Le design, incubateur du futur
N'est-il pas prétentieux de dire que le design éclaire le futur ?… Pourtant, au sens littéral du terme, le design rend visuellement perceptibles des tendances sociologiques mouvantes, mais non formalisées. Il renouvelle ou crée des codes qui modifient notre environnement et laisse ses empreintes.
Dans le domaine du design graphique, les signes témoignent de mouvances en
plein épanouissement. Notre vision de l'espace a en effet changé. La
mondialisation et l'accélération des flux ont fait rétrécir la planète. Même
les distances générationnelles s'amenuisent. Par ailleurs, la vie semble moins
compartimentée : on travaille chez soi, on aime faire plusieurs choses à la
fois (essor des produits multifonction), dans l'habitat, les pièces ne sont
plus mono-fonctionnelles, ni réservées à un seul membre de la famille. Les
identités visuelles des marques revêtent cette mouvance. Elles s'affranchissent
du mono-discours industriel et statutaire pour embrayer sur une relation
“one-to- one”. En graphisme, on est passé petit à petit de l'âge de la pierre
(l'identité comme piédestal) à l'âge du “vivant”. Hier, la marque était une
institution, aujourd'hui, elle est un individu. L'expression visuelle est
désormais le battement de cœur de la marque et se charge en émotion. Si les
signes d'aujourd'hui rapprochent, c'est qu'ils dévoilent aussi une aptitude à
embrayer sur une relation de plus en plus physique et sensuelle avec
l'environnement.
Dimension physique et immédiateté
Puisqu'il n'y a plus de cloisons, la dimension physique prend de l'ampleur.
D'autant plus que les peurs alimentaires, environnementales, le terrorisme
renvoient à des besoins de protection, à la volonté de vivre à 100 % le moment
présent d'où un besoin de sensations immédiates. En typo, le retour du
manuscrit et la prépondérance des minuscules confèrent aux signes une dimension
humaine. Les typos prennent également du relief, revêtent une texture ou
gagnent en luminosité. C'est ainsi que la lecture mentale (de gauche à droite)
fait place à une lecture physique, une lecture sensorielle. Même chose sur le
plan iconographique. Dans la création packaging, on est passé de l'illustratif,
une interprétation du réel qui demande un effort mental, à la photographie,
sublimation du réel, qui procure une expérience physique immédiate. Le pack
gagne en présence, il devient un être vivant. C'est ce qui nous a amené à
mettre en scène des visuels de personnes sur les packagings, démarche
rupturiste il y a six ans, mais plébiscitée aujourd'hui parce que l'humain est
la dimension aspirationnelle du moment. Dans notre métier, les frontières entre
l'image et l'objet sont de plus en plus poreuses, la réunion des deux
permettant l'expérience émotionnelle. Aujourd'hui, une table est un plateau
avec quatre pieds. Les portes sont lisses, sans fioritures. Bref on va à
l'essentiel en évitant les détours. Il est certain que le Net et la téléphonie
nouvelle génération ont fait de l'immédiateté une norme établie. Aujourd'hui,
on veut de la transparence pour accéder directement au produit - et ainsi
réduire les distances entre désir et assouvissement. Le recours aux étiquettes
translucides, à la sérigraphie (eaux minérales collector), l'attrait pour la
photo macro (qui met le produit en bouche) ou encore le développement des packs
multifonction (Nutella + biscuits + thé) incarnent fortement cette réalité.
Domestication et nomadisme technologique Du bureau, la technologie est passée à
la maison puis dans la poche, elle est désormais aussi proche, indispensable et
renouvelable qu'un vêtement. L'high tech a une couleur. Le métal brossé. Plus
neutre et plus lumineux que le noir, ce ton s'intègre parfaitement dans
l'univers de la maison, charme notre ego (métal semi-précieux ?), et marque
implicitement notre appartenance au troisième millénaire. Typo et packs
prennent cette tangente dès qu'il s'agit d'exprimer un concept d'avant-garde ou
une technologie de pointe. Créer pour demain, c'est mettre en formes, en
couleurs et en images, de nouvelles attitudes. A suivre...