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La simplicité est-elle de retour ?

Trop sollicités, trop stressés, des millions d'Européens entrent en résistance contre le harcèlement marchand. Leur mot d'ordre : simplifier. Leur ambition : déstresser. Marques et distributeurs sont priés d'être moins bavards et moins compliqués.

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20000 fractions d'image par jour, 2 000 stimuli visuels, 800 mots, 150 marques : tel est le lot quotidien des Européens. Faire ses courses dans un hypermarché revient à s'immerger dans un dédale de 75 000 références et la certitude d'être abreuvé de milliers de messages, textes, prix et au-tres innovations qui inondent les rayons sur des marchés bien souvent saturés et hyper-segmentés. « Nous pouvons être confrontés jusqu'à trente fois plus de stimuli qu'il y a dix ans », reconnaît Philippe Jourdan, associé fondateur de Panel On the Web, société d'études en ligne, chercheur au CNRS et maître de conférence en sciences de gestion. La cacophonie est partout. Les sollicitations professionnelles s'immiscent de plus en plus dans la sphère privée via le téléphone portable, les e-mails. Quant à la bulle médiatico-informative, dopée par la multiplication des médias et de leurs contenus, elle ne cesse de gonfler. Notre cerveau est mis à rude épreuve.« L'hyper-exposition médiatique crée un phénomène de saturation qui érode l'attractivité de la marque et son pouvoir de séduction », s'inquiète Stéphane Ricou, président, cofondateur de Paris Venise Design. De là à suspecter la validité du modèle marketing traditionnel, ou du moins à le remettre en question, il n'y a qu'un pas que les Européens n'hésitent plus à franchir. On ne compte plus les initiatives de ceux qui veulent “changer de vie” et font la Une des magazines. Et une récente étude anglo-saxonne, réalisée par Datamonitor, “Simplicity”, démontre également qu'il faut désormais aussi compter sur ceux qui veulent changer de marque. « Il existe un réel potentiel pour les marques qui tranchent dans cet encombrement de messages, de positionnements, de spécificités, de critères et de sous-critères. Et optent pour des messages clairs et spécifiques, simples à comprendre et à trouver. Et surtout qui soulagent les consommateurs de leur stress », commente Dominik Nosalik, analyste des marchés de consommation et auteur du rapport “Simplicity” pour Datamonitor.

Moins de messages, plus d'impact


D'après cette étude, ils seraient déjà 41 millions d'Européens à vouloir changer leurs marques traditionnelles pour des marques recentrées sur un bénéfice de simplicité. Et ce, dans sept secteurs où l'offre est considérée comme particulièrement complexe, comme les soins pour les cheveux, le visage, l'hygiène corporelle, la maison, les vins, les plats préparés ou encore les vitamines et les compléments alimentaires (voir tableau). Et ils pourraient atteindre les 50 millions en 2007. « Ces nouveaux consommateurs veulent réduire la complexité physique et informationnelle de leur vie afin de générer du temps et de l'énergie et réduire leur stress », explique Dominik Nosalik. Datamonitor a estimé à 11 424 Me le potentiel de ce marché à l'horizon 2007, pour 8 020 ME en 2003. Mais cette simplicité peut prendre de multiples formes. Le plus souvent, les marques jouent de la simplicité comme d'un argument de vente. Soit en misant sur la praticité des produits, soit en surfant sur le courant de la nostalgie qui, comme l'indique Georges Lewi, directeur de High-Co Institute, « fait vibrer la corde sensible de la simplicité originelle ». C'est le cas de la limonade Lorina de Geyer, du savon Le Petit Marseillais, mais aussi des voitures tchèques Skoda, jugées simples pour la supposée rusticité de leurs origines de fabrication. « Plus une marque est perçue comme pure, plus elle est perçue comme simple », reconnaît Georges Lewi. A tort ou à raison d'ailleurs puisque, dans ce domaine, c'est la subjectivité qui l'emporte. Et son corollaire de dérapage dans le simplisme ou le manichéisme. Mais le phénomène de simplification touche également au renforcement du design et à une réduction des messages. « Notre travail s'est considérablement complexifié ces cinq dernières années, car rien n'est plus difficile que de faire simple », avoue Stéphane Ricou. Il faut chasser les détails inutiles et densifier le sens des logos. La marque de céréales britannique Weetabix s'est débarrassée de l'image du bol de céréales qui l'accompagnait depuis ses débuts, et qui ne lui apportait plus aucun atout de différenciation, pour mettre en avant le nom de sa marque. Quant au texte, il s'allège au profit du graphisme. Car il est plus mémorisable et permet, quand il est souvent dupliqué, de renforcer la crédibilité des marques. Même si la France garde la particularité d'être plus narrative que ses voisins. En Grande-Bretagne, l'Américain Kellog's a réduit le visuel de son produit phare, Corn-Flakes, à sa plus simple expression et mis son coq emblématique en avant, sans mention de grammage au verso. Avec un simple bol de céréales en situation au verso, accompagné d'un texte très court. Tout concourt à renforcer la dimension stratégique du design. Wakama, du groupe Distriborg, spécialisée dans l'alimentation macrobiotique, joue son positionnement sur un emballage, concocté par Odeformes, inspiré de la philosophie japonaise avec des codes en rupture avec l'univers du bio. Qui associe la sobriété des lignes et des couleurs à une typographie japonaise. Kronenbourg, qui a choisi de transformer sa marque de bière Maître Kanter en marque ombrelle, a confié à Paris Venise Design la tâche de l'expliciter visuellement. Modernisé, le personnage emblématique occupe désormais le centre de l'emballage et symbolise la transversalité de la marque. Il se présente en pied et non plus tronqué avec une chope de bière dans une main et un bras tendu pour plus de convivialité. Mais le plus important est de ne pas noyer son discours ou son positionnement. « Je dis souvent à mes clients en phase d'innovation : “prenez le nombre de critères qui vous semble importants et divisez-le par quatre” », explique Philippe Jourdan. Trois à cinq points de force suffisent souvent largement. Surtout sur des marchés saturés où les produits ont les mêmes caractéristiques. Et où les marques ont intérêt à travailler à la marge pour se différencier.

Une logique économique


Tresher, un distributeur britannique de boissons alcoolisées, vient d'introduire un système de présentation de ses produits en les classant, non plus par type ou appellation, mais par prix. Un “blasphème” dans ce pays d'amateurs mais tellement plus pratique. Toujours en Grande-Bretagne, les bars Green & Black's Chocolate ont décidé de servir des produits haut de gamme à partir de recettes simples basées sur la qualité des ingrédients, et de ne plus communiquer que sur ce bénéfice. En outre, plus une marque est “légère”, plus elle peut s'étendre sur d'autres secteurs. C'est Taillefine chez Danone pour la minceur, La Laitière chez Nestlé pour la gourmandise. Mais c'est aussi Dove, chez Unilever, qui a fait le choix de se positionner comme le spécialiste de l'hydratation et seulement de l'hydratation. Cela lui a permis de passer de l'univers du soin de la peau à celui des soins capillaires, en ne se basant que sur ce point de force. Lancée en janvier 2002 en Angleterre, Dove Haircare a atteint 10,3 % de part de marché en valeur dès la première année et le groupe attend qu'elle atteigne une valeur de 130 millions de livres en 2003, tout en maintenant un fort taux de croissance. « Notre marque a encore un fort potentiel de développement. Car elle apporte de la simplicité aux consommateurs perdus sur un secteur de la beauté très compliqué et composé d'une myriade de produits », explique Jacqui Hill, directeur du développement de Lever Fabergé. « Aujourd'hui, toute entreprise bien structurée devrait réfléchir à la fois à une offre très marketée et plus simple », suggère Georges Lewi. A la manière de Danone qui fait vivre Actimel et son yaourt de base. Ou de Carrefour qui fait vivre trois enseignes comme Carrefour, Ed ou Champion, sur des modes de sophistication différents.

Comprendre la valeur des produits


La simplicité doit donc se voir mais surtout se comprendre. Et, pour cela, tenir compte des nouveaux rapports que les consommateurs entretiennent avec la qualité, le prix et le temps. Et là le champ d'action des marketeurs et des distributeurs est encore vaste. Car les Français ont de plus en plus de mal à définir le prix d'un produit. Soit parce qu'entre les coupons, les produits “girafe”, ou simplement les réductions de prix, un même produit peut avoir une dizaine de prix différents. Soit parce qu'à force d'avoir segmenté les marchés, les consommateurs ne comprennent plus très bien pourquoi certains produits coûtent 30 % plus cher ! Quant à l'offre de produits technologiques associés à des services, elle n'a souvent plus de sens perceptible dans la logique du consommateur. Qu'on lui propose un téléphone portable bon marché… et il pensera aussitôt qu'il le payera par ailleurs. Sur le forfait d'abonnement, par exemple. Le rôle du prix dans le mix-marketing s'est considérablement brouillé. « Il y a encore deux ans le prix avait une valeur heuristique de repérage. Le consommateur pouvait se situer entre un prix maximum et minimum sans problème. Depuis le passage à l'euro, ce n'est plus tout à fait le cas. Il a notamment réalisé la tendance inflationniste qui a suivi et le décalage entre le prix d'un produit et sa qualité », constate Philippe Jourdan. En outre, la méfiance qui s'opérait il y a quinze ans sur la notion de risque majeur a glissé sur celle d'honnêteté et de transparence du prix. Simplifier consiste alors à redonner du sens à la notion de qualité. Certains concepts, comme le hard-discount, le low-cost ou même la presse gratuite, l'ont bien compris. Le prix bas n'est plus forcement synonyme de mauvaise qualité mais, au contraire, d'une simplification de l'offre. Il n'est plus le résultat - du moins dans l'esprit des consommateurs - d'une simple guerre concurrentielle, mais d'un concept moins cher parce qu'il coûte moins cher. Il suffit pour s'en convaincre d'aller sur le site d'Easyjet pour vérifier que l'entreprise se sert de son mode de fonctionnement et de sa structure de coût comme argument de communication. « On se croirait revenu trente ans en arrière, reconnaît Georges Lewi. Rigidité des horaires, pas de changement possible et pas de café servi à la place. L'important, c'est de pouvoir aller à Londres à petit prix et de garder la différence pour y passer un bon séjour. » Quant au hard-discount, les consommateurs viennent y chercher des produits “premiers”, du “café-café”, de la “farine-farine” et du “lait-lait”. Pas de choix, peu ou pas de grandes marques. Une prise de risque minimum, pour un succès incontestable. Ce type de distribution pèse 11 % du marché français et les prévisionnistes le voient dépasser à moyen terme les 15 %. Quand à la presse gratuite, c'est peut-être le cas le plus abouti de simplicité, puisqu'elle optimise la satisfaction du client en étant à la fois nouvelle et gratuite. « Ce qui est important aujourd'hui, c'est qu'une politique de prix soit crédible et qu'elle ne perturbe pas ses clients », insiste toutefois Dominik Nosalik. L'enseigne nord américaine Wal- Mart's affiche des prix souvent supérieurs à ceux de ses concurrents, ce qui ne l'empêche pas d'être numéro un de la distribution américaine et d'être considérée par ses clients comme une bonne affaire.

Ne plus perdre de temps


Le temps s'avère, dans la majorité des cas, un des facteurs les plus recherchés. Comme l'explique François Bellanger, directeur de Transit, « les petits formats de magasins discount de type Lidl, Ed ou Aldi, offrent avant tout une gamme réduite à 800 références environ qui permet à leurs clients de faire leurs courses en vingt minutes au lieu de quarante-cinq en hypermarché ». Or, nous vivons dans une société d'impatients. « Alors qu'ils n'en ont jamais eu autant, les Français estiment avoir moins de temps qu'avant », fait observer François Bellanger. Ils deviennent même de plus en plus exigeants à l'égard de technologies pourtant censées leur faire gagner du temps. Internet est jugé trop lent et la moitié des visiteurs d'un site marchand ne veulent pas cliquer plus de trois fois pour obtenir une information. Le four à micro-ondes est trop poussif pour 30 % des utilisateurs. Quant à l'ascenseur, selon une étude menée par Otis, c'est le bouton fermeture rapide qui vient de dépasser le bouton rez-de-chaussée longtemps resté le plus utilisé. Ce stress les poursuit jusque sur leurs lieux de vacances. Ainsi, peut on lire dans le Readers' Digest, que ne pas faire la queue au supermarché est la première de leurs préoccupations (37 %), loin devant la radio des voisins (18 %) ou le coup de fil du bureau (16 %) ! Les prospectivistes s'accordent à dire que la dimension temps est probablement une de celles qui est susceptible d'engendrer le plus fort gisement d'innovations à l'avenir. Car les besoins, voire les demandes exprimées, sont importants et très loin d'avoir été satisfaits. Et il ne s'agira plus à l'avenir uniquement de faire gagner du temps mais de le magnifier, de l'occuper intelligemment voire de le relier à un hypothétique développement personnel. C'est déjà le cas des centres de relaxation ou de massage. Mais c'est aussi, de manière très concrète, les nouvelles formes de distribution encore balbutiantes. Casino a lancé le concept Magelan dans quatre points de vente, qui permet à ses clients d'entrer directement dans la zone alimentaire en n'effectuant qu'un “circuit court”. Chez le libraire anglais WHSmith, les articles sont scannés dans la file d'attente. Les centres Leclerc travaillent sur le même système. Le groupe allemand Metro a ouvert, sous l'enseigne Extra, en avril 2003 près de Duisburg, un hypermarché de 38 000 m2, entièrement automatisé.

Changer de vie


Mais au fond, l'objectif du consommateur reste de se simplifier la vie. Ce qui recouvre des aspirations aussi bien sociologiques que comportementales ou holistiques. Bien sûr, l'Europe est encore très loin d'avoir engendré, des mouvements anti-consuméristes à l'Américaine comme les “Volontaires de la simplicité”. Mouvement issu du phénomène New-Age des années 70-80, qui milite contre les valeurs trop matérialistes d'une société américaine hypermarchande, au profit de valeurs plus humanistes. L'Europe est également encore très loin de disposer d'un journal alternatif comme Adbusters ou d'une journée de boycott de la consommation comme le “Buy nothing day”. Mais le Vieux Continent bouge à sa manière. Il compte, selon Datamonitor, pas moins de 14 millions de personnes qui essaient d'une manière ou d'une autre de changer de vie pour lui redonner du sens. « Elles reconsidèrent ce qui est vraiment important pour elles. Gagner beaucoup d'argent ou mieux s'occuper de leur famille et de leur relation », précise Dominik Nosalik. Ils seraient 2,2 millions de “simplificateurs holistiques” à avoir quitté le système en 2003, en démissionnant de leur travail, en déménageant et en réduisant leur niveau de consommation. Contre 1,6 million en 1997. Ils ont un bon niveau d'instruction, sont âgés de 30 à 40 ans et engagés spirituellement. Parallèlement, ils sont 12 millions d'Européens “simplificateurs ralentisseurs” à revoir partiellement leurs modes de vie. Contre 9,7 millions en 1997. Moins radicaux que les précédents, ils se contentent généralement de réduire le temps passé au travail de quelques heures ainsi que leur niveau de consommation. C'est la catégorie la plus importante, et celle qui progresse le plus vite. Elle se compose en majorité de personnes ayant réussi professionnellement et touchant de confortables salaires dans des postes à haut stress, comme les avocats, les financiers, mais qui ne sont pas complètement satisfaites ou ne se sentent suffisamment à l'aise pour lever le pied et se consacrer totalement à leur famille (60 % d'entre eux ont de jeunes enfants). Mais là encore, pas facile de quitter un job bien payé ou de négocier un aménagement des horaires. Certains ne savent pas comment s'y prendre. D'autres ont peur de s'écarter de leur plan de carrière ou craignent de ne pas pouvoir s'en sortir avec un salaire moindre. Il leur faut parfois affronter le politiquement correct ambiant. Comme à la City de Londres où une certaine culture “macho” milite contre la flexibilité du travail et la possibilité de diminuer le temps de travail. Consommer plus simple est assurément plus facile que de changer de vie.

Gérard Mermet (sociologue)


« Les consommateurs se dirigent vers des circuits parallèles, voire des offres low-cost, non seulement pour la rationalité de leur offre, mais aussi parce que c'est un moyen pour eux de montrer qu'ils ne sont pas dupes et qu'ils font de la résistance. Beaucoup sont désillusionnés par cette consommation qui leur a longtemps donné l'impression d'être de leur côté, mais ne joue plus le jeu. Ce qui les rend plus méfiants envers les prestataires, les marques et les enseignes. »

Consommer sans réfléchir


Aberrant dans les années 50, le modèle du consommateur impulsif se propage. Il achète sans vraiment avoir d'avis et se fait une idée ensuite… Abondance de l'offre, multiplication des situations de faible implication et réduction des risques ont mis à mal le modèle du “consommateur expert”, élaboré par les marques pendant la période de l'entre deux guerres. A l'époque, il était prêt à collecter toute l'information, à en évaluer la pertinence et à comparer toutes les marques. Aujourd'hui, ce consommateur-né analyse moins et préfère traiter l'information de manière plus globale. Le marketing de l'essai et de l'impulsion a de beaux jours devant lui.

Georges Lewi (directeur de High -Co Institute)


« C'est parce que le monde dans lequel ils vivent leur devient de moins en moins compréhensible et que la mondialisation leur apparaît comme un phénomène essentiellement technique, auquel même les experts ni comprennent rien, que les consommateurs se réfugient dans une forme de pensée magique. Le syndrome du Paradis perdu les pousse à regretter un monde plus innocent, plus naïf plus simple et moins marketé. »


12 millions d'Européens, “simplificateurs ralentisseurs”, simplifient partiellement leurs modes de vie. Source : Datamonitor


2,2 millions d'Européens, “simplificateurs holistiques”, sortent du système en 2003 (famille incluse), quittent leur job, déménagent et réduisent leur niveau de consommation. Source : Datamonitor


41 millions d'européens disent vouloir changer leurs marques tradionnelles pour des marques recentrées sur un bénéfice de simplicité Source : Datamonitor

Isabel Gutierrez

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