Le Temps des Marques et des Presbytes
«Les affections de la vision ont déjà fourni matière à comparaison avec le
monde du marketing et des marques. Dès 1960, Ted Levitt parlait de “Marketing
Myopia”. Il affirmait que le rôle des entreprises était de participer au
travers des marques à la satisfaction des consommateurs plutôt qu'à la
globalisation simplificatrice des produits au niveau mondial. Les craintes
étaient fondées. Le monde se globalise et cette affection oculaire des plus
répandues s'est bien installée. Mais, en vieillissant, en passant du marketing
au branding, de la segmentation à la stratégie, les marketeurs ont aussi
“endossé” la pire des affections oculaires : la presbytie. On a désormais le
sentiment que, lorsque l'on parle de marques, on croit tous voir quelque chose,
une sorte d'image floue et souvent brouillée. Au fur et à mesure que l'on
s'approche du produit, ni les consommateurs, ni les marketeurs, perdus au
milieu de techniques CRM et d'études complexes, ne voient plus rien de
concret. Après 45 ans de marketing, de 1960 à nos jours, c'est, somme toute,
une affection presque normale. Mais celle-ci est irréversible et prépare
généralement la cécité. Comme les consommateurs ne comprennent plus ce qu'on
leur propose sous le nom d'une marque qu'ils affectionnaient jusque là, les
marketeurs, penchées sur des études désormais muettes ou trop riches,
n'arrivent plus à prendre de décisions. Reste une vague idée des produits à
vendre sous la marque, une idée d'une vague valeur, qui sous-tend le segment
plus que la marque, et pas du tout de certitude sur ce qui devrait être le
fondement même de chaque marque : “Qu'apporte-t-elle vraiment au consommateur
?”. Or, la marque a pour vocation d'être “un repère mental sur un marché”,
c'est-à-dire de donner au consommateur et au marketeur qui la pilote la vision
précise d'une différence et d'un apport tangible et intangible sur son segment
de marché.
La marque comme vision accrue
Les brand
managers sont bien obligés de reconnaître que trois types de presbyitie nous
ont atteints : • Les consommateurs ne voient plus ce qu'apportent
collectivement les marques. Ils s'en détournent en faveur du hard discount (le
monde du no name) et certains parlent désormais “d'idéologie marketing” pour
souligner les dérives de cette presbytie collective. • Les chefs de produits
ne savent plus comment positionner leurs marques sur des marchés sur-saturés de
produits, d'extensions et de communication. Les études se superposent et la
presbytie s'accroît. • Les consommateurs et les marketeurs se sont perdus dans
la complexité des produits vendus sous chaque marque, des formes, des
contenants, des goûts, des couleurs, des niveaux de prix de chaque produit
proposé jusqu'à la “customization”, présentée comme le stade ultime du
“branding” et qui est, en fait, le stade avancé de la cécité. Après 45 ans de
“marketing contemporain”, c'est-à-dire de “marketing de marque”, les techniques
ont pris le dessus, la logique financière du Premium s'est imposée comme une
évidence systémique, et la démesure est devenue la règle. Pour les grandes
marques, le “Temps des Presbytes” s'est installé avec ses cohortes d'actions
répétitives sans visibilité comme si la machine du “branding” tournait
désormais à vide. Parallèlement, dans tous les secteurs, renaissent des
“petites marques”, plus attributives, plus locales, plus “segmentantes”.
Celles-ci ont une vision du marché, savent où aller et font tout pour y
arriver. La marque est bien le reflet de notre capacité à appréhender le monde
entre la tentation du gigantisme presbyte et rassurant et celle de la taille
précaire. La question n'est plus celle de chaque marque, mais celle du
portefeuille: combien de marques et de quel type pour couvrir son marché ?
Comme actif de l'entreprise, chaque marque a une fonction économique très
précise à jouer. Comme dans toute construction, il faut des pierres angulaires
et des pierres d'appoint. Cessons d'être craintifs, le temps des marques et des
presbytes est le reflet du mouvement de la vie. »
« La Presbytie est une difficulté dans la vision de près qui se développe avec l'âge par suite d'une atténuation physiologique du pouvoir d'accomodation… L'adaptation à la vision de près devient, donc, impossible, mais une correction n'est habituellement pas nécessaire avant 45 ans. »