La seconde vie des marques
Les marques naissent, vieillissent et meurent. Mais si les marques peuvent disparaître, elles peuvent aussi revenir après un passage à vide. Converse et Apple ont ouvert la voie. Tann's, Le Coq Sportif ou encore Killy leur emboîtent le pas en 2007.
Non, les marques ne meurent pas. Ce sont les hommes qui les assassinent ! « Neuf fois sur dix, une marque meurt parce qu'on l'a tuée », note d'emblée Georges Lewi, directeur général du BEC-Institute. En soit, une marque pourrait être immortelle. D'ailleurs, elles recherchent toutes la pérennité. Pour ce dernier, elles passent par plusieurs étapes. Tout d'abord le temps de l'héroïsme, puis celui de la sagesse, et enfin le temps du mythe. Seulement voilà, huit produits sur dix ne deviennent pas des marques. Et sur 100 qui sont lancées, seules huit résistent à l'hécatombe ! En outre, même une marque mythique peut connaître des passages à vide, voire disparaître. Rien n'est jamais gagné. Jean Watin-Augouard, historien des marques, ajoute que « certaines ont connu leur heure de gloire et subitement ont disparu. » À l'instar de Chambourcy, ou de L'Alsacienne. En revanche, si ces dernières ne s'en sont pas relevées, d'autres ont tout bonnement ressuscité. « Toutes les marques ont, un passage à vide entre 15 et 20 ans », explique Georges Lewi.
Pour preuve, la saga Apple. Marque devenue culte dans les années 80 avec le Macintosh, elle sera sauvée trois fois du gouffre. Et ce par un seul et même homme : Steve Jobs. « Apple a eu une période magique entre 1980 et 1993, constate Georges Lewi. Puis la marque a chuté en 1996. » Stevejobs réussira à relever l'entreprise qu'il a créée en 1976 avec Steve Wozniak en lançant trois produits cultes : le iMac en 1998, le iPod en 2001 et iTunes en 2003. Apple rentre ainsi dans la légende de ces marques générationnelles. Il y a eu la génération Mac, on parle aujourd'hui de génération iPod, qui place le célèbre baladeur au rang d'icône. Et peut-être y aura-t-il à l'avenir la génération iPhone ? Pour Jean Watin-Augouard, Apple a pu renaître « en allant puiser dans les racines, dans l'humus de la marque ». À savoir le design, l'avant-gardisme et l'innovation. Ne pas se laisser piéger par la routine et savoir se renouveler, voilà un des points-clés pour ne pas tomber dans l'oubli.
L'homme, premier responsable
Georges Lewi remarque que nombre de marques disparaissent parce qu'elles se sont limitées à un mono-produit, à l'instar de Solex. Ou encore Hollywood, qui a bien failli subir le même sort. Leader de la pâte à mâcher dans les années 70-80, elle a subi un coup dur avec l'arrivée de Freedent, qui est sorti de la prédominance de la tablette à la chlorophylle pour lancer un chewing-gum sans sucre. Hollywood, qui ne vantait jusque-là qu'un état d'esprit, a dû se reprendre en main et lancer des innovations produits. De même, Nivea a su proposer à côté de sa célèbre petite boîte bleue toute ronde d'autres produits cosmétiques. Gare cependant à ne pas tomber dans une multiplication à outrance des références. Persavon en a fait les frais... Passée des mains de Colgate Palmolive à celles des Savonneries Bernard en 1991, la marque a souffert d'une trop grande diversification et d'un soutien promotionnel très faible. Fort du succès du relancement du Petit Marseillais, Michel Azan, dg des Laboratoires Vendôme, a décidé de relever la marque en rupture produits de juin 2005 à janvier 2006. Persavon est donc revenue à l'essentiel, en divisant sa gamme par trois. L'agence Dragon Rouge a retravaillé les packagings et le logo, Et surtout la marque s'est recentrée sur ses racines, le savon de Marseille, tout en rajeunissant son cœur de cible aux mères de famille. Si sa présence au rayon des gels douches est encore anecdotique, elle entend pour le moment raffermir ses positions aux rayons lessive, avec deux lancements récents : une lessive “Secret de fraîcheur” depuis mars, et une lessive bébé depuis avril.
« D'autres marques se sont laissées enfermées dans une génération », ajoute Georges Lewi. Or les gens ne consomment plus les mêmes produits à 20 ans qu'à 50, et un jeune d'aujourd'hui ne consomme pas comme un jeune d'hier. Autre risque : garder les mêmes signes graphiques, qui peuvent avoir des connotations différentes suivant les générations, et ainsi tomber dans le ringardisme, comme le logo Damart. Enfin, dernière cause de mortalité d'une marque : l'enfermement dans un marketing. Georges Lewi s'explique : « Une marque est née, s'est développée sur un marketing plutôt haut de gamme, d'autres générations ont démocratisé la catégorie et la marque est descendue de son piédestal. » À l'instar de Palm. Gare donc à tous types d'enfermement, quels qu'ils soient.
Reste qu'au bout du compte, la principale cause de mortalité d'une marque demeure l'homme. « On sait revitaliser une marque, insiste Georges Lewi. Mais on n'a pas toujours la volonté de le faire. » Pour Jean Watin-Augouard, « l'avenir de la marque, c'est l'homme ou la femme. » De fait, sa mort peut être liée à une erreur de management. Il ajoute : « Après quatre générations et une saga extraordinaire, Félix Potin a subitement raté le virage du libre-service. » D'autres disparaissent suite à une absorption. Ainsi, L'Alsacienne, une fois rachetée par Danone, a été engloutie par LU.
Au bord de la faillite en 2001, Converse a depuis fait son grand retour. Sofia Coppola a même été jusqu'à l'introduire dans la garde-robe de sa Marie-Antoinette !
Jean Watin-Augouard (Historien des marques) : « À la différence de l'être humain, la marque doit apprendre à ne pas vieillir et à ne pas mourir. »
Après le Petit Marseillais, Les Laboratoires Vendôme relancent Persavon. Premier chantier : les lessives.
Philippe Lacoste (Lacoste) : « Il faut sans cesse remettre son métier sur l'ouvrage. »
Se remettre en piste
Leader mondial du ski technique dans les années 80, la griffe Jean-Claude Killy, a quant à elle connu « une perte de vitesse phénoménale », reconnaît Claire Muzart, responsable communication chez Eider, due à « un manque d'investissement » du licencié anglais qui la dirigeait. En août dernier, la société Eider a repris en main la licence du triple champion des JO de Grenoble 1968, pour lui redonner ses lettres de noblesse, la technicité et l'innovation. Si le chiffre d'affaires de la marque ne représentait en 2006 que 10 millions d'euros dans le monde (dont seulement 3 % en France), Eider s'est fixée comme objectif de le tripler en cinq ans, en travaillant particulièrement les marchés français, américain, russe et anglais. « Nous souhaitons devenir leader et non plus suiveur », insiste Claire Muzart. Eider entend référencer la griffe haut de gamme dans 50 magasins en France à l'hiver prochain, et dans 100 à 130 magasins d'ici à 2010, tout en proposant dès l'été 2009 deux collections par an. Une baseline a en outre été créée et le logo remanié. Enfin, la griffe reprendra la parole en campagne presse à partir du mois d'octobre prochain.
Autre marque de sport à avoir connu un gros passage avide, Le Coq Sportif revient en force. Passée sous le giron d'Adidas en 1970, puis rachetée par Brown Shoe en 1995, la marque française a été reprise en 2005 par un fond d'investissement suisse, Airesis, qui entend lui redonner ses couleurs. « La marque vivotait dans les années 90 », précise Philippe Archereau, son directeur communication. La nouvelle équipe souhaite donc racheter petit à petit ses licences pour reprendre le contrôle. Aussi, de nouveaux produits vont-ils faire leur apparition dans les linéaires à partir de juin-juillet prochains. Présents en France dans 300 points de vente actuellement, Le Coq Sportif compte bien atteindre les 700 points de vente entre l'automne et l'hiver 2007 et 1200 au premier trimestre 2008. « Nous avons une vraie notoriété, souligne Philippe Archereau. Il faut juste remettre du gaz pour que ça reparte. » Sur un marché dominé par Nike et Adidas, Le Coq Sportif signe donc son retour, sans perdre ce qui a fait son succès autrefois. Le directeur communication précise : « Nous ne réinventons pas la marque, mais nous repartons de son ADN. » À savoir le plaisir du sport. Résultat, Le Coq Sportif a lancé le 6 mars dernier une campagne de communication d'envergure, mettant en scène un duel plein d'humour entre un de ses anciens emblèmes, Yannick Noah, et Sébastien Loeb, triple champion du monde des rallyes, lui permettant de s'adresser à un large public.
Faire du neuf avec du vieux
Garder son ADN, Levi's le revendique aussi, tout en essayant de rajeunir son cœur de cible. La marque de jeans culte des baby-boomers ne fait plus autant rêver les jeunes d'aujourd'hui. « Nous avons connu des périodes un peu difficiles avec l'arrivée de nouvelles marques », admet Olivier Bocquet, responsable communication chez Levi's. Les Diesel, Zara, H&M et autres Mango, ont modifié la donne en habituant les consommateurs à des renouvellements réguliers de leurs collections. Or Levi's ne dispose que de deux réassortiments par an... Pas étonnant donc qu'il y ait eu une désaffection des plus jeunes. « Nous étions perçus comme une marque basique par les jeunes, note Olivier Bocquet. Le 501, c'est le Jean de leurs parents. » Depuis 2006, Levi's reprend du poil de la bête. « Nous devons montrer aux moins de 25 ans que la marque a changé, qu'il y a des produits très actuels chez nous. » Un nouveau styliste a ainsi revu le look des collections, et Levi's a choisi pour communiquer les médias les plus appréciés de cette cible, le Web et le cinéma. Le slogan “New From The Original”, tout comme le nouveau spot TV, résument parfaitement la stratégie : partir des racines de la marque tout en lançant des produits tendance.
Idem pour Lacoste qui a également fait face à un vieillissement de sa clientèle. Philippe Lacoste, petit-fils du fondateur et directeur des relations extérieures, constate : « Nous avons vécu un passage à vide dans la deuxième partie des années 90, sans pour autant subir de baisse significative du chiffre d'affaires. Les ventes continuaient même à progresser », mais la clientèle ne se renouvelait pas. Un risque à ne pas négliger, tout comme le problème de la contrefaçon et l'appropriation des codes de la marque par les jeunes de banlieues difficiles. Pour Philippe Lacoste, la marque a raté le virage des années 90 où la mode est rentrée dans le sport et inversement. « Pour les 20-25 ans, nous n'étions pas excitants, admet-il. Il fallait se réveiller. » Lacoste a donc agi sur le produit, mais aussi sur sa communication et sa distribution. En 2000, un nouveau directeur artistique a été embauché, afin d'introduire de la mode dans les collections et de développer les lignes femmes. Les boutiques ont été relookées, et la marque s'est affichée sur les podiums des défilés. La communication de 2005, signée BETC Euro RSCG, a finalisé son repositionnement. « Elle nous a vraiment créé un territoire de marque », souligne-t-il. Depuis, Lacoste connaît une croissance à deux chiffres et voit ses ventes s'accélérer.
Le Coq Sportif revient en force avec une campagne pleine d'humour signée La Chose, avec Yannick Noah et Sébastien Loeb.
Sur ce sujet, lisez aussi :Quels remèdes pour soigner la marque ? (MM 98, Oct. 2005)
Redevenir à la mode
En revanche, Converse, au bord de la faillite en 2001, a retrouvé les faveurs de la mode sans modifier ses produits. Du haut de ses 90 ans, la marque de chaussures revient de loin. « De quelques milliers de paires vendues par an pendant le creux de la vague en France, Converse atteint aujourd'hui les trois millions de paires ! », lance David Zmirov, directeur de l'agence du même nom. La marque à l'étoile, à la traîne derrière Nike, Adidas ou encore Reebok, a profité du retour du vintage pour reprendre sa place dans nos penderies. Mais comme David Zmirov l'explique, « Converse ne serait pas revenue de façon aussi forte s'il n'y avait pas eu ce travail en amont, en termes de buzz et de travail dans les quartiers ». Les journalistes de la presse haut de gamme y sont donc pour beaucoup, tout comme les placements de produit, Endemol a ainsi chaussé Jennifer de Converse Rouge pour la Star Academy, l'agence Zmirov en a approvisionné des magasins branchés... Depuis 2003, les ventes vont crescendo. Mais la marque veille. Il ne s'agirait pas de déraper de nouveau. Aussi prend-elle soin déjouer l'effet de rupture, et de bien segmenter les collections en fonction des magasins. Tout en développant les produits textiles, véritable relais de croissance. Philippe Crônier, directeur commercial France de Royer Sport SAS, distributeur licencié, résume cette réussite par le fait que la marque soit parvenu à « se servir de son héritage », tout en étendant son côté lifestyle. « Converse a traversé les âges », souligne-t-il. C'est aujourd'hui un produit incontournable, que toutes les générations se plaisent à arborer.
Ce parcours, Chevignon aimerait bien le suivre également. Marque emblématique des années 80, que l'on s'arrachait au collège et au lycée, elle a perdu de son aura en France, marché sur lequel elle réalise 79 % de son chiffre d'affaires. Le creux de la vague a eu lieu dans les années 90, avec l'arrivée d'acteurs comme Diesel et Replay. « Chevignon avait perdu un peu de son identité, peut-être en essayant de ratisser large », explique Émilie Frey, responsable communication de la marque. 2007 s'annonce comme l'année du dépoussiérage. « Nous revenons aux sources originelles, nous nous recentrons sur nos valeurs en les adaptant au goût du jour », note-t-elle. Chevignon remet le cuir et le travail des matières au centre de ses collections, et a relooké son logo dans l'esprit de l'originel tout en le modernisant. Le concept des boutiques a en outre été revisité depuis novembre 2006. Et la marque est repartie en campagne en lévrier dernier avec des visuels insolents et sexy. Essentiellement masculine, elle entend s'ouvrir davantage à la gent féminine en lui proposant notamment une petite collection développée depuis deux saisons. « Tout cela a permis de rajeunir la cible qui avait vieilli avec la marque », appuie Émilie Frey.
Marque disparue des cours d'école, Tann's revient pour toucher les adultes avec notamment des sacoches informatiques.
Évoluer avec ses consommateurs
Rajeunir la cible... D'autres marques au contraire souhaitent se relancer en se positionnant sur une cible plus âgée. C'est par exemple le cas de Tann's, née à la fin des années 70. Cette marque de cartables en cuir et en croûte de velours pour enfants, a connu un gros succès jusqu'au début des années 90, où elle a quasiment disparu du jour au lendemain. Vendue en maroquinerie, elle s'est laissée distancée par les cartables et sacs à dos aux couleurs de héros à la mode vendus en grande surface. Depuis avril, Tann's a refait son apparition, non plus au rayon des cartables pour enfants, mais en tant que produits de maroquinerie orientés multimédia. L'idée est venue de deux amis, anciens fans de Tann's. Ils ont donc écrit au P-dg de Le Tanneur et obtenu un contrat de licence. Leur objectif : retenir l'attention de ceux qui ont connu et aimé la marque quand ils étaient enfants. « Nous faisons du nouveau avec de l'ancien, explique Benjamin Prades, en charge de la licence. Nous relookons une marque, nous la remettons au goût du jour. »
Une stratégie qui se rapproche de celle que Jean-Pierre Bansard, P-dg du groupe Cible, a choisie pour le relancement de Solex. Convaincu du capital sympathie de la marque disparue, détenue jusque-là par Fiât, Jean-Pierre Bansard a décidé de relooker le vélomoteur en le dotant d'un moteur électrique et d'un nouveau design. Les ventes du “e-Solex” ont débuté en décembre 2006. « En deux mois, plus de 3500 e-Solex ont été vendus, annonce-t-il. On se les arrache. » Aujourd'hui, il est en rupture de stock ! Et ce, sans aucune campagne de publicité. En 2007, la marque prévoit d'en vendre entre 5 000 et 6 000 exemplaires en France et dans les 30 000 dans le monde d'ici à cinq ans. Une seule chose ne change pas : le produit unique. Il n'y aura donc qu'une seule référence, comme par le passé. Encore faudra-t-il faire attention à ne pas se laisser enfermer sur ce seul produit, en proposant, par exemple, des accessoires ou en étendant la gamme.