Le Japon, Eldorado du marketing?
Les marques japonaises n'en finissent pas de surprendre. La performance de leur marketing est assurément la clé de leur longévité. Qui repose avant tout sur la qualité de leurs produits. tiraillé entre tradition et modernité, le pays reste encore et toujours un grand fabricant de marques à succès.
Je m'abonnePays insulaire de l'Asie de l'Est, je suis situé dans l'océan Pacifique. Ma population vit encerclée de volcans et subit plus de 100 microséismes par jour. Je suis connu dans le monde entier pour mes buildings, ma société d'hyperconsommation, ma force d'innovation dans les hautes technologies ainsi que le succès international et transgénérationnel de mes marques. Sony, Asics, Nintendo, Onitsuka Tiger, Toyota, Casio, Nissan, Shiseido, et plus récemment Uniqlo sont une brève illustration de ma puissance dans le monde. Qui suis-je? Le Japon, bien sûr, qui fascine et intrigue à la fois. Surtout en France, où le japonais est la seconde langue la plus traduite (derrière l'anglais), où les expositions consacrées à la culture japonaise sont légion et où les mangas représentent 40 % des ventes de bandes dessinées (selon le rapport 2008 de l'Association des critiques et journalistes de BD). La force de travail des Japonais est le coeur de la machine nippone, ses marques en sont les artères. Nombre d'entre elles dépassent les 50 ans et, malgré cela, continuent de vivre et de nous étonner. A l'inverse des pays occidentaux, «au Japon, on considère l'âge de la maturité et de la sagesse à 60 ans. Plus l'on vieillit, plus l'on est respecté», explique Didier Dreulle, p-dg d'Asics France. La griffe a d'ailleurs fêté ses 60 ans l'an dernier. Quatrième marque de sport sur le marché français, son chiffre d'affaires dans l'Hexagone dépassait les 100 millions d'euros en 2008. Pourtant discrète dans sa communication, Asics n'en bénéficie pas moins d'une notoriété importante. Et comme bien des marques japonaises, elle réussit le tour de force de perdurer et de conquérir toujours plus d'adeptes. Cela grâce à une qualité: les Japonais sont des marathoniens du marketing qui capitalisent avant tout sur le produit.
La fiabilité, bras armé du marketing japonais
«Quels que soient les marchés, les entreprises ou les produits, les marques japonaises ont apporté au monde la notion de qualité», ajoute Brice Auckenthaler, directeur associé de Créargie, société de conseil en stratégie, organisation, management et innovation. Cette quête d'excellence dans la qualité des produits a débuté dans les années quatre-vingt. «Le Japon en avait assez d'être considéré comme l'usine du monde. Dès lors, les marques se sont fixé comme objectif de devenir les leaders mondiaux sur la qualité, le «zéro défaut» et le «justeà-temps»», affirme Georges Lewi, directeur général du BEC-Institute, le Centre européen de la marque. Du côté des marques, le constat est sans équivoque. Selon le p-dg d'Asics, «la qualité est même le fil rouge de toutes les marques japonaises. Elle est désormais ancrée dans la culture du pays. C'est pourquoi, lorsqu'un nouveau produit est lancé, il est souvent testé au préalable sur le marché japonais, réputé pour être l'un des plus exigeants au monde». Alors les marques nippones ne lésinent pas sur les moyens. Notamment en Recherche & Développement, un département qui, selon Xavier de la Croix, directeur marketing chez Casio, «est ultra-puissant chez les groupes japonais afin d'assurer les meilleures innovations produits». Le secteur de l'Automobile bénéficie de cette réputation mondiale de fiabilité. Le leader mondial du marché, Toyota, en est la preuve. «Notre stratégie s'appuie d'abord sur la qualité et la robustesse de nos véhicules. Cela nous permet d'avoir plus de temps pour nous consacrer pleinement à la satisfaction de nos clients», insiste Stéphane Boyer, directeur marketing chez Toyota France. Avec la Prius et sa technologie hybride, le fabricant prouve que cet objectif est atteint. En effet, la marque est non seulement en tête des ventes, mais aussi numéro un des constructeurs automobiles en termes de satisfaction utilisateurs (source: cabinet d'expertise américain J.D. Power and Associates). Chez Canon, la philosophie est identique. Elle anime l'entreprise depuis sa naissance, en 1937, et l'a menée jusqu'au sommet pour en faire aujourd'hui le leader mondial de l'imagerie grand public. Mais la méthode diffère. En atteste le travail du pôle marketing réalisé en amont de la conception de l'appareil photo reflex Canon EOS 7D, commercialisé en septembre dernier. «Nous nous sommes entretenus avec 5 000 experts photographes dans le monde, dont 500 Français, afin de déterminer leurs attentes précises en matière de photographie», raconte Vincent Vantilcke, directeur marketing chez Canon France. L'objectif: concevoir un produit sur mesure, «à la japonaise», répondant précisément aux demandes d'une clientèle d'experts, très exigeante. Avec, en outre, la possibilité de le distribuer mondialement.
Quand l'avant-gardisme côtoie les fondamentaux
A l'image des grandes villes japonaises, où se mêlent quotidiennement modernité et tradition (les temples religieux habillent les pieds des buildings), les marques intègrent et manient avec aisance ces deux extrêmes. Non moins connues pour leur réputation de précurseurs dans le domaine du high-tech, certaines griffes japonaises, telles que Casio, ont su marier l'avantgardisme dans le design et les codes fondamentaux dans les fonctionnalités. A savoir, une vraie plus-value en termes d'utilité et de praticité. Et l'équation se révèle payante. En témoigne la désormais légendaire G-Shock de Casio. La montre a fêté cette année ses 25 ans et plus de 48 millions d'exemplaires vendus dans le monde. Son succès repose sur une idée simple: concevoir une montre au design épuré, facilement identifiable, avec des composants suffisamment solides pour résister à des chocs sur des chantiers du bâtiment. En guise de tests, les ingénieurs de Casio lançaient les montres par les fenêtres de leurs bureaux situés au dernier étage du building tokyoïte de la marque. La légende était née. D'autres fabricants fonctionnent d'ailleurs sur le même modèle. A l'instar de Nissan. «Le design épuré, typiquement japonais, est renforcé par le concept de «friendly innovation». Cela signifie des innovations technologiques simples mais pas simplistes, accessibles tout de suite et à tous», analyse JeanPierre Diernaz, directeur marketing de la firme automobile. Il fait notamment référence au GPS qui équipe ses voitures citadines, et qui a la réputation d'être l'un des plus simples d'utilisation dans le monde. Toujours dans le but de faciliter la vie des consommateurs.
Enfin, certains vont même plus loin, allant jusqu'à modifier les comportements des consommateurs. Comme Nintendo. «Il y a quelques années, le marché du jeu vidéo était en perte d'utilisateurs. Pour maximiser leurs revenus, les grands fabricants de consoles - surtout américains - capitalisaient avant tout sur leurs fans, les «gamers»», explique Mathieu Minel, directeur marketing de la marque. Pour sortir de ce schéma, le leader mondial des ventes de consoles s'est alors attaché à suivre une idée force: «Nous avons voulu élargir le marché du jeu vidéo à tous, sans aucune limite.» La machine marketing japonaise était lancée. Une nouvelle façon de jouer est née: seul, en famille ou avec des amis, debout, assis, allongé... Le profil du consommateur de consoles était ainsi entièrement remis en cause. Et le jeu vidéo démocratisé aux «non-gamers». La stratégie pouvait pourtant paraître risquée. Or, elle s'est révélée pour le moins payante. Depuis le lancement de la Wii, fin 2006, plus de 50 millions d'unités ont été écoulées; elle est aujourd'hui la console la plus vendue dans le monde (source: Les Echos, juillet 2009) .
Si le succès d'une entreprise est éminemment lié à sa capacité à sans cesse se renouveler, cela se vérifie d'autant plus au Pays du soleil levant. «Les Japonais sont habitués à vivre dans le risque. Leur pays vacille quotidiennement, au sens propre du terme. En plus, ils sont installés sur un volcan. Demain, tout peut s'effondrer», décrypte Brice Auckenthaler. Par ailleurs, Nintendo a réussi le tour de force de développer des jeux mondialement reconnus. C'est ici la preuve que certains secteurs sont capables de s'internationaliser. Tel le High-Tech, son proche cousin. «Les besoins des consommateurs des pays développés en matière de hautes technologies se ressemblent de plus en plus», affirme Hervé Vancompernolle, directeur marketing de Sony France. Le besoin d'adapter un produit donné pour un pays ciblé se fait donc de moins en moins ressentir. «Les principales adaptations sont inhérentes aux réglementations de chaque pays», souligne-t-il. De manière assez classique, elles peuvent concerner les couleurs. Par exemple, les rouges et bleus sont davantage plébiscités par les Japonais. Néanmoins, les marques nippones - à l'instar de Nintendo - misent aussi sur la différenciation. Et la communication, dernière arme du marketing japonais, s'avère être le point d'ancrage de cette stratégie. Le Japon se caractérise là encore par son approche spécifique, mais qui est de plus en plus chahutée par le modèle occidental.
L'Occident bouscule les traditions
Car s'il y a un point sur lequel toutes les marques japonaises ne se ressemblent pas, c'est bien sûr la communication. Bon nombre sont à contre-courant des méthodes coups de poing occidentales. Pas de bombardements publicitaires ni de budgets pharaoniques. «Nous réussissons à nous démarquer par la discrétion de nos actions de communication, assure Didier Dreulle. Avant de s'amuser: «Il y a quelques années, lors d'un meeting des dirigeants de la marque, l'un d'entre eux a lancé calmement qu'il allait prendre le temps de communiquer, puisqu'il avait... l'éternité devant lui.» Cet état d'esprit est typique du mode de fonctionnement japonais. Il concerne même la majorité des marques en termes de communication. Seulement voilà, ce parti pris est de plus en plus bousculé par les modèles occidentaux, auxquels d'autres sociétés japonaises commencent à avoir recours. Et même si elles ont en commun cette volonté de faire les choses «à leur manière», force est de constater qu'il existe une frange de marques japonaises qui commence à se remettre en question.
Pour preuve, les récentes campagnes Sony. Décalées mais impactantes, ces dernières s'inscrivent pleinement dans cette évolution. Avec pour objectif de se distinguer. Qui n'a pas en mémoire le spot des lapins géants conçus à partir de pâte à modeler à New York? Ou consistait à transformer un petit village d'Islande (800 habitants) en enceinte géante. Une semaine de programmation musicale y a été diffusée. Avec la participation de 12 artistes de renom, dont Bob Dylan, Richard Fearless (de Death In Vegas) ou encore Toumani Diabate. Avec comme mot d'ordre «Believe in Superior Sound Experiences» («Croire aux expériences sonores supérieures»), illustration de la signature de Sony «Make. believe» (devenu, en français: «Tout ce que vous imaginez peut devenir réalité»).
Enfin, plus récemment, l'enseigne Uniqlo a beaucoup fait parler d'elle à l'occasion de l'ouverture en grande pompe de son flagship parisien. A la limite de la perfection, selon les professionnels du marketing, sa stratégie de communication était, quant à elle, largement euro péanisée. Pour preuve, l'utilisation de stars dan communication média, en amont du lancement du magasin vitrine, est largement inspirée du modèle H&M. Résultat: le point de vente n'en finit pas d'attirer les clients. Le recours aux «peoples» n'est d'ailleurs pas un cas isolé. Shiseido, numéro un japonais des cosmétiques, a fait appel en 2008 à l'actrice Angelina Jolie pour devenir ambassadrice de la marque. Cette année, c'est la topmodèle australienne Christina Carey qui a pris le relais. Et la marque continue de gagner du terrain sur le marché. Avec pour objectif, d'ici à 2017, de réa] 50 % de son chiffre d'affaires à l'international. Car voilà, en plus d'être innovantes, les marques japonaises s'exportent et sont présentes partout dans le monde. De la plus prestigieuse à la plus inattendue. Car telle est également la force du Japon: ne laisser personne derrière. Preuve s'il en fallait, les pochettes surprises Fukubukuros. Ce: dernières promettent de nous faire gagner un cadeau au moins égal au montant investi à l'achat (30 à 50 euros) . Débarquées en France en novembre dernier, connaîtront-elles le succès? Probable. En tout cas, avec ce genre de produits, le Japon n'a pas fini de nous surprendre.
Canon et Casio s'appuient sur deux fondamentaux de la culture marketing japonaise: qualité et innovation technologique.