'institut d'études IOD. Avec l'effet de resserrement des prix dû au passage à l'euro, la palette de prix psychologiques potentiels a diminué. L'écart de prix entre les produits d'une même catégorie s'est rapproché et la différenciation tarifaire s'avère plus capricieuse. « Il est plus difficile d'appliquer les prix psychologiques en euros qu'en francs, poursuit Renaud Dédéyan. C'est pourquoi, il vaut mieux aujourd'hui jouer la carte des promotions, avoir un prix attractif et parlant sur l'offre promotionnelle plutôt que sur l'offre de fond de rayon. » De plus, l'arrivée de prix comportant des centièmes d'euro en complique la lecture et peut brouiller les seuils. Nombreux sont ceux qui se demandent si les 0,51 ou les 0,87 ne vont pas progressivement disparaître des étiquettes, au moins pour les produits de grande consommation. Car, pour les produits impossibles à vendre à l'unité, les centièmes d'euro se sont imposés. C'est le cas pour le carburant, qui fait école en la matière.

La perte de repères


Si des règles de prix sont encore difficiles à fixer, c'est que personne n'a réellement recréé son échelle de prix en euros. Jusqu'ici, les marques, les distributeurs et les consommateurs ont tous vécu au rythme des étapes officielles de l'introduction de la nouvelle monnaie. « La variable prix est souvent encore délaissée, ana-lyse Renaud Dédéyan. Aux cours d'études, on constate fréquemment que les produits sont mal positionnés, à la hausse comme à la baisse. Dans tous les grands groupes, des responsables euro ont été nommés, mais ils se sont surtout focalisés sur les pertes éventuelles liées à la conversion et sur les changements logistiques des tarifs. » Tout le monde s'est félicité de l'adoption très rapide par les Français de l'euro et de la disparition des pièces et billets en francs. Si le succès logistique du passage à l'euro est incontestable, son appropriation en tant que référence monétaire est encore loin d'être faite. Un sondage Ipsos pour Le Journal du Dimanche, réalisé tous les mois depuis janvier 2002, montre que nos concitoyens ont encore besoin d'une importante période d'adaptation. En avril denier, 16 % des sondés ont déclaré qu'ils ne font plus la conversion entre le franc et l'euro... un chiffre en diminution.

Gilles Gros (ACNielsen)

:" Pour appréhender les nouveaux prix, le consommateur compte en demi-euro et en euros. Un effet de simplification des prix se met en place."




En effet, ils étaient 21 % à se déclarer "expert euro" les mois précédents. L'exercice d'appropriation de la nouvelle monnaie s'avère ainsi plus difficile que prévu. 43 % des sondés considèrent qu'il leur faudra encore quelques mois pour "penser" euro. Et 30 % d'entre eux estiment même qu'ils ont besoin de quelques années, un chiffre en forte hausse, puisqu'au mois de janvier, ils étaient seulement 9 % à le penser. Les instituts d'études qui proposent des tests de pricing le reconnaissent : tous les tests se font encore aujourd'hui en double monnaie, afin de respecter la réalité du magasin, mais aussi parce que les consommateurs ne peuvent évaluer encore des seuils de prix en euros. « Si on demande le seuil maximum de prix pour un produit donné, spontanément, les intervie-wés vont répondre en francs, remarque Alain Renaudin, directeur marketing de l'Ifop. Le consommateur n'a pas de maturité suffisante par rapport à l'euro pour que l'on supprime, dans le cadre d'une étude, le double affichage des prix. C'est pourquoi une méthode intéressante consiste à lui proposer des comparatifs de gamme. »

Décryptages


Le seul moyen pour les fabricants et distributeurs aujourd'hui d'affiner leur politique de pricing est de décrypter les réactions des consommateurs. Le premier enseignement à tirer des premiers mois de l'euro porte sur le manque de compréhension du prix, qui se traduit, au moment de l'acte d'achat, par un réflexe d'arrondi. « Pour pouvoir appréhender les nouveaux prix, le consommateur compte en demi-euro et en euros. Si vous proposez un produit à 5,90 euros, il sera appréhendé comme un produit à 6 euros. Un effet de simplification des prix se met en place », remarque Gilles Gros, directeur Modèles et Analyses chez ACNielsen. Les clients abrègent, vont au plus facile et au plus rapide. Si bien que pour se repérer dans un rayon et évaluer malgré tout la valeur monétaire du produit, ils utilisent d'autres moyens que le prix lui-même. Tous les autres signes permettant de décoder le prix fonctionnent comme des panneaux indicateurs. « Les consommateurs se réfugient dans la marque, et pour beaucoup dans la marque de distributeur, qui se porte particulièrement bien depuis le passage à l'euro, constate Gilles Gros. Les grands formats sont également plébiscités. » Sur un principe identique, même si les prix des produits sont plus proches les uns des autres, le consommateur, pour se repérer dans les fourchettes de prix, compare d'autant plus les étiquettes. « L'essentiel de l'arbitrage se fera de plus en plus entre deux produits de même catégorie et non plus entre le prix en francs et le prix en euros », estime, pour sa part, Alain Renaudin. Second enseignement à prendre en compte durant cette période transitoire : le prix n'est plus lu, mais évalué. D'un coup, la valeur financière du produit aurait-elle moins d'impact sur le consommateur ? Seulement parce que le consommateur ne peut pas encore en évaluer sa pertinence. Car un phénomène parallèle se produit. Le client final reste très attentif à tout effet d'augmentation des prix lié au changement de monnaie. Ultra sensible au prix, il cherche à retrouver une échelle de valeur dès que cela lui est possible. « Cela dépend du temps de réflexion dont dispose le consommateur, explique Olivier Géradon de Vera, vice-président d'IRI Secodip. Pour des produits d'équipement, par exemple, il a le temps de traduire le prix en francs ; il peut donc restaurer une valeur connue. Pour des produits de grande consommation, le temps de traduction n'existe pas. Avez-vous déjà vu des clients qui font leurs courses hebdomadaires la calculette à la main ? » Même si les services bancaires, par exemple, ont été parmi les premiers à basculer en tout euro, le consommateur joue en permanence à un étrange ping-pong. Il reçoit sa fiche de paie en euros, la réestime en francs. Et inversement, achète un produit impliquant en euros s'il a pu le traduire pour qu'il corresponde à son budget en francs. Est-ce que les Français vont en profiter pour aller comparer les prix dans les autres pays d'Europe ? « Pour moi, c'est un faux débat, lance Olivier Macard, associé d'Andersen. Du moins pour la consommation, qui reste et restera locale. Par contre, ça a été un vrai enjeu pour les acheteurs professionnels qui ont anticipé les négociations bien avant le passage à l'euro. » Même si les écarts de prix deviennent transparents pour tout consommateur, « il est évident que le consommateur ne passera pas la frontière pour aller s'approvisionner hors de France, confirme Carole Vienne, directeur d'études chez GfK. Cela peut, à la rigueur, jouer sur la population des transfrontaliers ». En revanche, le commerce électronique, du moins pour les produits immatériels, offre un comparatif immédiat pour le consommateur. Les marques se retrouvent donc aujourd'hui face à un consommateur extrêmement exigeant. D'un côté, il veut avoir accès à des prix lisibles et faciles à utiliser, de l'autre, il demeure très attentif à toute variation tarifaire.

Guerre d'objectifs, défense d'image


Face à cet apprentissage de l'euro par les consommateurs, fabricants et distributeurs ont encore du mal à se positionner. Si bien que les nouvelles politiques de pricing mettent du temps à apparaître. Les prestataires d'études marketing ont tous été étonnés du manque de demande sur la question de l'évaluation des prix en euros. Le besoin s'est fait sentir très en amont, en fin d'année 2000, et repart seulement depuis mars 2002, coïncidant avec la fin de la période d'accord de stabilité des prix. Depuis l'adoption définitive de l'euro, les prix n'ont logiquement que peu évolué. La DGCCRF effectue tous les mois des relevés de prix sur environ 20 000 produits et services de grande consommation dans 2 900 points de vente, hypermarchés, supermarchés, magasins traditionnels et prestataires de services. Le relevé de mars 2002 conclut à un maintien de la stabilité des prix dans la grande distribution ainsi que dans les magasins de proximité d'alimentation générale. Dans le secteur de la boulangerie-pâtisserie, la hausse est limitée à 0,2 %. Mais, maintenant que l'accord de stabilité des prix est terminé, la guerre du prix en euros va-t-elle vraiment commencer ? Les fabricants vont-ils en profiter pour augmenter leurs prix ? « Il est clair que c'est une aubaine pour les fabricants, estime Gilles Gros. Puisque le consommateur a du mal à comprendre le prix, ils vont essayer de monter leurs tarifs, de la façon la plus sensée possible. » L'institut d'études Market Audit a mené récemment une étude pour la marque d'eau Cristalline. « En convertissant du franc en euro, le prix était positionné à 0,95 euro, explique Patrick Cru, le P-dg de la société. La conclusion de l'étude a été qu'il fallait monter le prix à 1 euro. Tous les consommateurs plébiscitaient un prix simplifié. Nous avons mené d'autres types de tests dans divers points de vente, comme les boulangeries. La réaction des clients face à des prix complexes était univoque : certains refusaient même de prendre la monnaie, sans se rendre compte qu'ils laissaient ainsi 30 ou 40 centimes à leur commerçant ! » Quelle va être l'attitude des grands distributeurs ? « Ils vont mettre une pression très forte pour que les prix ne flambent pas », remarque Patrick Gros. Tenus par leurs engagements de prix justes auprès de leur clientèle et pris dans un climat concurrentiel exacerbé, les distributeurs vont tenter de contenir leurs prix. C'est un enjeu d'image vital. Dans les secteurs non alimentaires, dans le textile, par exemple, ou les produits d'équipements ménagers, la fixation de prix adaptés à l'euro va s'avérer moins délicate à mettre en oeuvre. Une diminution des gammes de produits est envisageable, afin de garder des écarts de prix signifiants en linéaires. La mise en avant d'innovations produits pourra également permettre des réajustements tarifaires. Mais, à la lumière du comportement des consommateurs, l'effort de communication sur les prix et la simplification de l'offre seront les deux points clés de toute stratégie euro gagnante.

A quand le 100 % euro ?


Il reste à savoir quand le consommateur aura intégré totalement l'euro et retrouvera une sensibilité complète au prix. Le double affichage des prix continue de perdurer, même si, progressivement, les étiquettes sont toutes passées en euro majeur. L'enquête de la DGCCRF de mars 2002 constate qu'en hypermarchés, la pratique est toujours proche des 100 %. Dans les supermarchés, le chiffre tend à diminuer grâce aux enseignes de maxidiscount qui passent en tout euro.

Alain Renaudin (Ifop)

: "L'essentiel de l'arbitrage se fera de plus en plus entre deux produits de même catégorie et non plus entre le prix en francs et le prix en euros."





Dans les autres secteurs, 79,2 % des points de vente étudiés ont gardé les deux indications de prix. Interrogés, les distributeurs répondent qu'ils attendent de voir l'évolution du comportement des consommateurs. La consigne en interne est de conserver la pratique aussi longtemps que nécessaire. Le baromètre d'avril 2002 Ipsos-Le Journal du Dimanche confirme que les consommateurs apprécient de garder leurs repères en francs. 68 % des sondés veulent que le double affichage soit maintenu au moins jusqu'à la fin de l'année 2002, dont 35 % qui aimeraient le voir perdurer en 2003. Les répondants qui souhaitent l'arrêt de la pratique, au plus tard à la fin juin, sont moins nombreux qu'auparavant : ils sont seulement 31 % en avril 2002, contre 50 % deux mois auparavant.

L'avenir est dans la poche !


"Penser" en euros s'apparente à un processus d'apprentissage d'une langue étrangère. « Quand on interroge des expatriés, ils expliquent que, pour tous leurs achats impliquants, ils continuent de convertir les tarifs dans leur monnaie naturelle, lance Gilles Gros. Alors, on ne peut pas dire dans combien de temps on ne fonctionnera plus en francs. » Comment faire pour aider le consommateur à s'affranchir de sa monnaie "maternelle" ? « Faire perdurer le double affichage est un mauvais système, soutient Renaud Dédéyan. Plus on le conservera, plus on entretiendra le consommateur dans son échelle de référence en francs. » Sans pour autant stopper d'un coup le double affichage des prix, des mesures intermédiaires pourraient être appliquées. L'affichage en euros pourrait être testé uniquement sur des offres promotionnelles, conçues en prix ronds. Pour l'instant, les prix affichés en magasins restent ainsi calqués sur un système référentiel ancien : celui des billets en francs. Pourquoi tenter de créer des seuils psychologiques à 15 euros, qui se réfèrent à l'ancienne somme symbolique de 100 F ? « L'unité la plus courante dans le porte-monnaie du consommateur compte, remarque Alain Renaudin. On établit aussi des repères en fonction de ce que l'on a dans ses poches ! Le billet de 10 euros peut devenir un point de repère. » La monnaie physique joue systématiquement un rôle dans l'appréhension du prix par le consommateur. « La pièce de 10 F, les billets de 100 et 200 F étaient des références très fortes, poursuit Renaud Dédéyan. Lorsque l'on définit un prix, le nombre de pièces que le client doit utiliser pour payer est une donnée très importante. » Redéfinir globalement sa stratégie de prix, alors que le comportement d'achat du consommateur est encore difficile à cerner : n'est-ce pas trop tôt ? « Il est vrai que les services marketing manquent aujourd'hui encore de moyens pour prendre les bonnes décisions. De plus, la fixation du prix dans les entreprises reste toujours l'apanage des services financiers. Alors, dans cette période où la perception du prix est flottante, il est encore plus difficile pour les services marketing de prendre la main sur la politique de pricing », regrette Patrick Cru. Pourtant, les premiers enseignements de l'euro démontrent qu'il est nécessaire de concevoir une grille tarifaire simplifiée. L'évolution des politiques de prix devrait se faire progressivement, à l'occasion, par exemple, de lancements de nouvelles gammes. « Les marques sont encore attentistes, mais elles vont réagir au moment de leurs modifications de tarifs ou de lancements de nouvelles gammes », assure Carole Vienne. L'occasion n'est-elle pas belle de s'élire pionnier du pricing euro et de prendre une avance concurrentielle ? Avis aux amateurs.

« Il est illusoire de penser qu'il existe déjà des seuils de prix psychologiques en euros »


Georges Spitzer, président du directoire de Du Pareil Au Même

Comment vos consommateurs appréhendent-ils l'euro ?


Pour le moment, les consommateurs traduisent les prix en francs et les arrondissent. Il est illusoire de penser qu'aujourd'hui, il existe déjà des seuils de prix psychologiques. Nous sommes dans une période de transition et le consommateur se réfère encore aux anciens seuils en francs. En même temps, nous remarquons une sensibilité accrue au prix. Nos clients font bien plus attention qu'auparavant aux étiquettes de prix.

Votre étiquetage comporte les prix du produit dans les différents pays où il est distribué. Avec l'euro, cela pose-t-il problème ?


C'est forcément plus compliqué à gérer pour nous. Auparavant, le consommateur ne pouvait pas percevoir les différences de prix indiqués. Dans les points de vente français, l'effet de comparatif n'est pas gênant car les prix français sont les plus bas de la zone euro. En revanche, dans les magasins de la zone euro, nous allons supprimer la référence des prix pratiqués en France.

Vous pratiquez le double affichage en euros majeurs. Quand allez-vous y mettre fin ?


Dès le mois de septembre, pour la collection hiver. Nous n'avons pas effectué à cette occasion de changement dans notre structure de prix. Je crois que les seuils psychologiques vont progressivement se décaler et se reconstruire. Mais le temps d'apprentissage de l'euro sera forcément long. Sur notre site web, les prix des produits, calqués sur les référentiels de prix pratiqués en France, sont déjà indiqués en euros seuls.

Le passage à l'euro s'est-il traduit par une baisse de vos ventes ?


Il est extrêmement difficile d'isoler le facteur euro du contexte général. En termes de fréquence d'achats, l'euro n'a pas complètement bouleversé le consommateur.

Le challenge euro de La Française des Jeux


Il était vital de réussir le passage des prix en euros pour les deux gammes de produits de La Française des Jeux : les jeux de tirage et de pronostics et les jeux de grattage. Basés auparavant sur un référentiel extrêmement lisible en francs - 5 F, 10 F, 20 F -, la conversion simple du franc à l'euro aurait pu avoir l'effet d'une bombe. Le groupe "Projet Euro", constitué en interne en 1997, avait envisagé au départ tous les scénarios. « Nous avions imaginé, par exemple, de tout changer, d'arrêter les produits et d'ouvrir de nouveaux segments. Une autre piste consistait à convertir strictement du franc à l'euro. Une troisième était basée sur le passage de 3 à 5 segments de prix », se souvient Jean-Christophe Buvat, chef de projet euro. Quand ces différentes solutions avaient été présentées à des groupes consommateurs, le résultat était tombé comme un couperet. « Tous les consommateurs nous ont répondu : "Ne changez rien ! On veut garder les produits, on veut garder la structure de la gamme et on veut garder des prix ronds, avec un produit qui équivaut à une pièce de monnaie". » Aujourd'hui, les jeux de grattage sont disponibles pour 1, 2 ou 3 euros. Pour continuer à séduire le consommateur et réajuster sa politique de pricing, l'entreprise s'est lancée dans un grand brainstorming marketing. « Partout où les mises ont augmenté, les gains ont proportionnellement augmenté. De plus, pour certains produits, c'est la fréquence des gains qui a augmenté. » Une équation de rééquilibrage possible sans pertes grâce à l'actionnariat de La Française des Jeux. « Nous avons demandé à l'Etat l'autorisation de reverser des montants plus importants aux joueurs », reconnaît Jean-Christophe Buvat. Aujourd'hui, malgré une baisse - anticipée - des ventes, La Française des Jeux tient ses objectifs. « La plus grande surprise pour moi a été de constater que, malgré le bouleversement de la nouvelle monnaie, les joueurs, dans leur majorité, se sont reconfrontés rapidement à l'offre », explique Jean-Christophe Buvat. Comme l'ensemble des acteurs, il insiste également sur le besoin de compréhension du prix par le consommateur. Par exemple, sur les jeux de grattage, qui reposent pourtant sur une mécanique d'achat d'impulsion, le consommateur n'achète que s'il comprend réellement le prix. « Il ne faut pas croire que les consommateurs achètent sans avoir évalué le prix. Les clients jouent un budget, pas un ticket, et les premiers retours montrent qu'ils ont gardé le même budget jeux qu'avant le passage à l'euro, voire un peu moins. » Pour aider les joueurs à mieux appréhender l'euro, la double valeur des prix en francs et en euros restera certainement sur les tickets jusqu'à la fin de l'année.

Les leçons européennes


Un sondage réalisé en mars 2002 par EOS Gallup Europe, à la demande de la Commission Européenne, fait le point sur les opinions des Européens sur leur nouvelle monnaie. La conversion des prix : 74 % des Européens ont l'impression que la conversion des prix de leur monnaie nationale en euros s'est faite en leur défaveur. Les Français se situent au-dessus de la moyenne, puisqu'ils sont 77 % à partager cette opinion. 21 % d'entre eux estiment que les hausses et baisses de prix se compensent. Le comportement d'achat : 68 % des Européens déclarent qu'ils n'ont rien changé à leurs habitudes d'achat. Les Français sont encore plus nombreux à n'avoir pas modifié leurs comportements : 78 % d'entre eux le pensent. C'est en Irlande et en Allemagne que les habitudes d'achat ont été les plus modifiées, essentiellement à la baisse. D'une manière générale, ce sont les femmes, ainsi que les jeunes de 15-24 ans, qui ont le plus modifié leurs habitudes d'achat. L'échelle de référence : seulement 17 % des Européens utilisent l'euro comme monnaie de référence lors de leurs achats. A l'inverse, 49 % des sondés calculent toujours les prix dans leur monnaie nationale. La France est sur la même tendance : 14 % des sondés déclarent penser en euros et 43 % en francs. Aux Pays-Bas, en Italie et en Allemagne, plus de la moitié de la population compte toujours mentalement dans sa monnaie respective. Le convertisseur : seulement un Européen sur cinq en fait un usage régulier. Le Français est un champion de l'usage de la calculette : 33 % des répondants l'utilisent régulièrement ou systématiquement. Au Luxembourg, au Portugal, aux Pays-Bas, en Finlande et en Allemagne, le convertisseur a quasi disparu : entre 84 et 95 % des personnes déclarent ne jamais l'utiliser ou de temps en temps. Le double affichage : 77 % des Européens estiment qu'il a fortement contribué, dès 2001, à la familiarisation à la monnaie unique. Les Français - 82 % - sont nombreux à le reconnaître, comme les Espagnols, les Irlandais et les Portugais.

La Xbox revient de très loin...


Lancée à grand renfort de publicité, la "révolutionnaire" console de jeu de Microsoft n'aura tenu que cinq semaines au prix de 479 euros pour revenir rapidement sur terre à 299 euros. Soit le prix de sa concurrente directe, la PS2 de Sony. Du jamais vu sur ce secteur de haute technologie où la baisse des prix n'intervient que plusieurs mois après l'installation des produits. Comme cela avait été le cas pour la PS2 de Sony, lancée à la fin de l'année 2000 aux alentours des 450 euros pour redescendre à 299 euros un an après. Cette erreur de positionnement de Microsoft en dit long sur l'importance du prix psychologique dans toute mécanique de lancement. Car si le fabricant a voulu logiquement se positionner sur le haut du panier des consoles de jeu, il a surestimé le plus technologique perçu par les utilisateurs potentiels de sa console et surtout sous-estimé leurs habitudes. « Ce qui est important dans le domaine des jeux vidéo, ce sont à la fois les fonctionnalités du hardware proposé, mais également le catalogue de jeux qui va avec », explique-t-on chez un des concurrents de Microsoft. A 479 euros la XBox se positionnait certes seulement 7 % plus cher que la PS2 lors de son lancement, mais 60 % plus chère que la même console concurrente aujourd'hui ! Sans compter des jeux également plus chers que ceux de sa concurrente. Microsoft a simplement voulu casser le prix psychologique du marché, comme l'avait fait deux ans avant lui Sony. Mais deux révolutions en deux ans, c'est trop. Cette erreur stratégique devrait coûter cher au fabricant, qui avouait déjà ne pas gagner d'argent sur sa console mais qui, du même coup, voit son image égratignée sur le marché de la vidéo. En outre, Nintendo en a profité pour baisser le prix de sa nouvelle GameCube, avant même son lancement, de 250 à 199 euros, histoire de renforcer son positionnement sur les plus jeunes.

Paule Schanders

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