La tentation de Venise ou la tentation du modèle orphelin en marketing
Faire de leur marque le modèle universel et absolu à l'image d'un Coca-Cola ou d'un Microsoft. Tous les directeurs du marketing et autres brand managers en rêvent. Et cherchent dans les sciences du management les recettes pour accéder au Panthéon.
Je m'abonne
On connaît tous, à un moment ou à un autre, “La tentation de Venise”,
cette soudaine envie de disparaître de sa propre vie, quelques heures, quelques
jours, plus… sans ne rien dire à personne pour échapper à ses obligations.
Cette tentation est la soupape secrète de la cocotte-minute de notre vie
sociale trop pleine. En marketing et surtout en “branding”, la gestion des
marques, on pourrait nommer cette tentation de Venise, “la tentation du modèle
orphelin”. «Quel est votre benchmark, votre modèle ?» J'aime poser cette
question à mes interlocuteurs, Dg, directeurs de marketing ou de marque lorsque
je les rencontre pour la première fois. Microsoft et Coca-Cola sont les
réponses les plus fréquentes. Quelquefois Nutella, Chanel ou La Vache qui rit
viennent compléter le tableau. Coca-Cola a su réinventer, pour l'ère
contemporaine, le mythe du produit miracle, adjuvant du tonus et des chercheurs
d'or harassés, bon et vieux naturel médicament pour les bobos intestinaux,
plaisir du goût étrange, histoire de l'Amérique et… appel du Père Noël. Il y a
du “Pemberton” et du mythe de l'éternelle jeunesse dans cette marque qui
réalise 75 % de parts de marché des colas à travers le monde et plus de 50 %
des ventes de tous les soft drinks. On comprend que cela fasse rêver !
Microsoft, pour sa part, a su inventer (et l'imposer dans les ordinateurs) le
langage et le savoir universel, véritable espéranto des temps modernes avec
Windows et ses “logiciels miracles” comme Word, PowerPoint ou Excel qui nous
transforment tous en démiurges de l'informatique (du moins utilitaire) et de la
communication. Il y a de la lutte contre l'ignorance et contre le “syndrome de
Babel” dans cette marque et ses produits ! On pourrait ainsi continuer avec les
quelques autres “marques orphelines” les plus fréquemment citées :
l'universalité du rêve d'émancipation et de transgression.
Pensée magique
Les directeurs généraux, les marketeurs et les “brandeurs” sont-ils comme ces enfants qui aiment croire aux produits universels, simples, efficaces et… sans concurrence, tant ils sont uniques et tant ils ont su utiliser la “force mentale” de la marque et un marketing sans concession ? Ont-ils tant besoin de se rassurer sur leur science ou leur technique pour ne croire qu'aux modèles orphelins, non copiables, non reproductibles ? Sont-ils comme ces enfants innocents qui veulent être Président de la République pour dominer le monde ou pompier pour le sauver ? Le “branding” est malheureusement un exercice d'excellence fait de quotidien et pour le quotidien. Ses réflexions, et quelquefois ses recettes, fonctionnent plutôt bien pour les marques “de tous les jours”: comment repositionner celle qui se cherche, comment faire vivre ensemble plusieurs marques, comment revitaliser et passer les effets du temps, comment fidéliser des clients zappeurs et comment évaluer ce capital fragile que l'on tient dans ses mains ? Voilà des questions que l'on peut se poser sans faire référence à Coca-Cola ou Microsoft car ces deux là, précisément, n'ont pas besoin de la compétence d'un expert en “branding management”. Les compétences internes en marketing (souvent fortes) suffisent tant ces marques sont hors concours. Les écoles de cinéma apprennent à devenir un bon réalisateur, mais pas un maître comme Fellini. Les écoles de “branding” peuvent enseigner à éviter quelques erreurs et à redresser certaines aberrations, pas à devenir une marque comme Coca… En rêver découle d'un comportement humain mais un peu pathologique, celui de la “tentation de Venise” et de la fuite en avant vers un ailleurs sans nuages pour résoudre ses problèmes du quotidien. Mais même les marketeurs ont, sans doute parfois, le droit de rêver un peu…