Le patient au coeur du marketing pharmaceutique
En france, en mai, certains médicaments, comme les OTC (délivrés sans prescription médicale et non remboursables), vont pouvoir s'acheter en libre service dans les officines. Le début d'une petite révolution marketing pour le secteur pharmaceutique.
Je m'abonneEn mai prochain, il sera possible de choisir directement son sirop pour la toux ou sa pommade antifongique sans les demander préalablement à son pharmacien. Près de 300 médicaments pourront ainsi passer devant le comptoir aux côtés des cosmétiques et de la parapharmacie. Cette liste est composée d'antalgiques, d'antitussifs, de produits de sevrage antitabagique, de médicaments ORL, dermatologiques ou des spécialités utilisées en gastroentérologie, ophtalmologie, même si des précisions restent à apporter sur le champ des médicaments couverts par la mesure (comme les antidouleurs par exemple). Si le quidam ne voit pas forcément d'emblée la portée de la réforme, cette décision suscite, en revanche, une forte polémique dans le secteur pharmaceutique. Car cela va créer «une petite révolution, affirme Claude Le Pen, économiste de la santé à l'université Paris-Dauphine. Ce changement va notamment permettre de créer un vrai marché de l'automédication et, en particulier, celui des OTC (over the counter: médicaments sans prescription médicale et non remboursables, NDLR) longtemps resté le parent pauvre du marché pharmaceutique. De plus, cela va changer la donne concernant le marketing de ces produits.»
Depuis longtemps, en effet, laboratoires pharmaceutiques et pharmaciens s'opposent sur ce sujet. Les seconds y voyant une porte ouverte à une dérégulation plus large de ce secteur, à l'image de ce qui a pu se faire dans certains pays européens comme le Royaume-Uni, le Danemark, l'Italie ou encore l'Allemagne. En France, en revanche, le monopole de la délivrance des médicaments par les officines libérales privées tient encore bon. Mais pour combien de temps? Cette absence de concurrence, extrêmement critiquée par Bruxelles, a récemment été remise en cause par les rapports Attali et Beigbeder remis à Luc Chatel, secrétaire d'Etat à la consommation. Lequel s'est lui-même prononcé en faveur de l'ouverture du marché pharmaceutique à la grande distribution...
Une première étape?
«En autorisant le libre accès des OTC dans les pharmacies, le ministre de la Santé, Roselyne Bachelot, a bien évidemment ouvert la voie à la mise à disposition de certains médicaments en GSA ou GSS», affirme Xavier Moinier, maître de conférences à la faculté de sciences économiques de Poitiers et auteur du livre La stratégie marketing de l'entreprise officinale
Le changement induit par cette «première étape» est donc loin d'être anodin. Pour les pharmaciens d'abord, car ils vont devoir développer leur valeur ajoutée, en insistant encore davantage sur le conseil et le relationnel. «Cela va également favoriser le développement de réseaux de pharmacies, comme Giphar ou Viadys. Ces derniers sont dans les starting-blocks, notamment au niveau du merchandising», prévient Xavier Moinier. Mais la mesure va également avoir un impact fort pour les laboratoires pharmaceutiques. «Nous allons être davantage dans une logique de marque», affirme ainsi Benoît Gallet, directeur de la communication et corporate affairs de Bristol Myers Squibb France (BMS) et secrétaire général de l'Afipa (association française de l'industrie pharmaceutique pour une automédication responsable) .
Vers une logique de marque
Alors que de nombreux médicaments existent pour le traitement d'une même pathologie, les laboratoires vont, en effet, devoir se battre pour apparaître en bonne place dans les rayons et se distinguer de leurs concurrents. Au programme donc, tout un travail sur le packaging, le merchandising et la communication. Chez BMS, par exemple, le pack fait l'objet d'une réflexion destinée, d'une part, à augmenter la visibilité du médicament et, d'autre part, à clarifier l'information pour la rendre plus accessible au client. De même, chez GSK Santé grand public, le conditionnement fait l'objet de toutes les attentions. «Nous cherchons notamment à aller vers plus de praticité, explique Vincent Cotard, président de GSK santé grand public. C'est ce que nous avons fait pour Niquitin en créant un format moins connoté médicament et facile à glisser dans la poche.» Pour Claude Le Pen, le développement de marques ombrelles et une forte extension des gammes sont également à prévoir.
Mais comment les génériques, aujourd'hui largement poussés par les autorités de santé, vont-ils trouver leur place dans cette nouvelle configuration? «Il sera d'autant plus difficile pour des génériques, que l'on peut comparer aux MDD et, pour certains, aux premiers prix dans la grande consommation, de s'imposer dans ce contexte», confirme Régis Martin d'André, directeur marketing de Biogaran. Résultat: ces médicaments devront jouer entre le low cost et la logique de marque. C'est ce qu'a d'ores et déjà entamé Biogaran, premier génériqueur français à avoir signé une campagne de publicité corporate grand public il y a deux ans. Avec succès: le laboratoire a gagné 18 points de notoriété spontanée grâce à celle-ci.
Autre grand changement induit par la réforme: la communication. Celle-ci va indubitablement s'orienter davantage sur le patient/ consommateur, de plus en plus mis à contribution financièrement. Contrairement aux médicaments nécessitant obligatoirement une prescription médicale, les OTC peuvent, en effet, faire l'objet de publicités directement destinées au grand public, à condition d'obtenir un visa préalable de l'Afssaps. Là encore, les produits de sevrage tabagique pourraient servir de référence. Car aujourd'hui, les laboratoires pharmaceutiques ont développé tout un arsenal de communication autour de ces médicaments par le biais de la télévision, des RP, de sites internet, de vidéos virales, de livrets d'information, de hot Unes d'aide au suivi, etc.
Une communication plus directe
«La part donnée au libre choix devrait inciter les grandes marques à intensifier la pression publicitaire», affirme Eric Romoli, p-dg et directeur de création d'Arsenal\TBWA Worldhealth. Si les agences de communication et les gros laboratoires s'en réjouissent, les PME du secteur 1 voient ce tournant d'un mauvais oeil, à l'image du laboratoire Cooper. «Cela va redonner du pouvoir aux laboratoires internationaux qui ont de gros moyens de communication. Et développer une logique de «vu à la télévision» comme cela se fait outre-Atlantique», glisse Gilles Alberti, son directeur développement stratégies. Aux Etats-Unis, où la publicité directe a été autorisée en 1997, les dépenses marketing se sont, en effet, envolées jusqu'à atteindre 57,5 milliards de dollars en 2004, soit près du double des dépenses en recherche et développement (29,6 milliards de dollars), selon une étude canadienne
Car globalement, les budgets marketing des laboratoires, que ce soit pour l'automédication ou les médicaments de prescription, sont plutôt en voie de réduction. En cause, la crise du business modèle du marché pharmaceutique lui-même. Celui-ci, jusqu'à présent basé sur les blockbusters - c'est-à-dire les médicaments qui génèrent plus d'un milliard de dollars de chiffre d'affaires -, est sur le point de céder le pas à un marché de niche. Les brevets des grands médicaments tombent, en effet, les uns après les autres, ouvrant la voie à leur commercialisation sous génériques. Lesquels ne cessent de prendre des parts de marché. Dans le nouveau modèle, il ne s'agit donc plus de traiter des millions de patients avec un seul médicament mais seulement quelques milliers, avec des médicaments très spécialisés et des coûts de traitement beaucoup plus élevés.
Un marketing à repenser
«Les professionnels s'attendent à une baisse des dépenses marketing de l'ordre de 20 à 30% et à une diminution des chefs de produits dans les prochaines années», soutient Jean-Claude Andréani, professeur de marketing pharmaceutique à l'ESCP-EAP. Des coupes drastiques commencent ainsi à être opérées sur le premier poste du budget marketing des laboratoires, à l'instar des visites médicales aux médecins, comptant pour près de 70% de leurs budgets promotionnels. Jusqu'à présent, le succès d'un médicament était très corrélé à la pression médicale. Or, ce principe est de moins en moins vrai car la législation encadre et réduit de plus en plus ces pratiques très critiquées - notamment par un rapport récent de l'Igas (inspection générale des affaires sanitaires) - et qui ont très mauvaise presse dans l'opinion publique. «En fait, c'est tout le marketing pharmaceutique qui est en train de se redimensionner», soutient Jean-Claude Andréani. De nouveaux acteurs, en particulier les patients et les organismes payeurs et de régulation, font notamment leur apparition. En amont, «le marketing pharmaceutique se pilote dorénavant à quatre mains entre les laboratoires et les payeurs», explique le professeur. La Caisse nationale d'assurance maladie a ainsi embauché 700 délégués à l'assurance maladie pour faire le «contre marketing» des médicaments et inciter les médecins à faire moins de prescriptions. Parallèlement, l'organisme public mène des actions marketing qui n'ont rien à envier aux marques de grande consommation, usant de la télévision comme des nouveaux médias (podcasts, univers virtuels, etc.) pour informer les patients sur une pathologie ou pour modifier un comportement (antibiotiques, génériques...).
Regrouper les acteurs
De son côté, le cabinet de conseil PricewaterhouseCoopers envisage, dans un rapport intitulé Pharma 2020, un remplacement des forces de ventes des laboratoires par des «gestionnaires de grands comptes» comme cela se pratique d'ores et déjà dans le milieu de la finance par exemple. «Pour l'instant, nous sommes dans le «chacun pour soi», mais nous préconisons un regroupement de tous les acteurs intervenant sur une même pathologie. Plusieurs laboratoires, par exemple, pourraient rencontrer ensemble le gouvernement et les organismes payeurs, pour informer sur l'efficacité des médicaments», explique Anne-Christine Marie, associée de PricewaterhouseCoopers en France, secteur de l'industrie pharmaceutique. Certains laboratoires pourraient même se grouper pour vendre des «lots» de médicaments, comprenant des traitements de marque, des génériques et des produits OTC pour des segments spécifiques de patients. Plus généralement, il s'agit, en fait, de passer de la promotion d'un médicament à une information sur une pathologie et/ou sur son traitement global. Et là encore, c'est donc le patient, dans sa dimension individuelle ou collective (par le biais d'associations) qui va être replacé au centre de toutes les attentions. Ainsi, une partie de l'industrie pharmaceutique a-t-elle fait du «droit à l'observance» son cheval de bataille. L'idée serait notamment que les laboratoires financent directement des services d'aide à la personne, des livraisons à domicile, une surveillance du suivi thérapeutique, etc.
Aujourd'hui difficile à mettre en oeuvre en France du fait de l'interdiction de communiquer directement auprès du patient, le suivi des traitements par les laboratoires pharmaceutiques est pourtant une réalité dans certains pays d'Europe comme la Grande-Bretagne. PricewaterhouseCoopers se prenant d'ailleurs à rêver d'une agence paneuropéenne chargée d'harmoniser les législations particulièrement disparates dans le domaine pharmaceutique... Pour l'heure, les laboratoires misent sur le soutien à des associations de patients. Et surtout, multiplient les communications grand public ou spécialisées sur différentes pathologies. Des campagnes réalisées avec l'aide de tiers et sans mise en avant de leurs médicaments. Reste encore à réaliser un travail sur l'image même des laboratoires pharmaceutiques. Aujourd'hui, leur cote est à mi-chemin entre celle de l'industrie du pétrole et celle du tabac...
Vincent Cotard (GSK grand public):
«La nouvelle mesure va modifier nos relations avec les officines et nous donner un travail sur les marques.»
Anne-Christine Marie (Pricewater-houseCoopers):
«Nous préconisons un regroupement de tous les acteurs qui interviennent sur une même pathologie.»
Le marché de l'automédication prend son envol
Longtemps à la traîne en France, l'automédication - et la vente d'OTC en particulier - est désormais sur un trend favorable selon les chiffres d'IMS Health, publiés en février. En 2007, les ventes de médicaments sans ordonnance - qui comptent pour 13 % des ventes pharmaceutiques totales et 6,1 % en valeur - ont ainsi augmenté de 4,4%. Elles représentent désormais 1,9 milliard d'euros, soit 423 millions de boîtes. Parmi celles-ci, les OTC concernent 287 millions d'unités et 1,57 milliard d'euros, soit une hausse de 2,6 % en volume et de 3,9 % en valeur. Une dynamique en partie portée par les marques à forte notoriété qui font de la promotion auprès du grand public mais qui est encore freinée par la culture française de la gratuité de la santé. Ainsi, selon le professeur de marketing pharmaceutique Jean-Claude Andréani, le patient français serait prêt à débourser seulement 15 euros en moyenne pour une «visite» en pharmacie, sachant que le prix public moyen d'un OTC est de l'ordre de 5,47 euros. Même si la nouvelle mesure va permettre de donner un coup de fouet au marché de l'automédication, il ne s'agit donc pas d'attendre un miracle, d'autant plus que certains pharmaciens ne s'y plieront pas. L'Afipa bataille donc pour que les autorités de santé lancent une campagne d'envergure en faveur de l'automédication, à l'image de ce qui a été réalisé pour promouvoir les génériques ou informer sur la prescription d'antibiotiques. Selon l'association, l'automédication permettrait à la Sécurité sociale d'économiser 2,6 milliards d'euros.
77% des Américains achètent des médicaments OTC pour des pathologies bénignes générant, en 2006, un chiffre d'affaires de 22 à 23 milliards de dollars.
(Source: débat de la Mutualité française)