Le jeu vidéo, au-delà de l'entertainment
Entre violence et repli identitaire, le jeu vidéo est accusé de tous les maux. Pourtant, ce marché en plein essor dépasse, aujourd'hui, la sphère du divertissement. Certaines valeurs thérapeutiques lui sont attribuées par les psychologues et il fait son entrée dans le monde de l'entreprise.
Le jeu vidéo, réservé aux jeunes branchés et autres «geeks»? Plus maintenant. D'après une étude réalisée par TNS Nipo Technology et Gamesindustry.com, 25 millions de Français y sont accros, soit un tiers de la population. Aussi, en dépit d'une conjoncture peu favorable, le jeu vidéo ne connaît pas la crise. Il devrait atteindre un chiffre d'affaires mondial de 73 milliards de dollars en 2013, contre 47 milliards il y a encore deux ans (source: Scholè Marketing).
D'où vient cette croissance? Principalement de l'apparition des consoles next-gen, comme la PlayStation 2 de Sony (123 millions d'exemplaires vendus dans le monde) ou la Xbox de Microsoft (26 millions d'exemplaires écoulés). Introduites dès 2005, ces consoles ont boosté le marché. Une révolution technologique majeure qui a provoqué un effet de masse. Au point que les femmes et le troisième âge s'y sont mis aussi! « Les éditeurs ont été assez malins pour sortir du hard core gamer (joueur inconditionnel) et s'adapter à tous les publics », explique Nicolas Amestoy, directeur du cabinet Scholè Marketing. Par exemple, Wii Sports (jeu pour la console Wii de Nintendo), avec 46 millions d'exemplaires, est le plus vendu au monde. Les Lapins Crétins: bêtas et régressifs? Qu'importe, puisqu'il s'est écoulé à 6,5 millions de copies. Autant de best-sellers qui contredisent l'image violente que véhiculent les jeux vidéo.
« Le héros le plus connu au monde est celui qui saute sur des champignons », affirme Julien Chièze, journaliste et cofondateur de Gameblog.fr, évoquant Mario Bros. Alors le jeu vidéo est-il toujours, selon les propos de Nadine Morano, secrétaire d'Etat à la famille et à la solidarité, « violent et amoral »? « Au début du siècle dernier, les boucs émissaires étaient le cinéma puis, plus tard, le rock. Aujourd'hui, c'est le jeu vidéo, analyse Thomas Gaon, psychologue clinicien en addictologie et membre de l'Observatoire des mondes numériques en sciences humaines (OMNSH), Comme eux, il rentrera à son tour dans les moeurs. »
Depuis plusieurs années, des techniques d'apprentissage par le jeu, comme des simulateurs de vol, des ascenseurs ou ponts virtuels, sont utilisées pour le traitement de phobies. Des outils que le monde de l'entreprise commence à plébisciter pour recruter ou former. Les acteurs économiques se prennent au jeu!
Les jeux font leur cinéma
- Super Mario Bros, Resident Evil, Street Fighter... sans pour autant atteindre les podiums du box-office, l'adaptation cinématographique d'un jeu vidéo n'est pas une nouveauté. « Pendant longtemps, le cinéma s'est placé dans un rôle d'observateur du jeu vidéo, constate Julien Chièze cofondateur de Gameblog.fr. Aujourd'hui, les deux industries ont arrêté les politesses pour enfin discuter. »
Symbole de cette entente: Avatar. « Pour réaliser ce film, le réalisateur James Cameron a entièrement collaboré, l'équipe du jeu vidéo d'Ubisoft », précise Julien Chièze. Par ailleurs, soucieux de se positionner à la frontière entre jeu vidéo et cinéma, l'éditeur français a conçu un véritable film d'animation (de 40 minutes!) pour la sortie, l'hiver dernier, de son jeu Assassin's Creed .
Les jeux, révélateurs de leaders
- Les jeux vidéo en ligne massivement multijoueurs (MMOG pour «Massively Multiplayer Online Games») sont des instigateurs de lien social. Véritable microsociété, le jeu en ligne implique l'intégration de nouvelles normes (entraide, complémentarité, communication...) pour franchir les niveaux. Au point qu'il peut révéler des talents chez le joueur. Par exemple, le jeu de stratégie World of Warcraft: « Une personne capable de diriger une guilde de 50 personnes dispose de qualités managériales souvent insoupçonnées par son entreprise », observe Stéphane Natkin, directeur de l'Ecole nationale du jeu et des médias interactifs numériques (Enjmin).
Les jeux gagnent l'entreprise
- Du recrutement à la formation professionnelle le jeu vidéo met ses qualités au service de l'entreprise. On l'appelle le «serious game». En 2002, l'armée américaine l'avait expérimenté sur Internet pour recruter et valoriser son image. Une méthode que la société Cegos a reprise à son compte en créant Mission to sell, un jeu pour les commerciaux. Le programme met un client face à un vendeur et propose des mises en situation à difficultés progressives, paramétrées selon le profil du joueur. Pascal Debordes, directeur des solutions e-learning de Cegos, l'a testé: « J'ai échoué. Le client s'est absenté lors du rendez-vous. Quand il est revenu, il m'a surpris en train d'inspecter son dossier. Conséquence, j'ai perdu tous mes points et j'ai dû recommencer. »
Soigner par le jeu
- Le jeu vidéo: un antidépresseur efficace? « Si les gens jouent davantage aux jeux vidéo en temps de crise, c'est pour ne pas être pris par la réalité », explique Thomas Gaon, psychologue clinicien. Autrement dit, plus ça va mal, plus on se divertit. Mais pas seulement dans le but de s'isoler du monde extérieur. En effet, pour Michael Stora, psychologue et psychanalyste, le jeu vidéo contient des valeurs thérapeutiques. Ainsi, tuer des zombies contribuerait à évacuer l'agressivité et le sadisme. « En jouant, on peut se venger d'une situation que l'on a mal vécue, explique-t-il. De même, par un système de récompenses, on peut combler le manque de reconnaissance de la vie réelle et regagner l'estime de soi. »