Recherche

Le Temps des Marques et des Presbytes

Il en est du marketing comme des humains. Avec l'âge, survient la presbytie. Marketeurs et consommateurs ont perdu la vision de près. Le diagnostic de Georges Lewi.

Publié par le
Lecture
4 min
  • Imprimer


«Les affections de la vision ont déjà fourni matière à comparaison avec le monde du marketing et des marques. Dès 1960, Ted Levitt parlait de “Marketing Myopia”. Il affirmait que le rôle des entreprises était de participer au travers des marques à la satisfaction des consommateurs plutôt qu'à la globalisation simplificatrice des produits au niveau mondial. Les craintes étaient fondées. Le monde se globalise et cette affection oculaire des plus répandues s'est bien installée. Mais, en vieillissant, en passant du marketing au branding, de la segmentation à la stratégie, les marketeurs ont aussi “endossé” la pire des affections oculaires : la presbytie. On a désormais le sentiment que, lorsque l'on parle de marques, on croit tous voir quelque chose, une sorte d'image floue et souvent brouillée. Au fur et à mesure que l'on s'approche du produit, ni les consommateurs, ni les marketeurs, perdus au milieu de techniques CRM et d'études complexes, ne voient plus rien de concret. Après 45 ans de marketing, de 1960 à nos jours, c'est, somme toute, une affection presque normale. Mais celle-ci est irréversible et prépare généralement la cécité. Comme les consommateurs ne comprennent plus ce qu'on leur propose sous le nom d'une marque qu'ils affectionnaient jusque là, les marketeurs, penchées sur des études désormais muettes ou trop riches, n'arrivent plus à prendre de décisions. Reste une vague idée des produits à vendre sous la marque, une idée d'une vague valeur, qui sous-tend le segment plus que la marque, et pas du tout de certitude sur ce qui devrait être le fondement même de chaque marque : “Qu'apporte-t-elle vraiment au consommateur ?”. Or, la marque a pour vocation d'être “un repère mental sur un marché”, c'est-à-dire de donner au consommateur et au marketeur qui la pilote la vision précise d'une différence et d'un apport tangible et intangible sur son segment de marché.

La marque comme vision accrue


Les brand managers sont bien obligés de reconnaître que trois types de presbyitie nous ont atteints : • Les consommateurs ne voient plus ce qu'apportent collectivement les marques. Ils s'en détournent en faveur du hard discount (le monde du no name) et certains parlent désormais “d'idéologie marketing” pour souligner les dérives de cette presbytie collective. • Les chefs de produits ne savent plus comment positionner leurs marques sur des marchés sur-saturés de produits, d'extensions et de communication. Les études se superposent et la presbytie s'accroît. • Les consommateurs et les marketeurs se sont perdus dans la complexité des produits vendus sous chaque marque, des formes, des contenants, des goûts, des couleurs, des niveaux de prix de chaque produit proposé jusqu'à la “customization”, présentée comme le stade ultime du “branding” et qui est, en fait, le stade avancé de la cécité. Après 45 ans de “marketing contemporain”, c'est-à-dire de “marketing de marque”, les techniques ont pris le dessus, la logique financière du Premium s'est imposée comme une évidence systémique, et la démesure est devenue la règle. Pour les grandes marques, le “Temps des Presbytes” s'est installé avec ses cohortes d'actions répétitives sans visibilité comme si la machine du “branding” tournait désormais à vide. Parallèlement, dans tous les secteurs, renaissent des “petites marques”, plus attributives, plus locales, plus “segmentantes”. Celles-ci ont une vision du marché, savent où aller et font tout pour y arriver. La marque est bien le reflet de notre capacité à appréhender le monde entre la tentation du gigantisme presbyte et rassurant et celle de la taille précaire. La question n'est plus celle de chaque marque, mais celle du portefeuille: combien de marques et de quel type pour couvrir son marché ? Comme actif de l'entreprise, chaque marque a une fonction économique très précise à jouer. Comme dans toute construction, il faut des pierres angulaires et des pierres d'appoint. Cessons d'être craintifs, le temps des marques et des presbytes est le reflet du mouvement de la vie. »


« La Presbytie est une difficulté dans la vision de près qui se développe avec l'âge par suite d'une atténuation physiologique du pouvoir d'accomodation… L'adaptation à la vision de près devient, donc, impossible, mais une correction n'est habituellement pas nécessaire avant 45 ans. »

Georges Lewi, directeur général du BEC-institute

S'abonner
au magazine
Se connecter
Retour haut de page